Que cachent les prix cassés de la rue Montgallet ?
Service après-vente inexistant, marges minuscules, importations en direct d’Asie : pour pratiquer des tarifs défiant toute concurrence, les revendeurs informatiques installés dans le XIIe arrondissement de Paris multiplient les astuces. Quitte à tomber parfois dans l’illégalité.
Des tarifs affichés sur des feuilles scotchées à même les vitrines des magasins, des dizaines de clients qui se pressent dans des boutiques de quelques mètres carrés et des prix cassés sur tout le matériel informatique. Bienvenue à ‘ Chinastreet ‘ ou, pour être précis, dans le quartier Montgallet, situé au c?”ur du XIIe arrondissement de Paris. C’est dans ce secteur qui englobe la rue Montgallet et la rue de Charenton, à deux pas de Surcouf , que l’on trouve les prix les plus bas de France pour acheter des équipements high-tech. Jugez par vous-mêmes : un baladeur MP3 iRiver à 185 euros chez Charlie 12 contre 230 euros chez Surcouf, un disque dur Western Digital de 120 Go à 88 euros chez E Soph au lieu de 149 euros à la Fnac ou encore un graveur de DVD Plextor à 129 euros chez LCDIN contre 169 euros, toujours à la Fnac. Et on pourrait multiplier à l’infini ce type d’exemples. Pourtant, si les prix cassés font le bonheur des chalands, ils commencent aussi à agacer. Un patron de magasin informatique, situé en dehors du quartier Montgallet, explique : ‘ J’ai arrêté de faire de l’entrée de gamme car je n’arrivais plus à suivre les tarifs pratiqués rue Montgallet. Ils étaient devenus inférieurs à mes prix d’achat ! ‘ Voila le miracle de ce quartier de plus en plus fréquenté : des prix de vente au détail parfois plus bas que les tarifs des grossistes. Véritable miracle ou grosse supercherie ?
Des astuces plus ou moins legales
Une responsable chez un distributeur attitré de grandes marques d’imprimantes a décidé d’alerter la DRCCRF (Direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). ‘ Cela me pose un véritable problème car mes clients trouvent des tarifs moins élevés dans ces boutiques que chez moi alors que je vends en gros ‘, s’emporte-t-elle.Pour proposer des prix aussi bas, les vendeurs de Chinastreet ont multiplié les astuces. Certaines sont parfaitement légales et leur permettent de baisser les prix des produits d’environ 10 %. D’autres beaucoup moins : ‘ Rue Montgallet, il y a ceux qui ne trafiquent pas du tout et ceux qui trafiquent sur tout ‘, affirme un commerçant du quartier. Selon certains connaisseurs du système, la recette pour casser les prix est simple : les boutiques ne paient pas toujours la TVA, ce qui leur permet d’offrir un rabais de 20 % sur le prix de vente. Explication : certains vendeurs iraient s’approvisionner aux Pays-Bas ou en Italie. Les règles commerciales à l’intérieur de l’Union européenne autorisent en effet les échanges en hors taxe entre deux entreprises. Les marchandises sont rapatriées en France et les magasins font mine de les réexporter, toujours hors taxe, vers d’autres pays européens. De fausses factures émises par des ‘ sociétés écrans ‘ d’import-export permettent de tromper l’administration française. En réalité, les produits sont écoulés à Paris, à un prix défiant toute concurrence ! Ces pratiques auraient pris de l’ampleur depuis le début de l’année 2000, jusqu’à impliquer certains grossistes. Liés par contrat aux marques qu’ils représentent, ils se doivent d’écouler un certain quota de pièces par mois. De quoi inciter à bien des compromissions lorsque les ventes ralentissent. ‘ Pour nous, les affaires sont de plus en plus difficiles, à cause des trafics ! ‘, confirme le patron d’un des plus anciens magasins du quartier, situé derrière Surcouf. ‘ Je fais régulièrement des rapports aux constructeurs, mais rien ne change… ‘ On peut se demander pourquoi les fabricants n’ont pas pris le taureau par les cornes. Certains, qui surveillent pourtant les prix réellement pratiqués dans les boutiques, semblent même très bien se satisfaire de la situation. En réalité, ils ne sont pas touchés directement par les détournements de TVA ; dans cette affaire, c’est l’Etat qui est en effet perdant. De plus, la réputation de la rue est telle qu’ils en profitent aussi pour y écouler sous des marques génériques les stocks de produits de moins bonne qualité qu’ils ne souhaitent pas associer à leur nom. La rue Montgallet leur permet donc de gagner sur les deux tableaux : écouler leurs produits et leurs rebuts. Cela ne les empêche pas d’être attentifs aux prix pratiqués par les assembleurs.
Les constructeurs ferment les yeux
Ainsi, un important fabricant de cartes mères a chargé une personne de relever les prix régulièrement. Mais il n’intervient pas quand il note des tarifs curieusement bas… Un constructeur d’écrans TFT avoue, lui, entretenir de bons rapports avec ses revendeurs du XIIe arrondissement : ‘ Que certains magasins vendent nos écrans moins cher permet à plus d’acheteurs de découvrir nos produits ! ‘. Peu importe donc les moyens, pourvu que la rue donne de la visibilité aux constructeurs et qu’elle leur permette d’écouler leurs produits…Du côté de Surcouf, Pascal Griot, directeur du marketing, préfère croire que la proximité de la rue Montgallet engendre un phénomène de symbiose plutôt que de parasitisme. ‘ Les clients des assembleurs finissent toujours par venir nous voir ! ‘, affirme-t-il. Voire. Le magasin constate parfois une diminution de ses ventes sur des produits bien identifiés. ‘ Nous restons attentifs et vérifions les prix au moins une fois par semaine, et nous nous adaptons s’il le faut. Il peut aussi nous arriver de contacter un fabricant pour nous plaindre d’un prix trop bas rue Montgallet et obtenir une adaptation de nos conditions d’achat. ‘ Mais ce n’est pas le cas de tout le monde : ainsi un revendeur, installé depuis dix-sept ans, a, quant à lui, récemment fermé boutique : ‘ Il ne m’est plus possible de faire mon travail correctement en restant dans les limites de la légalité. Et je ne veux pas aller en prison ! ‘