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Les Noces funèbres : quand le reflex fait son cinéma

En réalisant ses Noces funèbres image par image, Tim Burton a remis au goût du jour une technique presque aussi vieille que le cinéma lui-même. Le tournage s’est effectué avec un appareil photo numérique en lieu et place d’une caméra et de l’image 3D.

Inspiré d’une légende russe (une mariée défunte ravit un prince au monde des vivants pour l’épouser), le dernier film de Tim Burton revisite techniquement un procédé très classique baptisé, en jargon cinématographique, stop motion. Cette technique consiste à réaliser un film image par image, au lieu de filmer en continu. C’est ainsi que sont réalisés tous les films d’animation mettant en scène des marionnettes, comme les classiques Wallace et Gromit.Tout en reposant sur la technique stop motion, la réalisation des Noces funèbres (Corpse Bride en version originale) bouleverse les règles du genre par les options techniques retenues. Tout d’abord, le film a été monté sur une plate-forme relativement légère au regard de la machinerie utilisée habituellement dans le cinéma. De plus, le montage des Noces funèbres a été réalisé sur un PowerMac G5 doté du logiciel de montage vidéo Final Cut Pro. Mais la grande originalité du film est de ne pas avoir été tourné avec une caméra.Traditionnellement, le cinéma utilise des caméras, y compris pour les films d’animation réalisés image par image. Pour les Noces funèbres, Tim Burton et son équipe ont poussé jusqu’au bout la logique du tournage image par image en réalisant le film avec des reflex numériques Canon EOS 1D Mark II. Le choix de ce modèle a été arrêté après une longue série d’essais. Les besoins d’un film sont naturellement très différents de ceux d’une photographie. Il était, par exemple, indispensable que le rendu soit strictement identique d’une image à l’autre. La production du film a alors loué des exemplaires de tous les reflex numériques qu’ils ont pu trouver sur le marché : des Canon EOS 10D, 1D, 1D Mark II, et 1DS, des Nikon D1x, D100 et D2H, un Sigma et un Kodak (Kodak a commercialisé pendant quelque temps des reflex équipés d’un capteur de 14 millions de pixels sur la base de boîtiers Nikon et Sigma). Après la première batterie de tests, le Nikon D2H a tout d’abord été sélectionné pour ses capacités de transmission (FTP, Wi-Fi, etc. ), la taille de son capteur et le fait que la production disposait d’une impressionnante collection d’objectifs Nikon. Mais, au final, c’est le Canon EOS 1D Mark II qui l’a emporté grâce à un faible niveau de bruit en basse lumière ; une grande partie du film se déroulant dans une semi-pénombre, la qualité du rendu des ombres était fondamentale.

Bricolages ingénieux

L’équipe technique de Tim Burton n’a pas toujours opté pour les solutions les plus simples. Contrairement aux compacts, les reflex ne disposent pas de sortie vidéo permettant de visualiser sur un moniteur la photo qui va être prise ; sur la sortie, n’est en effet transmise que la photo qui a été prise. Or, les animateurs avaient besoin de contrôler en permanence ce qui était photographié. Les techniciens ont donc fixé une micro-caméra vidéo sur le viseur du Canon, pour que les animateurs puissent voir sur un écran ce que l’appareil allait prendre. Pour l’optique, ils ont conservé la batterie d’objectifs Nikon à leur disposition en utilisant une bague d’adaptation Neos (un exemple de ce type de montage, quelque peu exotique, a été décrit dans la rubrique Enquête de notre numéro de novembre).Du fait de la présence de cette bague, l’appareil ne fournissait plus de mesures et le diaphragme devait être fermé manuellement. Des contraintes qui n’ont cependant rien de gênant pour ce type de réalisation. Ce film, qui présente donc la double originalité d’avoir été filmé avec un reflex et avec des objectifs Nikon montés sur un boîtier Canon, possède également une autre particularité : si les images ont toutes été réalisées au format Raw, les fichiers non pas été traités avec les logiciels fournis par le fabricant, mais avec un dcRaw, un logiciel développé par un programmeur indépendant qui le diffuse gratuitement. Le dcRaw dispose cependant d’une interface extrêmement rustique.

Des décors à la croisée d’inspirations diverses

Les Noces funèbres marquent également la naissance d’un nouveau type de film d’animation par l’ampleur de ses décors. D’après Nathan Lowry, le directeur artistique : ‘ Il a fallu construire un très grand nombre de décors ?” sans doute le double ou le triple que pour une production animée classique. ‘ Cinéaste cinéphile, Tim Burton adresse quelques clins d’?”il au cinéma du passé. Le piano sur lequel s’exerce Peter au début du film est un Harryhausen, en hommage au pionnier de l’animation image par image, Ray Harryhausen. Le chef décorateur Alex McDowell a puisé dans ses origines slaves pour imaginer les deux univers : ‘ Par souci d’originalité, j’ai fait s’entrechoquer des éléments assez disparates, allant de l’architecture victorienne classique à l’architecture d’Europe centrale ?” tchèque et polonaise notamment. ‘ L’équipe s’est également beaucoup inspirée de l’architecte Antonio Gaudi, célèbre pour sa Sagrada Familia, à Barcelone. Enfin, Nathan Lowry a choisi de décrire le royaume des morts comme un paradis. Cette idée est notamment bien exploitée dans la scène de fête où les squelettes dansent sur une musique de jazz endiablé. Animer les marionnettes a d’ailleurs été un véritable calvaire pour le directeur artistique qui a utilisé des câbles invisibles pour actionner les personnages et donner du mouvement aux vêtements ou au liquide dans les verres.Dix années ont été nécessaires à la réalisation de ce film qui a su exploiter toutes les possibilités techniques du stop motion. À l’heure où l’animation rime avec la 3D informatique, Tim Burton joue les irréductibles. Grâce à lui, l’animation à l’ancienne a encore de beaux jours devant elle.

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Édouard Maire