Ni graphiste, ni photographe à proprement parler, André Sanchez est un artiste touche-à-tout laissant libre cours à son imagination pour créer un univers étrange et baroque, riche d’influences mais très personnel. Autrefois simple ‘ matière première ‘ de ses compositions, la photo tient aujourd’hui une place centrale dans son travail.
Micro Photo Vidéo : Avez-vous suivi une formation artistique ?André Sanchez : Non, je suis autodidacte. Je n’ai aucune formation technique et artistique. Mon intérêt pour l’image est né lorsque je travaillais à Bordeaux pour un fanzine et une radio spécialisés dans la musique punk et gothique. C’est l’univers visuel très fort des pochettes de disques qui m’a donné le déclic. Je me suis documenté et j’ai alors découvert le travail de Vaughan Oliver (qui a signé de nombreuses pochettes de disques des années 80-90, Ndlr) et, par extension, le mouvement néo-pictorialiste représenté par Joel-Peter Witkin. J’ai aussi été touché par le travail de Sarah Moon et de Paolo Roversi, dont les images aux contours mal définis semblaient sorties d’un rêve. Mais c’est en arrivant à Paris que j’ai trouvé l’inspiration nécessaire pour passer à la pratique, stimulé par le foisonnement visuel de la ville. J’étais alors équipé d’un vieux Zenit, un appareil reflex argentique que m’avait légué mon père. J’ai commencé à collecter en images toutes sortes de matières brutes ?” architecture, plans de villes, sol, bois, tables, fumée, poussière ?” afin de me constituer une banque d’images en vrac dans laquelle j’allais ensuite piocher pour effectuer mes assemblages. J’ai vite compris comment fonctionnaient les calques de Photoshop et l’infinité de possibilités qui en découlait.
MPV : Quelle est votre méthode de travail ? Quelle importance prend la prise de vue dans l’image finale ?A. S. : Dans mon travail personnel, la photo ne représente qu’une matière première malléable, au même titre que les éléments graphiques que j’obtiens à partir de scans directs. J’utilise pour cela un scanner à plat avec lequel je numérise mes tirages bruts, mais aussi toutes sortes de matériaux qui peuvent aller de la feuille de Rhodoïd grattée à la main à la tranche de jambon blanc premier prix ! Les prises de vues de personnages sont toutes réalisées sur fond blanc puis détourées, tout comme les éléments de décor. Vient ensuite l’étape que l’on pourrait qualifier de post-production, mais que je considère comme la partie centrale de mon travail. Je compose chaque image en superposant une grande quantité de calques sur Photoshop, puis je joue sur leur transparence, leur couleur, leur mode de fusion. Certains effets ‘ photo ‘ sont même obtenus par trucages, comme la solarisation ou les bords façon Polaroid. Je suis toujours étonné des résultats obtenus, car même en ayant une idée en tête au départ, ma démarche est plutôt instinctive, et le logiciel réserve toujours des surprises… Il arrive parfois que j’empile une centaine de calques, pour ensuite procéder par élimination en ne laissant que ‘ l’essentiel ‘. Pour certaines images, je me retrouve au final incapable de choisir une seule version et j’en retiens donc plusieurs déclinaisons.
MPV : Quand avez-vous commencé à utiliser un appareil numérique ?A. S. : Cela correspond en fait à ma première commande, en 2001. Le directeur artistique du Monde interactif, qui m’avait repéré sur une galerie web, m’a demandé de réaliser le portrait d’un scientifique. J’ai acheté grâce à cette pige un compact numérique Canon PowerShot A20 car la numérisation des originaux argentiques devenait vraiment fastidieuse. J’ai alors beaucoup démarché, puis j’ai commencé un travail d’illustrateur pour le Monde de l’éducation, Libération, Nova Mag ou Epok, et pour les éditions J’ai Lu, Robert Laffon, sur des thèmes aussi incroyables que la disparition du latin et du grec à l’école ! Étonnamment, ce contexte de commande n’était pas du tout restrictif : on me laissait en général carte blanche et je pouvais développer librement mon univers. Tout au plus m’a-t-on demandé d’éliminer quelques taches de sang d’une composition…
MPV : Comment êtes-vous passé du statut d’illustrateur à celui de photographe de mode ?A. S. : Ce changement de registre a été provoqué par une rencontre, lors d’une exposition en 2003 à la galerie Saint-Martin, dans le 10e arrondissement, à Paris. J’y ai fait la connaissance d’une talentueuse styliste de mode thaïlandaise et nous avons rapidement décidé de mettre en commun nos compétences pour proposer un travail de collaboration aux magazines de mode. Le rôle d’Ongtilanon Thepporn est de créer un look cohérent en choisissant les vêtements, aidée d’une équipe composée d’une coiffeuse et d’une maquilleuse, tandis que je me charge de la réalisation de l’image. Je suis alors rentré de plain-pied dans un milieu qui m’était totalement inconnu, mais qui m’a immédiatement fasciné : celui des plateaux de mode peuplés de vrais mannequins professionnels. Ma première séance photo fut d’ailleurs un fiasco mémorable : j’avais acheté pour l’occasion un Sony F-717, mais je ne connaissais rien aux éclairages de studio et avais comme seuls accessoires un trépied et un drap blanc pour servir de fond… Notre seconde tentative fut heureusement plus réussie puisqu’elle a été publiée dans un magazine de mode, MetroPop. Depuis, nous proposons régulièrement des sujets à des magazines, mais c’est nous qui nous débrouillons pour trouver les mannequins et les lieux de prises de vues.
MPV : Ce nouvel environnement a-t-il changé votre façon de travailler ?A. S. : Effectivement, ma démarche s’est quelque peu inversée par rapport à mes travaux personnels. Au lieu de collecter des éléments visuels au hasard, puis de les assembler selon mon inspiration du moment, ces travaux de ‘ commande ‘ m’obligent à fournir un gros travail de recherche en amont sur le thème abordé, qui peut aussi bien concerner les vêtements, les accessoires, les symboles, que les typographies ou le rendu pictural. Nos deux dernières séries ont pour sujet Alice au pays des merveilles et Jason et la Toison d’or. Je me donc suis immergé avec délectation dans ces univers, un peu à la manière d’un écrivain ou d’un cinéaste, afin de donner une réinterprétation crédible de ces mythes. Sur cette dernière série, nous ne disposions que d’une semaine pour la réalisation, mais il m’a fallu un mois pour préparer mes fonds et mes matières à l’avance. De cette manière, je n’avais plus qu’à photographier les modèles sur fond blanc et à les incruster ensuite dans ma composition. J’accorde aussi de plus en plus d’importance à l’éclairage lors de la prise de vue, car j’ai fini par me rendre compte que l’on ne pouvait pas non plus tout rattraper sur Photoshop et qu’une bonne lumière était fondamentale ! Les photos de mode m’offrent un champ de vision plus large, la création est sans limite, on peut tout faire tant que ça reste ‘ beau ‘.
MPV : Comment arrivez-vous à imposer cet univers très cohérent dans un cadre de commande et sur des sujets aussi variés ?A. S. : Qu’il soit proposé par un magazine ou qu’il vienne de nous, l’essentiel est bien sûr que le sujet nous motive. En général, tout naît de la volonté de créer quelque chose à partir d’un thème que j’aime, que je veux découvrir, apprendre, visiter. Voilà pourquoi j’utilise souvent des mythes ou histoires populaires pour les reprendre à ma manière. Le plus excitant dans ce travail, c’est justement d’arriver à s’imprégner d’une époque ou d’un courant artistique, puis d’en donner une réinterprétation personnelle en trouvant le bon équilibre entre références et création. Par exemple, sur la série The Witches, chacune des quatre images devait rappeler une époque bien définie : années 20, 50, 70… tout en formant un ensemble visuel cohérent. Même chose pour la série Steampunk, une sorte de futur vu du passé vu d’aujourd’hui, vous me suivez ? Le travail de documentation prend donc une part de plus en plus importante, afin de m’approprier le thème. Et puis, il y a toujours cette part d’improvisation ‘ inconsciente ‘ au moment du montage…
MPV : Les directeurs artistiques vous considèrent-ils plutôt comme un photographe ou comme un graphiste ?A. S. : C’est drôle car cette distinction est surtout présente en France. Apparemment, cela pose un problème aux gens car, pour les magazines de mode, mes images sont trop retouchées, et pour les revues plus artistiques, je ne suis qu’un ‘ photographe ‘. J’ai donc du mal à publier mon travail ici, alors que les revues anglo-saxonnes ne s’arrêtent pas à ce genre de détails et me sollicitent beaucoup plus facilement. De toute façon, je crois que je ne pourrais pas choisir mon camp : la dernière fois que j’ai essayé de réaliser des prises de vues de personnages en décors réels, j’ai fini par détourer chaque élément pour arranger les perspectives à ma façon ! Je reste plus à l’aise devant un ordinateur que sur un plateau.
MPV : Quelle importance accordez-vous à votre site Internet ?A. S. : Il doit mettre en valeur mon travail de manière simple et agréable. J’ai délégué cette tâche à une personne compétente pour que le site ne soit pas trop alambiqué. La forme finale d’une série reste à mon sens l’exposition, où les images prennent toute leur dimension. Sinon, je fais confiance à mon labo de quartier pour les tirages sur papier Fuji qui sont excellents !
MPV : Quels sont vos prochains projets ?A. S. : Nous avons entamé avec Ongtilanon Thepporn une nouvelle série qui reprend le principe du portrait de commande classique, mais toujours avec cette touche rétro-futuriste. Le commanditaire choisira son univers pictural de prédilection, par exemple, un courant artistique, une mythologie, ou l’?”uvre d’un artiste classique. À nous d’imaginer une transposition contemporaine de celui-ci. Mon but n’est pas de copier ces créations, mais de recréer, de montrer la perception que j’en ai grâce aux outils d’aujourd’hui. Comment aurait peint Léonard de Vinci en 2006 ? Qu’aurait fait Klimt avec Photoshop entre les mains ? Toutes proportions gardées, cet exercice ‘ à la manière de ‘ est une façon troublante, aussi bien pour nous que pour le modèle, de faire un voyage dans le temps et de se mettre dans la peau de personnages surgis de temps révolus pour les faire revivre à notre façon. Une sorte de fantasme anachronique rendu possible par le numérique. Aujourd’hui, nous recherchons un lieu à Paris pour présenter ce travail. À bon entendeur…
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