Des couleurs tendres de Mobile au noir et blanc illuminé des Ancêtres, avec sa propre silhouette ou celles de ses disparus ressuscités, Loan Nguyen imprime avec douceur son empreinte corporelle dans le temps et l’espace. Traversez le miroir et entrez dans son conte.Micro Photo Vidéo : Formée à la photographie à l’école de Vevey, que retenez-vous de ces années ?Loan Nguyen : Je suis entrée à l’école de Vevey très jeune, vers 18-19 ans, sans savoir vraiment vers quelle photographie je me destinais. J’avais juste envie de prolonger le plaisir et la créativité initiés au club photo de mon lycée. J’ai eu la chance d’avoir pour professeurs de grands photographes qui, par leur démarche et leur manière d’enseigner, m’ont beaucoup influencée. J’admire par exemple les autoportraits dans la nature d’Arno Minkinnen, sa grande et solitaire liberté de travail, l’idée d’être soi-même son propre matériau. Les questionnements ‘ pour qui, pour quoi faire de la photographie ? ‘ et la vision introspective et psychologique d’Arnaud Classme correspondent aussi, également la douceur et la sérénité d’Ann Mandelbaum. Tous nous ont aidés à forger petit à petit une direction de travail. Pour ma part, le déclic ne s’est produit que la toute dernière semaine de ma formation. J’ai alors réalisé ce qui serait la première image de la série Mobile et de mon travail à venir : l’autoportrait du débarcadère où, symboliquement, je me jette à l’eau.MPV : Vous venez de publier votre première monographie, Mobile. Quel en est le sujet ?L. N. :
Mobile rassemble des mises en scène qui révèlent le juste équilibre entre l’humain et la nature. Elle développe l’idée qu’un geste, une posture, une attitude relient l’homme à son environnement, racontant alors une histoire, évoquant un souvenir. Je puise mon inspiration dans les paysages que je découvre au hasard de mes promenades, chez moi, en Suisse, ou en voyage à l’étranger. Je suis attirée par ceux qui semblent déjà raconter une histoire, qui semblent tout droit sortis d’un conte pour enfants. Je pars à l’aventure faire des images, la voiture remplie de possibles accessoires, choisis en référence à mes souvenirs d’enfance (les origamis, les avions en papier), collectés et conservés dans l’attente de faire l’image. Car je photographie de manière spontanée, dans des lieux inconnus, et en toute intimité, privilégiant l’autoportrait ou le portrait à toute autre présence animale, organique, minérale ou plastique. Un objet a sa propre gestuelle : un groupe d’ordinateurs qui regardent le ciel, une cabane qui apparaît furtivement dans le brouillard, une cape de pluie vue de dos. Plus rares et d’autant plus précieux sont les gestes collectifs qui se réduisent à une forme unique, comme la ronde des surfeurs sur la plage. Une image imprévisible que je ne pouvais pas rater, réalisée alors avec mon appareil reflex 24 x 36.MPV : La plupart de vos images sont des autoportraits. Quel dispositif photographique utilisez-vous ?L. N. : Je pose mon appareil, un moyen format Mamiya 7II sur pied, et prépare mon cadre (toujours au 80 mm) en imaginant mon parcours dans l’espace. Je déclenche en mode retardateur et j’ai dix secondes pour courir et me mettre en position. Pour les prises de vues complexes en éloignement et posture, comme celles où je tiens un tableau, je me fais aider par un ami.MPV : Vos univers sont très doux, très épurés, est-ce naturel ou retouché ?L. N. : J’ai une utilisation assez basique de la photographie : une lumière naturelle, des films avec une exposition et un développement classiques. Je ne recherche aucun effet spécial, mais je porte une attention particulière aux conditions météo : je choisis rarement un plein soleil, sauf quand c’est graphiquement intéressant et justifié (voir l’image du terrain de tennis). Je préfère les ambiances nuageuses ou brumeuses, fidèles au calme plat et sans ombre de la Suisse, et dans lesquelles se détachent mieux mes pointes de couleur : un gant de boxe ou un avion en papier rouge, ma silhouette vêtue de noir… Une fois mes films numérisés, je corrige la dérive colorimétrique du scanner et je me permets parfois de supprimer des éléments gênants du décor. Je ne construis pas mon travail avec Photoshop, comme certains photographes (que je respecte et admire), car j’aime tout faire directement dans la nature. Néanmoins, j’y recours si nécessaire et sans état d’âme : je ne crois pas en la réalité pure, j’ai une vision plutôt poétique et onirique des choses.MPV : Dans votre nouvelle série en cours, Ancêtres, vous mettez en scène des apparitions de disparus dans la nature. De quoi parlent ces images ?L. N. : L’idée des Ancêtres m’est venue à l’esprit en feuilletant des albums de famille remplis de vieux portraits classiques d’aïeux, en noir et blanc, en pied et très solennels. J’ai voulu rendre un double hommage à ces présences disparues et à la photographie des origines. J’ai ainsi imaginé de faire revivre ces personnages dans un décor contemporain, non pas urbain et anachronique, mais naturel, paisible et intemporel comme une forêt, une clairière. Des lieux dans lesquels je me promène souvent et qui invitent au souvenir, à la mémoire. Ils apparaissent ainsi comme un songe éveillé, comme des sculptures, des lutins, de bons et de mauvais esprits de la forêt, des personnages de contes ou de mythologie.MPV : Comment avez-vous concrètement procédé pour réaliser ces photomontages en noir et blanc ?L. N. : Il ne s’agit pas tout à fait de photomontages puisque les personnages ont réellement posé dans la nature. J’opère en trois temps : fabrication de mes silhouettes, prise de vue dans la nature, assemblage et retouche finale sur ordinateur. Je scanne mes vieux portraits, je les agrandis et j’imprime à l’échelle 1/3 (soit 50 cm, moins coûteux qu’en taille réelle) pour ensuite les découper et les coller sur des socles en carton. Je dispose mes figures de papier, sans profil, dans le décor réel, afin de conserver la lumière naturelle, la profondeur de champ, et mieux rendre compte de leur non-épaisseur. Je photographie le décor avec et sans le personnage. Puis je scanne les deux images à deux résolutions différentes : résolution normale pour celle du décor simple, résolution triple pour celle du personnage, puisque je le détoure et l’allonge en homothétie, à l’échelle 1/1. J’assemble les deux sous Photoshop et traite seulement en retouche les ombres, les textures (herbe, feuillage, etc.).MPV : Est-ce plus difficile de travailler le noir et blanc sous Photoshop ?L. N. : Non, pas vraiment, il suffit juste de savoir une chose : les labos et les imprimantes sont calibrés pour du tirage couleur ! Quand je photographie en noir et blanc, je numérise ensuite mes négatifs en fichiers couleur RVB. Même désaturés, ils sont plus nuancés que des fichiers numérisés ou convertis en simples niveaux de gris, et leur aperçu reste fidèle au tirage final. Je n’ai aucune surprise.MPV : Quelles sont vos envies numériques ?L. N. : Si mes moyens financiers me le permettaient, je m’offrirais volontiers le très attendu moyen format numérique, Mamiya ZD. Je suis déjà accro au Mamiya argentique 7II et le format numérique 4:3 a un rapport des côtés similaire au format 6 x 7. Je l’essaierai dès que possible, mais je réfléchirai avant de vraiment me décider à un achat à 15 000 euros, car les premières versions essuient toujours de nombreux bugs et erreurs d’ergonomie. Il pourrait pallier le manque en la matière : les dos numériques moyens formats sont trop lourds, inabordables, et inadaptés à une pratique artistique en plein air. Ils sont optimisés pour les studios et une photo de productivité. Pour mes portraits de presse, j’utilise un reflex Canon 20D par souci de rapidité dans un milieu professionnel de plus en plus réactif et impatient. C’est un appareil pratique, pas trop cher, solide, qui me fait gagner du temps et m’apporte l’assurance du résultat. Tout l’inverse de ma démarche personnelle, qui demande au contraire du temps et des étapes pour mûrir.MPV : Présentez-nous Piece Of Cake, le collectif européen pour l’image contemporaine, dont vous faites partie…L. N. : POC n’est pas tout à fait un collectif, mais plutôt un réseau d’échanges composé d’environ vingt-cinq photographes contemporains et européens. Le photographe auteur est souvent seul face à ses choix, ses problèmes administratifs, sa recherche de contacts, de lieux, d’informations diverses. À l’initiative du photographe Charles Fréger, nous nous sommes réunis pour pallier ce manque de communication, faciliter nos recherches respectives et réduire cet esprit individualiste et compétitif qui règne dans le métier. Nous n’avons aucun projet, aucune esthétique à défendre. POC offre une représentation contemporaine éclectique des différents courants de la photo, avec pour seul lien, une photo créative et personnelle. Nous exposons parfois ensemble (à Rouen, à Cologne) et nous nous réunissons chaque année ou presque, pour échanger des idées, parler de nos projets. Parallèlement, nous avons monté une maison d’édition pour publier nos livres indépendamment des grandes maisons d’édition, trop sélectives ou trop commerciales. POC m’a permis d’être mêlée à d’autres jeunes photographes, plus reconnus, et de mettre en avant mon travail jusqu’à l’édition, à l’automne 2005 de mon livre Mobile. Le printemps 2006 verra le jour de mon deuxième ouvrage, De retour, qui parle du premier voyage de mon père en 2005, après trente-huit années d’exil, dans son pays natal : le Vietnam.
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