Tester le Huawei P40 Pro s’est avéré frustrant. Par son grand écran OLED quadruplement incurvé, son processeur Kirin 990 puissant mais économe, sa compatibilité 5G et, surtout, son quadruple module caméra de compétition, cet appareil a, sur le papier, tout du meilleur smartphone du marché. Comme l’année dernière avec son P30 Pro, Huawei nous montre qu’il n’est plus un outsider et qu’il fait désormais partie des maîtres de l’innovation au même titre qu’un Samsung ou un Apple, qu’il dépasse parfois même.
Malheureusement, Huawei est dans une drôle de situation. Devenu l’instrument du gouvernement américain dans une guerre économique contre la Chine, le constructeur n’a plus le droit de travailler avec une entreprise états-unienne sans une licence spéciale délivrée par l’administration Trump qui, vous vous en doutez, ne se montre pas très coopérative. Cette situation le prive de Google et de ses nombreuses applications, ce qui est fortement problématique sur un marché aussi mature que celui du smartphone, peu enclin à faire de la place à un troisième écosystème après plus de dix ans de duopole.
Pendant deux semaines, nous avons fait du Huawei P40 Pro notre smartphone principal. L’excellence matérielle peut-elle compenser les lacunes du logiciel ? Voici notre test du nouveau smartphone star de Huawei, commercialisé 1099 euros hors promotion.
La vie sans Google est possible… mais compliquée
Si vous êtes un lecteur assidu de 01net.com, vous savez sans doute que nos tests commencent généralement par une analyse du design de l’appareil. À situation exceptionnelle, nous avons décidé de bouleverser nos habitudes. Nous aborderons donc ce test par notre avis sur les alternatives à Google que propose Huawei. Cela nous permettra dans la seconde partie de notre test de nous concentrer exclusivement sur le matériel après nous être, disons-le clairement, débarrassé de ce point noir.
Voyons le côté positif, en seulement quelques mois, Huawei a fait d’immenses progrès. Utiliser un Huawei P40 Pro sans s’arracher les cheveux est possible, ce qui n’était pas le cas avec le Huawei Mate 30 Pro sorti en fin d’année. Pour cause, la marque a considérablement amélioré son écosystème maison. Le magasin d’applications AppGallery (au design toujours aussi peu occidental), censé remplacer le Play Store, ne se contente plus de lister le peu d’applications qu’il propose mais vous aiguille aussi vers des alternatives. Par exemple, si vous cherchez « Google Calendar », il vous redirige désormais vers le site mobile calendar.google.com. Même chose pour « Uber ». L’application n’étant pas compatible avec les nouveaux mobiles de la marque, il ajoute à votre écran d’accueil un lien rapide vers m.uber.com. Cela n’offre pas la même souplesse d’utilisation que les applications disponibles sur les autres smartphones Android, mais c’est déjà ça. Dans certains cas, un renvoi est même proposé vers des sites de téléchargement de fichiers d’installation APK comme APKpure ou Telecharger.com. Huawei a enfin compris qu’un magasin qui ne répondait « aucun résultat » à une requête aussi simple que « Facebook » n’était pas digne d’un grand constructeur. L’utilisateur est désormais, pour cette requête, orienté vers un APK. Tant mieux, même si malheureusement de (très) nombreuses applications manquent encore à l’appel. Rappelons d’autre part que télécharger un APK ne permet pas, après installation, d’accéder aux mises à jour automatiques. La marque chinoise prépare toutefois un système de notifications pour détecter l’arrivée d’un APK plus récent, mais il n’est pas encore prêt.
La situation inédite dans laquelle se trouve Huawei nous permet de réaliser à quel point Google a rendu son système d’exploitation « libre » propriétaire, ces dernières années. Par exemple, une application comme Citymapper utilise des APIs de localisation Google et ne peut donc pas s’ouvrir sur un Huawei P40 Pro, même si vous installez clandestinement son APK. Même chose du côté streaming vidéo où la la gestion des droits numériques (DRM Widevine) nécessaire au bon fonctionnement d’un Netflix ou d’un myCANAL ne fonctionne qu’avec les services Google. Disney+ et Prime Video fonctionnement, quant à eux, normalement, mais les trouver est compliqué. Cela rend quelques applications incompatibles avec le P40 Pro, même si vous multipliez les astuces pour les installer… Depuis peu, Huawei propose des APIs alternatives aux développeurs mais beaucoup tardent encore à les adopter. Nul doute qu’avec le temps, tout cela devrait s’améliorer. La majorité des développeurs que nous avons contactés avant de rédiger ce test nous ont affirmé être en contact avec Huawei. Un certain nombre d’entre eux nous a cependant indiqué qu’ils comptaient refuser de passer aux APIs de la marque.
La bonne nouvelle est que, sur les 40 applications incompatibles avec notre Mate 30 Pro en fin d’année, plus de la moitié fonctionnent désormais. Huawei envoie ses équipes chez les grands développeurs pour les convaincre de rejoindre son écosystème et certains se laissent tenter par l’aventure.
Pour en savoir plus : Web-apps, liens externes, hotline : comment Huawei s’adapte à l’absence de Google
Pour profiter de la plupart de nos applications habituelles sur le P40 Pro, nous avons opté pour un magasin tiers -en l’occurrence Aurora Store, qui liste plein d’APK, les installe et les met à jour. Problème, chaque installation doit se faire manuellement. Autrement dit, mettre à jour trente applications nécessite… plus d’une trentaine d’étapes. Quel enfer. Autre exemple de comportement étrange, dans Twitter (que l’on installe soi-même par APK), toucher un tweet vous propose parfois d’ouvrir votre navigateur plutôt que de rester dans l’application, sûrement à cause d’une API manquante. Certaines applications vous envoient aussi des notifications avec du retard. En l’état, il n’existe pas de manière simple de profiter de son Huawei P40 Pro comme de n’importe quel autre smartphone Android. L’utiliser comme smartphone principal est possible mais, encore une fois, n’est pas fait pour tous. D’ailleurs, ne vous fiez pas à l’avis de nombreux influenceurs sur le sujet. Huawei a, selon nos informations, déboursé plus de 100.000 euros dans le sponsoring de vidéos pour calmer les critiques. Le mieux reste de vous forger votre propre avis.
Pour conclure cette première partie, nous dirons qu’avec son P40 Pro, Huawei réussit à nous prouver que la vie sans Google est tout de même possible si l’on est prêt à faire quelques concessions et, surtout, à perdre du temps. Si vous êtes un fan de l’entreprise ou plus généralement de nouvelles technologies, vous devriez parvenir à vous y faire… voire réduire votre dépendance à Google, ce qui ne peut être qu’une bonne chose. Il est, en revanche, encore trop tôt pour que nous recommandions le Huawei P40 Pro à un très large public. Espérons que, d’ici la fin de l’année, Huawei aura fait encore plus de progrès. Un troisième écosystème à la hauteur d’Apple et Google ne peut qu’être bénéfique au marché… à condition qu’il réussisse vraiment à devenir un sérieux concurrent d’Android.
Un design somptueux
Attaquons désormais la partie beaucoup plus élogieuse de ce test puisque, comme vous allez le constater, nous aimons beaucoup ce P40 Pro. Son écran OLED de 6,58 pouces (90 Hz), incurvé sur les côtés mais aussi en haut et en bas, est le premier en son genre. Cela rend le design de ce smartphone extrêmement moderne et cela fait des bordures un concept qui appartient passé (on adore au passage la manière dont les coins de l’écran sont arrondis). La courbure de la dalle du P40 Pro est sublime, sans être contraignante. Voilà une première démonstration de force de Huawei : trouver le parfait équilibre entre écran totalement incurvé et utilisation normale. La paume de notre main n’a jamais interagi par mégarde avec cet écran, ce qui est une vraie prouesse.
Seul défaut, le poinçon. On ne comprend pas pourquoi Huawei a décidé d’en faire un aussi large… En haut à gauche du mobile se trouve un immense ovale qui accueille deux appareils photo et un capteur infrarouge. Leur mission est d’améliorer la qualité des selfies en mode portrait, puisque le deuxième module caméra se contente de mesurer la profondeur de champ. Nous aurions largement préféré disposer d’appareil photo ultra grand-angle comme sur le Pixel 3. En revanche, avantage du capteur infrarouge, la reconnaissance faciale fonctionne la nuit. C’est déjà ça de gagné.
Parlons enfin du dos de ce Huawei P40 Pro. La couleur « gris frosté » de notre mobile de test est, tenez-vous bien, la plus belle que nous ayons eu sous les yeux ces dernières années. Certes, tout cela reste subjectif, mais nous en sommes vraiment fan. On croirait regarder un nuage. Le quadruple module caméra du smartphone, rectangulaire et d’une assez grande superficie, ne perturbe pas trop l’équilibre visuellement. Les équipes design de Huawei ont bien travaillé !
Un écran qui manque curieusement de luminosité
À notre grande surprise, l’écran du Huawei P40 Pro est moins lumineux que celui de son prédécesseur. Notre laboratoire a mesuré une luminosité maximale de de 592 cd/m2, contre 697 cd/m2 pour le P30 Pro. Cette mesure n’est pas mauvaise mais fait tout de même du P40 Pro le smartphone haut de gamme le moins lumineux du moment, un titre que Huawei aurait certainement préféré laisser à un concurrent. En utilisation quotidienne, cela ne devrait pas, on vous rassure, poser de problème. Il n’y a qu’en plein été, en plein soleil, que vous aurez éventuellement besoin de plisser les yeux pour décrypter ce qu’il y a d’affiché sur l’écran.
En ce qui concerne la fidélité des couleurs, Huawei est dans la moyenne des smartphones haut de gamme. Par défaut, on tend un peu trop vers des teintes vives (Delta E = 4,52), mais en optant pour l’affichage dit « couleurs normales par défaut », c’est déjà plus satisfaisant (Delta E = 2,56). Huawei fait néanmoins moins bien que Samsung et Apple, la calibration des écrans OLED n’est pas un art dans lequel la marque se distingue le plus.
Une excellente autonomie
En termes d’autonomie, Huawei est l’un des meilleurs. Ses processeurs Kirin font partie des moins énergivores du marché et EMUI, sa surcouche, se montre particulièrement agressive envers les logiciels en arrière-plan susceptibles de consommer outre mesure. Tout est fait pour vous permettre de poursuivre vos activités le plus longtemps possible, sans avoir besoin de courir derrière une prise électrique.
Sans égaler l’excellence en la matière d’un P30 Pro, le Huawei P40 Pro réussit parfaitement à passer le cap d’une journée classique d’utilisation sur une seule charge. Avec une autonomie polyvalente de 14h23, il devient le premier smartphone 5G testé par 01net.com doté d’une aussi bonne autonomie qu’un appareil 4G. En streaming, il est possible de regarder 12h22 de vidéos d’affilée sans interruption. Enfin, en communication, le Huawei P40 Pro résiste 21h13. C’est, une nouvelle fois, très satisfaisant. Les Galaxy S20 de Samsung sont bien moins lotis.
Pour en savoir plus : Huawei P40 : nos premiers tests confirment qu’un smartphone 5G peut être endurant
Enfin, sachez que le Huawei P40 Pro ne met que 1h02 à se recharger intégralement grâce à son chargeur ultra-rapide de 40W fourni dans la boîte. En 10 minutes, on récupère même 30% de batterie, de quoi tenir une soirée entière facilement. Le mobile est aussi compatible avec la recharge sans-fil 27W. Il peut même redonner de l’autonomie à un autre smartphone ou des écouteurs posés sur son écran grâce à sa fonction de charge inversée Qi.
Un équipement au top du top
Sans être aussi puissant que l’Apple A13 Bionic ou le Qualcomm Snapdragon 865 selon nos tests de benchmarks, le processeur Kirin 990 5G du Huawei P40 Pro délivre des performances exceptionnelles. Tout fonctionne merveilleusement sur le smartphone, ce qui ne nous surprend pas étant donné le savoir-faire de Huawei. Ce SoC est aussi le premier avec modem 5G intégré, ce qui devrait réduire sa consommation énergétique une fois le réseau 5G lancé en France. Le Wi-Fi 6 est également supporté.
Pour déverrouiller son P40 Pro, en plus d’une reconnaissance faciale infrarouge évoquée plus haut, Huawei propose un capteur d’empreintes optique sous l’écran de son smartphone. Très rapide, ce dernier est l’un des meilleurs que nous ayons testé ces dernières années. Seul défaut, il ne fonctionne pas très bien avec les doigts mouillés (celui de Samsung, ultrasonique, est bien meilleur sur cet aspect).
Au niveau des retours haptiques, la proposition de Huawei se montre, selon nous, moins convaincante que celle de la concurrence. Le smartphone dispose d’un bon vibreur mais n’interagit avec vos doigts que très rarement. Ce que OnePlus et Apple proposent est bien meilleur.
Un haut-parleur qui fait mal à l’oreille
L’équipement du P40 Pro est parfait, à un détail près. Comme son prédécesseur, le smartphone n’a pas de grille de haut-parleurs au-dessus de son écran. Le son circule à travers la dalle, ce qui permet techniquement de placer son oreille n’importe où lorsque l’on téléphone. Une véritable prouesse technologique, un peu gênante dans certains cas.
Malheureusement, nous devons avouer que nous aurions préféré un haut-parleur à l’ancienne. Cette nouvelle configuration détériore le rendu stéréo des haut-parleurs et, surtout, produit un son bizarre à l’oreille. C’est comme si notre interlocuteur nous criait dessus. Certains n’y verront pas de problème, pour notre part, ce choix s’est montré gênant à l’usage.
Le roi de la photo conserve son trône
Bien sûr, comment tester un smartphone Huawei sans parler de la photo. La gamme P s’est imposée comme une des meilleures en la matière en seulement quelques années et ne cesse de nous impressionner chaque année. Une fois n’est pas coutume, Huawei sort le grand jeu. Le P40 Pro embarque un capteur géant de 50 Mpix (1/1,28 pouce, un record) doté de sa technologie SuperSpectrum. Cela consiste en un remplacement des photosites verts par des photosites jaunes, on parle alors de RYYB (Red Yellow Yellow Blue) plutôt que de RGB (Red Green Blue). Le SuperSpectrum améliore la qualité des photos en mode basses lumières, ce qui est assez magique. Le P40 Pro voit dans le noir total là où des smartphones concurrents ont besoin d’un peu de lumière pour décrypter quelque chose, avec moins de précision. Ici, on arrive à lire sur des étiquettes.
Comme l’année dernière, on remarque tout de même quelques difficultés colorimétriques la nuit. Les images virent un peu trop au jaune, ce qui laisse supposer que le SuperSpectrum a des difficultés à effectuer la balance des blancs. C’est d’autant plus visible qu’en passant rapidement d’un module photo à un autre, on remarque que les couleurs ne sont plus les mêmes. La netteté reste néanmoins hautement supérieure à la concurrence malgré l’absence de lumière.
De jour, le P40 Pro se montre excellent. Il est difficile d’être déçu par la qualité de ses photos. Encore une fois, nous ne lui reprochons qu’un manque de cohérence colorimétrique entre ses modules caméra. L’iPhone 11 Pro d’Apple, le meilleur élève dans ce domaine, fait bien mieux.
Le second capteur du P40 Pro est emprunté au Mate 30 Pro. Il mesure 1/1,54 pouce, offre une définition de 40 Mpix et sert à la fois à la prise de photos ultra grand-angle (au format 16:9 !) et à la vidéo. Il est d’ailleurs le seul du marché capable de filmer en ralenti à 7680 images par seconde, ce qui s’avère complètement hallucinant. Nous nous avouons bluffés par sa capacité à filmer la nuit, largement supérieure à certains smartphones concurrents. On peut complètement exploiter ces images !
Bien sûr, que serait le successeur du P40 Pro sans un zoom périscopique d’exception ? Rattaché à un capteur de 12 Mpix, ce dernier offre un zoom optique x5, un zoom hybride x10 et un zoom numérique x50. Il a pour principale nouveauté l’introduction d’une matrice de Bayer modifiée similaire à celle du capteur principal. On passe donc du RGB au RYYB pour voir mieux la nuit, même à distance.
De jour, le zoom du P40 Pro est sans doute le meilleur du marché. Sa stabilisation surpasse celle de Samsung et la qualité des photos est vraiment excellente jusqu’en x10. De nuit, malgré le SuperSpectrum, nous sommes déçus. Le problème n’est pas seulement dans la fidélité des couleurs mais aussi dans la netteté (au-dessus de x10, ça devient impossible à regarder). Quelque chose nous dit que des correctifs logiciels devraient pouvoir améliorer ça, mais à l’heure actuelle, ce n’est vraiment pas terrible. Cela a beau être assez logique au vu de l’ouverture f/3.4 du module périscopique, on espérait un miracle grâce au RYYB. Ce n’est pas le cas. Espérons que Huawei fasse des correctifs à temps pour que notre test photo complet en bénéficie. Toujours est-il que, si nous nous montrons durs sur certains points, nous reconnaissons que le module caméra du P40 Pro est vraiment exceptionnel. Peu de smartphones, pour ne pas dire aucun, ne sont aussi polyvalents.
Enfin, mentionnons la présence d’un capteur ToF dédié à la mesure des distances et de la profondeur de champ. Huawei a aussi ajouté quelques nouveaux modes logiciels comme, par exemple, le mode « Golden Snap » qui permet de « sauver » une photo où quelqu’un a baillé ou fermé les yeux. On peut aussi supprimer des passants grâce à l’exposition longue. Le tout est très efficace et montre, encore une fois, le savoir-faire du géant chinois.
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