Rencontres furtives au hasard d’une rue, d’une lumière, ces portraits féminins traduisent aussi bien l’âme cosmopolite et extravagante de leur ville-décor, New York, que la quête identitaire de la photographe, étrangère parmi des étrangères. Et la magie opère… Ces regards inconnus, directs, baissés, ou de biais, nous interpellent, nous interrogent, et deviennent même familiers, comme autant de reflets de nous-mêmes spectateurs.MPV : la démarche aussi bien que le résultat vous importent dans votre photographie. De quoi parle vos images ?Katerina Kampiti : ma photographie est la réunion de deux univers importants à mes yeux que sont le monde documentaire et mon monde imaginaire. Je photographie ce qui relève pour moi d’un monde magique, ce qui m’apparaît sorti d’un conte de fées, en essayant de le mettre en avant par une petite mise en scène, un cadrage spécifique, ou en jouant sur le mélange des lumières artificielles présentes. J’aime en particulier explorer la relation présence/absence de la figure humaine, dans un portrait ou même un paysage. J’ai aussi une idée très narrative de ma photographie. J’aime raconter des histoires ou transformer en images des histoires. J’ai par exemple mis en scénario et en scène le roman français Les Amours jaunes, de Tristan Corbière, comme on réaliserait un petit film avec des repérages, un casting d’acteurs, etc., le tout avec des moyens très simples. Cela a donné Candour (qui signifie, en grec, affronter les choses, les regarder sans détour) : une série photographique dont j’ai en suite pensé l’installation. Chaque étape d’un projet photographique est pour moi une création.MPV : vos portraits de femmes s’intitulent Une Histoire new-yorkaise. Racontez-moi comment vous est venue cette idée et de quelle façon vous procédez.K.K. : cette idée m’est venue simplement au cours de mes déambulations photographiques dans la ville. Aucune idée préconçue, juste l’envie de photographier des étrangers abordés dans la rue. Naturellement, j’ai photographié plus facilement des femmes, et ai commencé à porter mon attention uniquement sur elles pour ensuite uniformiser le style de mes portraits. Concrètement, je sors dans la rue avec l’intention de faire des images et me promène jusqu’à ce que mon regard soit interpellé par une présence ou un lieu, un vêtement, une attitude, un visage, une lumière. Quelle que soit l’heure, je sais qu’il se passera toujours quelque chose dans cette ville (New York) et que je croiserai quelqu’un. Parfois, c’est un lieu, et j’attends alors qu’une femme, qui fasse lien avec ce lieu, passe. Je l’aborde et lui demande si elle accepte que je réalise un portrait d’elle. Selon sa réaction, j’explique plus ou moins mon travail. Je la place à un endroit précis, mais jamais très éloigné de celui où je l’ai aperçue, car le lieu fait partie de l’histoire. Je la cadre en pied, format vertical et pose frontale, et lui demande de me regarder. Parfois, elles ne le font pas, alors je ne les force pas. Car mes portraits sont faits de ce qu’elles veulent bien me donner, en fonction de ce que j’ai réussi à leur donner. C’est un procédé de séduction, une aventure humaine et non un procédé photographique. Chaque rencontre est unique, une coïncidence entre un lieu, deux personnes, un moment, et ne dure que quelques minutes, pour quelques clichés, cinq à dix, rarement plus. C’est pour moi le mélange du documentaire, de la réalité brute prise dans la rue, et de la magie d’un dialogue, toujours nouveau, avec une étrangère. Un challenge à chaque fois : trouver le courage de l’aborder, les mots pour la convaincre, la compréhension immédiate de ce qui nous réunit.MPV : imaginez-vous cette série dans une autre ville ? Quel rôle joue New York dans votre série de portraits ?K.K. : New York est ce décor idéal où je peux réellement croiser, à toute heure de la jour née et de la nuit, des femmes de différents âges, milieux et origines. Chaque quartier est un décor de théâtre réel que tout le monde peut facilement identifier par son architecture, son ambiance, et les détails qui le caractérisent : la brique, les escaliers de secours, les rues défoncées. Même si on n’y est jamais allé, New York nous est familier. Elle est à la fois cette grande ville qui fascine par son aura financière, économique et culturelle, et ce village apparemment si accessible où se mélangent des tonnes d’étrangers qui parlent à peine anglais. Ce désir commun que l’on éprouve pour cette ville crée une connexion invisible entre nous : on est tous venus y faire quelque chose de plus ou moins grand. New York est cette synthèse utopique de nos cultures et civilisations, et de nos rêves de réussite sociale et artistique. Même Berlin qui connaît une émulation sans précédent n’offre pas ce double aspect de local et global. Pas encore. Mais je ne porte pas de regard sociologique sur cette ville, je n’en fais pas le recensement, mais un portrait à travers des femmes qui y vivent.MPV : quels appareils employez-vous ?K.K. : vaste question ! Je n’ai jamais cessé d’en changer. D’ailleurs, pour moi, la question technique a souvent été secondaire car je n’ai longtemps utilisé que des appareils que l’on m’avait donnés ou que j’avais gagnés lors de concours. D’abord un Nikon tout manuel Nikkormatt avec un 135 mm, puis un Nikon FM2 avec un 50 mm et encore un Canon EOS 5D avec zoom, très utile pour mes commandes de presse. Ce n’est que très récemment, avec mes premières payes, que je me suis offert mes deux premiers appareils, choisis spécifiquement : mon premier numérique, le Canon 10D, pour mes reportages et portraits de presse. J’avais déjà quelques optiques Canon, et j’étais séduite par son ergonomie et sa facilité technologique. Et mon Leica M6 avec un 35 mm, plus discret et moins intimidant pour mes photos personnelles de rue et de nuit. En revanche, une fois le film mis en place, je n’ai plus la souplesse du numérique, et suis bloquée avec la sensibilité et la température de couleur propres au film. C’est pourquoi je retouche mes clichés de nuit, très jaunis par la lumière tungstène non filtrée, et aussi parce que la lumière est toujours très diversifiée.MPV : vous avez exposé des impressions jet d’encre et non des tirages. Pour quelles raisons ?K.K. : parce que c’est économique et pratique. J’ai également opté pour l’impression jet d’encre car c’était pour moi le meilleur moyen de contrôler de bout en bout le tirage de mon image, tout en utilisant des papiers spéciaux non photographiques, tel que le papier mat Archival. J’aime aussi le rendu de l’encre sur le papier. Au final, j’ai une image assez proche en détails de l’originale, et cela, à moindre coût.MPV : votre conversion au numérique se fait pas à pas. Quels en sont les attraits et les contraintes ?K.K. : chaque projet et chaque appareil demandent un temps d’adaptation pour pouvoir totalement se l’approprier sans préjugés. Chaque outil a forcément ses caractéristiques, avantages ou inconvénients qui le définissent et fait qu’on le choisit pour tel ou tel projet. Cela ne sert à rien de vouloir faire une esthétique argentique avec du numérique, il faut l’utiliser pour ce qu’il est. Outre la liberté de dépense et l’immédiateté, ou encore la modifications de sensibilités ou de balance des blancs (une vraie révolution, un rêve devenu réalité pour beaucoup de photographes), ce que j’aime dans le numérique c’est son côté expérimental, jouet ou gadget. Avec tous ces boutons, on a forcément envie d’appuyer partout, de tout essayer. Avec l’écran, on a l’impression de filmer plus que de capturer, on peut expérimenter tellement plus facilement le mouvement, le monde miniature, les détails. J’improvise beaucoup, je me laisse aller comme si je ‘ dansais avec le réel ‘, je prends beaucoup de notes visuelles, et je réfléchis. Je développe par exemple, en ce moment, une série d’ombres portées, des projections de moi-même sur différentes surfaces. Je ne sais pas encore où tout cela me mène, mais je sais que je le fais avec plaisir et sans sérieux. Et je sais que le format numérique s’adaptera très bien à mes besoins scénographiques, puisque mes images sont souvent projetées sous forme de diaporamas. La finalité numérique crée déjà les conditions d’un projet mené de bout en bout. En revanche, la perspective de passer mes journées devant l’ordinateur me refroidit. Non pas que je sois nostalgique des heures passées en chambre noire, à inhaler la chimie, mais il me manque l’investissement physique de la photographie traditionnelle. Tout devient si passif et cérébral devant l’ordinateur.MPV : quels sont vos prochains projets ?K.K. : aujourd’hui que ma série de portraits féminins me paraît achevée, je pense à une version masculine. C’est moins facile car plus ambigu et plus risqué aussi pour moi. Je réfléchis également à l’élaboration de mon site web. Je suis très attachée à l’objet multimédia en soi, je ne veux pas d’une simple page perso, mais d’un véritable univers interactif et sonore qui présenterait mon portfolio et certains services photographiques sans renier les formes d’installation de certaines de mes séries.
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