Sur l’un des murs de la minuscule chambre universitaire, le précédent locataire a peint des étoiles violettes et argentées. Damien Bouic, résident actuel passionné d’astronomie, a ajouté une myriade d’images spatiales : un
croissant de lune côtoie Saturne et son anneau, des paysages martiens et le portrait d’un robot d’exploration témoignent de la passion du locataire pour la planète rouge. Comme soumises au rayonnement du soleil illustrant le système solaire leur
faisant face, les montres de Dali fondent éternellement dans un coin.Pour le confort de l’entretien, direction l’Ecole supérieure des beaux-arts de Marseille en traversant le campus rocailleux. Damien y est étudiant en design. La cafétéria, où résonne la moindre conversation, offre un accès à Internet
en Wi-Fi utile pour la démonstration prévue. A l’entrée, plusieurs chaussures de terre cuite (travaux d’élèves) sèchent au pied du radiateur.A plusieurs millions de kilomètres de là, deux robots envoyés par la Nasa, les rovers Opportunity et Spirit, explorent depuis janvier 2004 la surface poussiéreuse et silencieuse de
Mars.Chacun est équipé de plusieurs caméras, dont l’une, la Pancam (Panoramic camera) prend régulièrement des clichés en noir et blanc de la surface martienne. Sur Terre, Damien est parvenu à leur rendre leurs couleurs
à force de patience et de tâtonnements. Pour son plaisir et celui, entre autres, des lecteurs du magazine Science et Vie, qui a publié ses photos en janvier à l’occasion des trois ans de l’odyssée martienne des deux
robots.MH :
Obtenir des photos en couleurs à partir d’images en noir et blanc, comment est-ce possible ?
Damien Bouic. La Pancam est équipée d’un capteur CCD noir et blanc [permettant d’obtenir des images en 1 024 x 1 024 pixels, ndlr] et d’une roue composée de huit filtres qui tourne
devant l’objectif.Lorsque la caméra prend une image, la prise de vue a lieu au travers d’un filtre coloré. Certaines informations sont bloquées, d’autres arrivent jusqu’au capteur CCD. Ces informations sont transformées et transférées sur Terre sous
forme d’une image en niveaux de gris. De mon côté, je fais l’opération inverse : j’applique à une série d’images monochromes de la même vue le filtre de couleur correspondant à chacune puis je les assemble pour obtenir la photo en
couleurs.Pourquoi n’utilise-t-on pas directement un capteur CCD couleur ?
L’avantage de ce système est surtout scientifique : les filtres permettent d’élargir le spectre lumineux du domaine visible à l’infrarouge et l’ultraviolet, invisibles. Cela permet aux chercheurs de connaître, par exemple, la
composition chimique du sol. On gagne également en finesse d’image.Combien d’images monochromes faut-il pour obtenir une photo en couleurs ?
Dans notre cas, six des huit filtres nous intéressent. Mais la plupart du temps, les six filtres ne sont pas utilisés. La prise de vue est beaucoup trop longue, et cela prend trop de place en mémoire pour stocker les images avant leur
transmission. Ce sont principalement les filtres L2, L5 et L7, c’est-à-dire l’infrarouge, le vert et le bleu qui servent.Comment récupérez-vous les images avec lesquelles vous travaillez ?
Sur la page d’accueil du site de la Nasa consacré à la mission d’exploration, un lien permet d’accéder aux images brutes, régulièrement publiées, des rovers Spirit et Opportunity. Les images sont
classées en fonction de leur caméra de provenance. Celles qui nous intéressent sont issues de la Pancam. Elles sont ensuite classées par ‘ Sol ‘, c’est-à-dire par journées martiennes numérotées à partir
du décompte des jours passés sur Mars par les rovers. En passant la souris sur la miniature d’une image, on peut lire en bas du navigateur le nom du fichier correspondant. Celui-ci permet d’avoir des informations sur la prise de vue, par exemple de
quel rover elle vient, le nombre de secondes écoulées depuis l’atterrissage et, surtout, le filtre utilisé. Par exemple, dans L2, le L signifie Left pour caméra gauche et 2 correspond au filtre infrarouge. La Nasa donne les explications pour décoder
ces informations et j’ai maintenant pris l’habitude de les distinguer.Mais pour coloriser les images, vous avez besoin d’un repère de couleurs ?
Oui. Les deux rovers sont équipés d’une mire de calibration composée de quatre pastilles colorées. Dès qu’une série de photos est prise, la caméra photographie la mire afin de rester dans les mêmes conditions d’éclairage. Néanmoins, je
ne m’en sers pratiquement plus, à moins de vouloir être très précis. De plus, à cause de la poussière, on ne voit presque plus les couleurs des pastilles.Ensuite, vous travaillez sur les images en noir et blanc avec un logiciel de retouche. Lequel ?
Je traite mes images avec Le Gimp, un logiciel de traitement graphique libre et gratuit. Je crée autant de calques que de filtres, la couleur d’un calque correspondant à la longueur d’onde du filtre. J’applique sur chacune des images
noir et blanc le bon calque, j’empile le tout dans un ordre précis (le filtre rouge en bas, le vert et le bleu) puis j’additionne les nouvelles images monochromes pour obtenir l’image en couleurs. Il reste à jouer sur la luminosité et le contraste
de chaque calque pour une vision plus réaliste.Ainsi, la prise d’une image avec le filtre bleu exige un temps d’exposition plus long pour être aussi lumineuse que la couche rouge, sinon l’image serait trop sombre. Avec la dernière méthode que j’ai mise au point, j’y vais à la
tronçonneuse : je diminue par deux la luminosité du bleu.Quel est le degré de réalisme des couleurs que vous redonnez à Mars ?
C’est assez réaliste. Je ne dirais pas que c’est la vision exacte, parce que ce n’est qu’une interprétation. Au départ, j’y suis allé à tâtons. J’ai d’abord travaillé avec les mires pour obtenir de bonnes images, que je comparais ensuite
aux images en couleurs publiées par la Nasa au compte-gouttes. Puis j’ai fait ma propre cuisine. Je n’ai pas la prétention de dire que ma méthode est la meilleure, c’est juste une parmi d’autres, et elle fonctionne assez bien.Vous n’avez pas trouvé, à l’époque, de forums où d’autres personnes expliquaient leur méthode ?
Non, et c’est pour ça que j’ai voulu construire mon site. J’ai cherché, mais aucun site n’expliquait vraiment comment faire. J’ai dû développer mon protocole. Progressivement, je me suis fait la main et maintenant je peux réaliser une
image en couleurs assez rapidement.Qu’est-ce qui vous motive dans cette démarche ?
Mon plaisir personnel. Je suis passionné par Mars. J’ai eu une ‘ révélation ‘ lorsque j’ai lu le livre A la conquête de Mars d’Olivier de Goursac. Il contient des images
assez spectaculaires, retraitées en couleurs par l’auteur, notamment celles prises par la sonde Viking en 1976 et celles de la mission Mars Pathfinder en 1997. J’ai été vraiment stupéfié, ébahi, par ces paysages merveilleux, magnifiques.
Lorsque les missions Spirit et Opportunity sont arrivées sur Mars, je me suis dit que je ne voulais pas rester spectateur. J’ai pris des images et j’ai commencé par réaliser des petits panoramas en noir et blanc avec Paint. Ce n’était
pas l’idéal… Maintenant, je réalise des panoramas en couleurs. Je colorise séparément chacune des images, puis je les assemble avec le logiciel Autostitch.
Et depuis un an, je fais un peu d’imagerie astronomique. Ça n’a rien de sorcier ! J’utilise une webcam ToUcam Pro 2 de Philips placée à l’oculaire sur mon télescope. On ne prend pas de photos, mais on filme. Puis on compile les
images de la vidéo avec un logiciel de traitement astronomique comme Iris. Celui-ci aligne les images du film et les additionne pour faire ressortir les détails. On peut voir des photos de la Lune, de Saturne et de Jupiter sur mon blog, mais il
n’est plus actualisé car j’ai perdu le mot de passe !
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