Brut. C’est le premier mot qui vient à l’esprit quand on prend le M10 pour la première fois en main. Pour qui manipule au quotidien des appareils « nippons » classiques, le M10 fait l’effet d’un lingot de métal, dense et brut de décoffrage. Les lignes sont simples, les commandes réduites à leur plus simple expression, le design épuré à l’extrême.
La densité du boîtier peut rebuter les non Leica-istes, habitués à la légèreté des boîtiers en alliages de magnésium, mais les ingénieurs de Leica le justifient autant par le poids de l’histoire – encore et toujours ! – que par le supplément de stabilité qu’il apporte, stabilité d’autant plus nécessaire que ni le capteur ni les optiques ne le sont.
M10, le M6 numérique ?
Le M6 est considéré par beaucoup comme la référence de la série. De par son format agréable – bien plus compact que le gros M5 ! – et le juste équilibre entre technique (cellule, obturateur) et rusticité, le M6 est un favori de nombreux photographes, pour les photoreporters notamment. Le M10 est de manière avouée, l’héritier de ce prestigieux boîtier.
En matière de prise en main tout se joue ici à quelques millimètres que le M10 a gagné par rapport au M240, des millimètres qui changent tout : le M10 reçoit juste ce qu’il faut de finesse pour être plus agréable à manipuler. Le commun des mortels apprécierait logiquement l’intégration d’un grip et d’un repose pouce de série. Un argument qui ne prend pas chez Leica : « Un M est un M, nos utilisateurs ont leurs habitudes », nous répond-on quand nous soulevons cette absence. « Ceux qui veulent un grip ou un repose-pouce peuvent en adjoindre un s’ils le souhaitent, le retirer serait impossible ». C’est ce qui s’appelle le poids de la tradition.
Pour poursuivre sur le parallèle avec le M6, tout comme son aïeul, le M10 a épuré la fiche technique de son prédécesseur le M240 – exit la vidéo – pour se concentrer sur la photo. Ce qui signifie moins de boutons au dos de l’appareil. Le mot d’ordre est ici la photo, pure et dure. Un rigorisme qui séduit. Ou rebute.
Même définition, nouveau capteur
Rien ne bouge dans la définition d’image : comme son prédécesseur le M240, ce nouveau M10 est équipé d’un capteur CMOS plein format 24×36 bardé de 24 millions de photosites – 24 mégapixels en langage de tous les jours (même si c’est un peu faux*). Pas de montée dans les très hautes définitions, les 36 Mpix de Nikon, les 42 Mpix de Sony ou les 50 Mpix de Canon. Loin d’être subie, cette stagnation de la définition est voulue.
* les photosites d’un capteur captent les informations d’une seule couleur – vert, rouge ou bleu – et recréent les valeurs manquantes à partir des photosites adjacents. Un « vrai » pixel code pour 3 couleurs comme c’est le cas dans les capteurs Foveon de Sigma. Les images finales produites font bien 24 mpix, mais grâce à des bidouilles algorithmiques. C’est le cas dans tous les appareils photo (reflex, smartphone, etc.) du monde. Sauf chez Sigma, of course.
« 24 Mpix représente le meilleur équilibre entre définition et performances en basses lumières », affirme Stefan Daniel, directeur produit de Leica qui ajoute que les équipes de la marque allemande « ont travaillé avec nos partenaires – fournisseurs de lentilles, de verres, fondeur, etc. – pour créer un capteur original, unique en son genre et exclusif à notre marque ». Et au M10 puisqu’aucun autre produit Leica n’embarque pour l’heure ce nouveau composant. Notre seul reproche à ce capteur est d’ordre mécanique : il n’est pas stabilisé contrairement à ceux de Sony (génération A7x Mark II), eux aussi plein format. C’est dommage, mais outre le fait que le télémétrique s’accommode mal des longues focales, c’est aussi une façon d’éviter une éventuelle panne du mécanisme et s’avère conforme avec le côté rustique de l’appareil.
Ce nouveau capteur améliore la montée en hautes sensibilités d’un cran par rapport à celui qui équipe le M240 : le niveau de bruit du M10 à 6400 ISO est comparable voire un peu meilleur que ce que produisait son prédécesseur à 3200 ISO. Sans être le champion des basses lumières, le M10 offre une montée en ISO très progressive et très propre, avec le « plus » Leica : un rendu du bruit numérique très proche du « grain » argentique et ce jusqu’à 12 500 ISO (au-delà, les virages et dégradations portent clairement la marque du numérique).
Parfait jusqu’à 3200 ISO le M10 est toujours très bon à 6400 ISO. Pour monter au-delà de cette valeur, il faudra choisir la position M de la molette des ISO et paramétrer la valeur dans les menus logiciels. Selon nos tests, le M10 reste tout à fait utilisable jusqu’à 12 500 ISO car, en dépit d’un grain plus fort, les couleurs et le niveau de détails se maintiennent très bien.
Less is more
Comme sur tous les M, la mise au point se fait manuellement. L’ouverture du diaphragme est elle aussi manuelle et se contrôle via la bague qui équipe toutes les optiques compatibles avec la monture M. Les seuls réglages automatiques que le M10 propose sont les contrôles automatiques de la vitesse et celui de la sensibilité, tous deux disponibles via la position “A” de leurs molettes respectives. Et encore, ces automatismes sont très facilement débrayables pour permettre aux vieux de la vieille – ou aux puristes – de retrouver les sensations d’antan où le photographe était responsable de tout. Attention cependant, ce jusqu’au-boutisme peut causer de violentes sous ou surexpositions ! Heureusement que le capteur en a un peu sous la pédale.
Bonne plage dynamique
La plage dynamique d’un capteur d’image est sa capacité à voir aussi bien dans les hautes que les basses lumières. De manière concrète, c’est la possibilité pour le photographe de récupérer des détails dans les nuages d’un côté et dans les ombres de l’autre – les capteurs étant moins sensibles que notre couple œil/cerveau, il est parfois difficile de restituer la scène telle que nous la voyons.
Dans ce domaine, le Leica M10 s’en sort très bien comme on le peut le découvrir dans les images développées ci-dessous à l’aide d’Adobe Lightroom CC.
Selon la nature de la scène, le type de récupération (sous/surexposition) et votre tolérance au bruit (sous-ex) et aux déviations de couleurs (sur-ex), le M10 offre une latitude allant jusqu’à 3 diaphragmes. C’est inférieur aux derniers capteurs Sony (jusqu’à +/- 4 diaphs), mais c’est déjà très bien. C’est une donne importante surtout quand on règle manuelle l’exposition : un brusque changement de lumière peut fortement dénaturer vos images.
Des couleurs tellement… Kodak !
Qu’ils soient performants ou pas, la majorité des boîtiers Leica numériques lancés ces dernières années offraient un très bon rendu des couleurs que nous qualifiions de « Leica ». Ce M10 ne fait pas exception et délivre de beaux clichés même en Jpeg. Des images dont les tons pourraient presque être qualifiés de très… Kodak ! Très liées dans leurs histoires et dans leurs philosophies, les champions occidentaux de la photographie ont toujours travaillé main dans la main pendant des années – les films de référence que sont T-Max et Tri-X allaient bien souvent de pair avec un bon Leica, de même que le Kodachrome pour la couleur.
Loin des rendus froids de certains constructeurs, les Jpeg couleurs produits par le M10 sont chauds et doux. En noir et blanc, notamment en hautes sensibilités, le bruit numérique devient un très beau « grain » argentique, rond et agréable à l’œil.
De nombreux photographes préfèreront travailler avec les fichiers négatifs numériques, les RAW, ce d’autant plus qu’ils sont au format .DNG et éditables avec n’importe quel logiciel. Mais le fait de disposer de bons Jpeg est un avantage certain notamment pour les photographes qui doivent envoyer rapidement des épreuves voire des fichiers finaux.
Enfin un processeur puissant
Un M n’est pas un reflex de sport qui débite 10 images par seconde. Il n’empêche que jusqu’ici, les M souffraient d’une mémoire tampon insuffisante ou trop lente qui conduisait les boîtiers à bloquer après un enchaînement de prises de vues trop intenses. Motorisé par un processeur plus puissant épaulé par 2 Go de RAM, le M10 arrive à tenir une cadence allant jusqu’à 5 i/s et n’a jamais souffert de ralentissement même en shoot en séquence. On retrouve la vélocité de l’argentique… sans avoir à changer la pellicule au bout de 36 poses, ce qui est quand même un beau progrès !
Les inconnues du long terme
Entre l’oubli du filtre infrarouge des M8, les capteurs CCD de certains M9 qui se sont fendus, des batteries aux comportements erratiques et des problèmes de compatibilité de carte mémoire qui sont apparus chez les M9 et M240, Leica n’a pas été épargné par les soucis techniques sur les prédécesseurs du M10.
Un élément cependant incite à être confiant dans ce M10 : la collaboration de Leica avec Panasonic, collaboration qui a mené à l’excellent Leica Q par exemple. Epaulé par Panasonic dans le domaine de l’électronique, le « petit » allemand profite du savoir-faire industriel d’un géant japonais dans la conception comme dans le choix des composants. Les récents succès de Leica – la marque ouvre des Leica Store à la pelle sur tout le globe – et l’arrivée d’un fonds d’investissement au capital lui ont aussi offert la possibilité de renforcer les contrôles qualité et la maîtrise des composants choisis. Croisons les doigts.
Charmes et limites de la visée télémétrique
Votre serviteur adore la visée télémétrique. Le fait d’avoir un viseur qui dévoile la scène au-delà du cadre de visée qui permet d’anticiper les mouvements des sujets et le déclenchement instantané sont des armes de choix pour « sentir » et capturer le moment.
Mais il ne faut pas idéaliser la visée télémétrique pour autant : l’absence d’autofocus conduit à un plus grand nombre de « déchets », d’images floues. Si c’est aussi en cela que les images produites par un M sont différentes de celles capturées par les reflex/hybrides et leurs puissants autofocus, il vaut mieux être prévenu avant de songer à faire le grand saut !
Leica M, le temps suspendu
Les détracteurs de Leica argueront pour la énième fois que le M10 n’est pas à la pointe de la technique. Ils ont technologiquement raison. La concurrence offre plus de fonctionnalités – autofocus, modes créatifs, vidéo (souvent 4K), compacité, etc. Mais outre la disparition de l’argument d’un « Leica technologiquement largué » depuis la sortie du SL, boîtier très technique s’il en est, les haineux de Leica n’ont pas compris une chose : le M10 est un boîtier pour les amoureux de la lignée M, des photographes qui accumulent parfois plusieurs décennies de travail avec un système né dans les années 50. Des gens qui ne veulent pas changer leur façon de faire ni de voir les choses. Le M10 n’est donc pas « l’appareil ultime », c’est un boîtier qui répond à une histoire et une façon de photographier qui a ses propres forces et contraintes.
En cela, le M10 est une réussite : il reprend le format du M « ultime », le M6 argentique, tout en offrant les fondamentaux numériques dont les photographes qui aiment ce format ont besoin. A savoir un écran LCD pour voir les images (et éventuellement viser), une mémoire tampon capable d’encaisser des périodes de rush autour d’un sujet et les automatismes fondamentaux de la photographie (mesure de la lumière, ISO et vitesse). Juste ce qu’il faut pour se concentrer sur l’instant présent et travailler le cadre dans lequel on va l’enfermer.
Le public de ce genre d’appareil est certes restreint, mais le M10 existe pour satisfaire ses exigences. Et nous nous réjouissons que les photographes aient toujours la possibilité de shooter en télémétrique numérique en 2017 : plus il y a de choix d’appareils photo, plus il y a de façon de s’exprimer. Les faibles volumes, la construction européenne (Portugal et Allemagne) et le positionnement haut de gamme en font un boîtier onéreux. Mais de ce côté, rien de nouveau sous le soleil.
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