Micro Photo Vidéo : Dans votre travail artistique, sujet et forme semblent se réunir autour de l’outil numérique. Quelle est votre thématique ?Christophe Luxereau : Je travaille sur l’interaction entre le corps humain et la machine. J’essaie de trouver une esthétique propre au numérique, qui reposerait sur la réflexion suivante : comment évolue-t-on aujourd’hui avec les outils numériques qui nous accompagnent au quotidien ? Comment se comporte-t-on en réseau sur son ordinateur ? Comment l’outil devient-il un prolongement de nous-même ? Comment l’intégrons-nous ou nous intègre-t-il ? Mon travail est une sorte d’analyse métaphorique et esthétique du numérique. La série Avatars développe par exemple la notion de réseau par une analogie entre réseau ferroviaire et réseau Internet ; la série Pièces détachées montre le corps robotique à la commande ; Electrum corpus imagine la chirurgie numérique de demain. Des images à l’esthétique BD, médicale ou mode, mais dans le prolongement de nos préoccupations contemporaines : une communication effervescente, le contrôle de son image, l’obsession du corps, etc.
MPV : Vos images mêlent à la fois univers fictionnel et esthétique réaliste. Quelles sont vos références, vos sources d’inspiration ?C. L. : Je suis un enfant des années 60 et de la culture de masse. Ma génération est très liée à l’image, qui a explosé à travers la télévision, le cinéma, la presse. Je puise mes inspirations aussi bien dans l’univers de l’animation et de la BD que dans la science-fiction littéraire et cinématographique (Blade Runner, Planète interdite, Star Wars, les films de David Cronenberg). Je m’intéresse aussi beaucoup à l’anatomie et me penche souvent sur des livres médicaux. Mes références esthétiques sont aussi très liées à la mode, au design, aux arts graphiques contemporains en général. Je m’inspire également de l’idée de beauté artificiel le véhiculée par les publicités.
MPV : La série Avatars développe une réflexion sur Internet, notre présence sur le réseau et nos liens avec lui. Comment l’avez-vous traduit en images ?C. L. : La série Avatars est composée de trois images représentant l’homme au bout des réseaux. Comme visuel de base, je suis parti, par analogie, du premier réseau existant, c’est-à-dire le réseau ferroviaire. Les trois personnages évoluent dans les gares de trois grandes métropoles, Paris, New York et Tokyo, symboles de l’activité du réseau international. Des points communs les lient sur la toile : le train, le quai, les rails. Chaque ville offre un point de vue différent : j’ai considéré Paris dans sa dimension touristique et romantique, Tokyo dans une vision manga très caricaturale, et New York dans la bulle autoprotectrice des États-Unis. La transparence des personnages, flottant dans le décor, vient signifier la dimension immatériel le de la présence humaine sur le réseau. Chaque sujet ne possède pas un type physique lié au lieu, car les ‘ avatars ‘ sont les incarnations factices que les anonymes se donnent sur le réseau ; une image de soi contrôlée et différente de la réalité. Je m’intéresse beaucoup aux comportements sur le Net ou dans les jeux vidéo. Je vois bien comment les gens essaient de communiquer à travers un personnage.MPV : Vos images sont entièrement numériques. Quelles en sont les diverses origines et quelles sont les étapes de leur fabrication ?C. L. : Mes séries sont 100 % numériques pour concilier le discours sur la création avec sa mise en ?”uvre technique. Les prises de vue sont numériques et intégrées dans Photoshop, avec quelques éléments graphiques (symboles, logo ou lettrines) dessinés avec Illustrator et des décors ou matières 3D, modelés avec Cinema4D. Mon travail commence avant tout graphiquement par une maquette en 3D qui me permet de réfléchir à la façon dont je vais construire mon image. Quel sera le point de vue, comment va s’élaborer le décor, où se placeront les personnages ?
MPV : Dans la série Gynoïdes, vous proposez des corps humains en pièces détachées, des bijoux prothèses, etc. Pensez-vous que cela soit un futur plausible ?C. L. : Les Gynoïdes (Pièces détachées et Electrum corpus) montrent comment développer une nouvelle esthétique du corps en y intégrant le design. Mon travail est une proposition, ou mieux, je l’espère, une anticipation à dix ans près de ce que pourrait être notre vision esthétique et fonctionnelle du corps. L’art en plus et la science en moins, je ne pense pas être très loin des préoccupations des chercheurs contemporains qui étudient la biocompatibilité de matériaux non organiques avec le corps humain, comme la possibilité de greffer un ?”il artificiel, des pieds ou des genoux mécaniques.
MPV : La photographie participe au réalisme de vos compositions. Quand avez-vous franchi le cap de la photo numérique ?C. L. : Il y a trois ans. La définition des reflex et la rapidité de certains dos numériques professionnels (capture normale à 1/125 de seconde) devenaient suffisantes pour pouvoir rivaliser avec mon matériel argentique, et le remplacer. J’ai donc acheté un Nikon D100 à 6 millions de pixels pour mon travail à destination de la presse (des images limitées au format A4). Pour mes créations personnelles ou des images de mode, je loue ou je me fais prêter un dos numérique professionnel, afin d’obtenir des formats 50 x 60 cm (fichiers de 50 Mo) exploitables pour des tirages d’exposition allant jusqu’à deux mètres de hauteur. Je recherche la plus grande qualité possible pour que l’image puisse ensuite soutenir un regard très ‘ détaillant ‘. Louer me permet de tester la dernière version d’un matériel. Mais avant chaque séance, je dois me familiariser avec une nouvelle interface, des réglages différents.
M P V : Avez-vous la moindre nostalgie de l’argentique ?C. L. : Bien au contraire. Je veux être dans le train des créateurs d’aujourd’hui, qui cherchent un nouveau regard, une nouvelle expression avec des outils contemporains. Je ne vais pas faire de la photo à l’ancienne avec du numérique, je n’en vois pas l’intérêt. Je trouve par exemple absurde de proposer sur les compacts numériques des filtres sépia ou noir et blanc pour imiter les effets propres à l’argentique. Ou encore d’essayer de restituer un grain photographique sur des images numériques. Grain, pixel ou bruit parasite, la matière est propre à la surface sensible utilisée, film ou capteur, et doit correspondre à une démarche artistique. La granulation poussée des films Tri-X dans les images noir et blanc de Robert Frank avait du sens et correspondait à une recherche de ‘ non-esthétique ‘ devenue, par son succès, une véritable école de la photographie ! J’admire les grands photographes qui maîtrisaient avec intelligence les outils de leur époque, comme Julia Margaret Cameron, pionnière de la photographie, à la fin du XIXe siècle. Nous devons faire la même chose avec les outils d’aujourd’hui. Je m’intéresse à tous les formats numériques de mon époque, sans discrimination : la vidéo, le téléphone, etc. Je veux que mon travail s’inscrive aussi dans cette actualité technologique.
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