Sigma ne fait rien comme les autres : PME familiale dans le monde des Canon, Nikon ou Sony, la marque japonaise cultive sa différence. Elle a toujours fait des choix, plus ou moins heureux, mais elle les a toujours assumés. Et n’a cessé de progresser, que ce soit lors de la redéfinition de sa gamme optique, avec la gamme ART notamment, à l’excellent rapport qualité d’image-prix, ou dans sa poursuite de la qualité d’image parfaite avec ses compacts DP Quattro, des appareils intégrant la nouvelle mouture du capteur Foveon et sur lesquels s’appuie le SD Quattro, le premier appareil photo hybride la marque.
Sigma a déjà conçu des reflex à capteur Foveon APS-C, les SD, dont la distribution et les ventes furent confidentielles. Cela a permis à la marque nippone d’acquérir un savoir-faire qui se ressent lorsque l’on prend le SD Quattro en main : la qualité de fabrication est tout bonnement impeccable. Elle est même tellement bonne qu’on a du mal à concevoir qu’une telle qualité 100% made in Japan puisse ne coûter que 800 €!
Côté ergonomie les choix sont radicaux, pour ne pas dire clivant – viseur électronique au milieu de l’appareil, poignée énorme, ligne découpée en dessous de manière étrange, bouton d’allumage sur le fût de la baïonnette, etc. Si tous ces choix ne sont pas rationnels du point de vue d’un reporter qui chercherait un appareil à la prise en main parfaite – c’est loin d’être la cible de Sigma – cela peut répondre aux besoins d’un photographe de studio qui recherche un boîtier aux commandes bien dissociées et au look unique.
Et une chose est évidente : si Sigma faisait la même chose que les autres, la marque aurait du mal à sortir du lot sur les linéaires. Ce dont la marque a bien besoin face aux mastodontes de la photo.
Capteur Foveon Quattro, l’autre voie
Contrairement à 99,9% des capteurs CMOS de nos appareils photos et smartphones qui utilisent un capteur dit “à matrice de Bayer”, les appareils Sigma sont équipés d’un capteur unique appelé Foveon. Contrairement aux capteurs Bayer où chaque photosite – improprement appelé pixel – ne code que pour une seule couleur, chaque photosite d’un capteur Foveon reçoit les informations colorées des 3 canaux rouge, vert et bleu.
Quand les appareils à matrice de Bayer utilisent des algorithmes pour reconstituer les informations des deux canaux manquant de chaque photosite en faisant la moyenne des informations colorées des photosites adjacents, le Foveon reçoit toutes les informations sur chaque pixel. La version Quattro apporte une nouvelle structure des couches colorées avec un peu moins de finesse dans les couches rouge et vertes, mais on obtient au final le même type d’images que pour la génération Merrill.
Parfaite sur le papier, la technologie Foveon a certes des avantages comme nous le verrons, mais la médaille a aussi son revers. Des revers même : la montée en haute sensibilité est cruellement inférieure à celle obtenue avec un capteur Bayer (passé 400 ISO c’est même la Bérézina), la vitesse de lecture du capteur est lente – pas de rafale de folie possible -, le manque de compétition sur la technologie ne facilite pas les innovations, notamment dans le domaine des processeurs de traitement d’image, la vidéo est tellement casse-tête que Sigma a retiré la fonctionnalité au SD Quattro et enfin, pour ne citer que les principaux revers, les fichiers RAW sont énormes et ne peuvent être édités que par l’horrible Sigma Photo Pro.
Avec ses lacunes, on paye donc la qualité d’image au prix fort, mais au moins celle-ci est bien présnte (lire plus loin).
Visée directe, le grand flou
Nous avons testé tous les compacts Sigma depuis le premier DP1 et, depuis la génération Merrill, nous avons constaté l’extraordinaire qualité d’image à 100 ISO de ces appareils. Tout cela pour dire qu’une fois que l’on a compris et accepté le genre d’appareil que peut être un Sigma, on ne peut qu’apprécier l’extraordinaire piqué des images qu’il produit.
Cette finesse, cette précision de l’image ne se ressent pas quand on met l’œil dans le viseur. Le SD Quattro lutte, propose de prime abord une image assez grossière, qui s’affine ensuite légèrement quand le point est fait. Mais on reste très loin des viseurs même milieu de gamme des hybrides actuels. Selon nous, Sigma a du mal à traiter en temps réel le flux que lui envoie le capteur et procède donc à une compression du signal ce qui nuit à la perception de la netteté.
sLes marques japonaises étant peu disserte sur les détails techniques de leurs appareils, il ne s’agit là, bien sûr, que d’une supposition. Mais vu la bonne qualité d’image des clichés déjà pris lorsque l’on regarde dans le viseur, on vous parie que c’est bien la raison de ce signal dégradé. Les appareils photo étant désormais de véritables ordinateurs, on espère que les ingénieurs logiciels de Sigma parviendront à améliorer la qualité de l’affichage de la scène en temps réel par le biais d’une mise à jour logicielle. Espérons.
Le piqué d’image absolu (en plein jour)
Nous avons déjà testé le capteur Foveon Quattro dans les DP Quattro. Celui qui équipe cet hybride en a les mêmes attributs : le piqué d’image à 100 ISO est tout bonnement ahurissant. C’est bien simple, analysés à la loupe, les clichés de ce capteur de 19,6 Mpix égalent ceux produits par un boîtier à super grand capteur 40 Mpix coûtant plusieurs milliers d’euros.
Comme d’habitude, nous vous encourageons à ne pas nous croire sur parole, mais à constater vous même la qualité des images en visionnant et téléchargeant les clichés haute définition sur notre album Flickr (clichés issus de fichiers RAW X3F développés dans Sigma Photo Pro 6.4.1 en TIFF puis compressés en Jpeg q=10 dans Photoshop).
Oui, le SD Quattro est, en plein jour et sur des sujets immobiles, supérieur en termes de piqué d’image à tout autre reflex ou hybride même plein format. Chaque feuille, chaque branche, chaque élément de l’image présent dans la zone de netteté se dévoile, se découpe, ressort. Plus que piquée, on a l’impression que l’image est ciselée. Une fois encore, le Foveon démontre, en pleine lumière, sa capacité à faire ressortir les matières, les volumes, les textures. Si les reporters n’en auront cure au regard de ses lenteurs, les photographes de studio (portraits, produits, etc.) et les amateurs de photo de paysages seront plus que comblés.
Lent comme un lamantin
Le lamantin est, avec son cousin sirénien le dugong, le seul mammifère marin herbivore. Il est gros, lent et paisible… comme le Sigma SD Quattro. Volumineux comme on l’a déjà dit, le SD Quattro est d’ailleurs lent dans presque tous les domaines : de l’autofocus au temps d’enregistrement des clichés sur la carte mémoire en passant par l’édition des clichés dans le logiciel d’ordinateur Sigma Photo Pro. Bref, tout le flux de travail du SD Quattro est mou du genou. Seul son menu, sobre et très clair, réagit vite et bien. Hyperactifs impatients, passez votre chemin, vous allez devenir fous.
Ce qui serait une catastrophe pour les rois de la vivacité que sont les boîtiers de Panasonic, Olympus ou Sony n’est, pour Sigma qu’une contrainte lointaine, compte tenu de la cible de ce boîtier : des photographes d’art au comportement contemplatif. Mais même ceci admis, il serait tout de même de bon ton que Sigma mette le paquet sur l’électronique et le logiciel…
ISO : roi à 100, mécréant à 800
Comme nous l’avons vu, la qualité d’image du SD Quattro est au firmament à 100 ISO. Seulement contrairement à un boîtier classique, la dégradation des performances du capteur dans les hautes sensibilités ne se dégrade pas petit à petit : elle s’effondre dès 800 ISO. Même une valeur classique de 400 ISO voit apparaître les premiers errements d’un capteur qui peine à engranger suffisamment de lumière à cause de ce capteur à trois couches.
Aussi affreux soit-il (lire plus loin), le logiciel Sigma Photo Pro permet de récupérer des informations colorées du fichier RAW qui ont été perdues dans le Jpeg issu du boîtier. Mais même ainsi, SPP ne peut faire des miracles et le niveau de bruit reste vraiment trop fort.
Rendu noir & blanc : la touche argentique
C’est l’un des paradoxes de ce boîtier : si le SD Quattro est l’appareil le plus numérique dans sa capacité à offrir une image en couleur à la précision chirurgicale, c’est aussi, a contrario, l’un des meilleurs dans sa capacité à produire des clichés noir & blanc au rendu argentique. Il semble que cela soit, là encore, son capteur Foveon Quattro qui, dépourvu de filtre passe bas et de routine dématriçage, puisse simuler au mieux un grain argentique.
Le rendu noir & blanc et la gestion de son grain se pilotent depuis le logiciel gratuit Sigma Photo Pro. Un logiciel dont il faut que nous vous parlions…
Sigma Photo Pro ou “la patience est une vertu”
Les proverbes sur la patience sont légions et nous vous garantissons que vous allez avoir le temps de les apprendre si vous utilisez Sigma Photo Pro (SPP). Disponible gratuitement sous Windows et Mac OS, ce logiciel est le seul moyen officiel à l’heure actuelle pour éditer les énormes fichiers RAW issus des boîtiers Sigma. Le problème est que si Sigma est une belle marque photo, ce n’est pas un électronicien. Si on ajoute à cela le manque de compétition dans l’analyse des données des capteurs Foveon – Sigma a racheté Foveon et elle est la seule entreprise à utiliser ces capteurs – on comprend pourquoi SPP n’est pas optimisé.
Et quand on dit « pas optimisé », on reste poli : SPP est un vrai veau – pardon, un lamantin, mais c’est un peu pareil côté vivacité d’esprit. Sur notre gros Core i7 4770 à 3,4 GHz épaulé par 16 Go de RAM DDR3, un gros SSD de 512 Go et une petite Nvidia Quadro K600, l’ouverture, le développement et l’export des fichiers RAW n’est pas une opération lente : c’est exaspérant.
Comptez dix bonnes secondes pour l’ouverture d’une image, plus dix autres pour charger à 100% le fichier (non, les images ouvertes ne sont pas chargées à 100%…) et (au moins) 10s de plus pour chaque modification opérée comme l’exposition, la netteté, la correction des ombres, etc. Les fichiers du Quattro sont plus gros que ceux de la génération Merrill et les progrès dans leur édition sont tout bonnement nuls. Il est grand temps que Sigma embauche des spécialistes logiciels.
En attendant, on va continuer d’apprendre toutes les vertus que confère la patience…
La prouesse du made in Japan by Sigma
Petit poisson dans un aquarium où les autres acteurs sont bien souvent des monstres industriels, Sigma est une entreprise avec une culture et une conscience très fortes. Tellement fortes que certains choix, notamment la production d’appareils photo, ne sont pas soumis aux mêmes impératifs de rentabilité que chez les gros – le PDG de Sigma, Kazuto Yamaki, affirme que la production d’appareil est la poursuite du rêve de son défunt père, Michihiro Yamaki, fondateur de l’entreprise et que cela ne rapporte que du savoir-faire dans la production d’optiques. A l’heure où une gamme d’appareils peut disparaître du jour au lendemain pour cause de contre-performances pendant quelques trimestres, cette vision de passionné est plus que rafraîchissante.
On s’émerveille donc d’autant plus de la capacité de Sigma à produire tout seul, dans son coin et presque à 100% au Japon, un boîtier qui offre, pour 800 euros hors optique, la même qualité d’image à 100 ISO (voire mieux) qu’un Nikon D810 à 3000 € avec une optique à 2000 €, nécessaire pour obtenir un tel niveau de piqué. Le SD Quattro a des défauts (plein), mais son rapport “qualité d’image-qualité de fabrication-prix” force le respect.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.