Les mille et un usages des téléphones-appareils photo

L’anecdote, révélée par Le Canard enchaîné, est croustillante. Alain Lambert, ministre délégué au budget, a piégé ses camarades du gouvernement pendant les dernières réunions de négociations budgétaires. Comment ? En les prenant discrètement en photo, à leur insu, en ‘ plein effort ‘, grâce à son téléphone mobile muni d’un capteur photo numérique. Et il n’est pas le seul à avoir trouvé un emploi astucieux à son appareil. ‘ Je suis comédien. Un jour, j’ai découvert une annonce pour un job mais il fallait absolument fournir une photo de mes mains pour postuler. Je l’ai immédiatement prise et envoyée avec mon mobile. Le résultat n’est pas d’excellente qualité, mais cela permet d’être réactif ‘, assure Edouard Brasey, un utilisateur séduit et convaincu.On dénombre aujourd’hui presque autant d’usages différents des téléphones-appareils photos les ‘ photophones ‘ que de mobiles en circulation. Certaines relèvent du gadget, telle l’impression de cartes postales. D’autres peuvent sauver des vies. En Ecosse, les pompiers envoient les photos des accidentés qu’ils secourent à l’hôpital le plus proche pour permettre aux équipes médicales de diagnostiquer l’ampleur de leurs blessures.Dans tous les pays européens et asiatiques, tout le monde s’y met. Jusqu’au site Internet de la BBC, qui invitait, il y a quelques semaines, ses lecteurs à lui envoyer en temps réel des images des manifestations anti-guerre autour du monde ! Le Festival d’Edimbourg, en Grande-Bretagne, a aussi organisé un concours de la meilleure image prise avec un photophone. Cette tendance n’est pas prête de s’arrêter. Au premier semestre 2003, 25 millions de photophones ont trouvé acquéreur contre 20 millions d’appareils photo numériques. Un raz-de-marée. Surtout que les constructeurs continuent d’innover. Ainsi, Samsung ajoutera un flash sur ses prochains modèles. Le constructeur de cartes graphiques nVidia a créé un processeur multimédia spécifique, le GoForce 2150, destiné aux photophones de 1,3 mégapixel et permettant d’afficher plus rapidement les photos à l’écran, avec une meilleure définition.

Le développement de ces appareils gêne un peu

Quant aux opérateurs de téléphonie mobile, ils y trouvent aussi leur compte car l’envoi de photos à partir d’un téléphone mobile passe par les MMS (Multimedia Message Service), les successeurs des SMS, facturés trois fois plus cher. Et les services comme l’impression de timbres ou de cartes postales se payent au prix fort…Cependant, l’explosion des usages des photophones ne plaît pas à tout le monde. Certains pays et certaines entreprises ont dû réglementer leur utilisation, pour protéger l’intimité ou le secret industriel, car quelques dérives sont apparues. Ainsi, à Singapour, un homme a été jugé pour avoir essayé de photographier une femme dans des toilettes publiques. En Angleterre, un autre a reçu, en avril, une amende de 250 livres sterling (360 euros, soit 2 361 F) pour avoir pris en photo un accusé dans un tribunal. Ce qui fait sourire les uns n’est pas toujours au goût des autres…

Créer des cartes postales personnalisées

Vous en avez assez des cartes postales qui se ressemblent toutes ? Fabriquez les vôtres ! Rien de plus facile si vous disposez d’un téléphone-appareil photo. Faites un cliché d’un paysage, du petit dernier ou encore d’une scène insolite. Envoyez-le par MMS en indiquant l’adresse postale du destinataire avec un message personnel (du genre, ‘ Il fait beau, la mer est chaude et les enfants s’amusent comme des fous ‘). Si le tout est envoyé avant 16 heures, la carte postale arrive à bon port le lendemain matin. L’idée a été lancée par l’opérateur allemand T-Mobile et importée en France par SFR le 29 octobre. Il vous en coûtera 1,5 euro (soit environ 10 F), plus le coût d’un MMS. Mais, si c’est pour prendre en photo la plage, la place du village et le monument, ce n’est peut-être pas vraiment la peine !

Faire ses courses sans se déplacer

Il vous le faut. Quoi ? Le produit, là, dans ce catalogue. Il est trop bien, trop beau… Mais pour l’acheter, tout se complique : il faut soit le commander et remplir des papiers, soit aller le chercher dans un magasin et faire la queue. Les Japonais n’ont pas ces soucis, grâce à la société Mediastick. L’idée est toute simple : prendre en photo avec son mobile une sorte de code-barres apposé sur un produit, un catalogue, un site Internet ou un magazine, puis envoyer le cliché par MMS. C’est alors que la technologie de Mediastick, testée depuis septembre NTT DoCoMo, entre en ?”uvre. Elle extrait les données du code-barres pour reconnaître l’objet et trouver le marchand qui le commercialise. Elle lui envoie alors les coordonnées du client afin qu’il puisse expédier le produit et la facture. Le numéro de carte bancaire et les coordonnées postales de l’acheteur sont retrouvés dans la base de données de l’opérateur de téléphonie mobile et ne sont donc pas transmis sur le réseau téléphonique. Sécurité supplémentaire : cet échange d’informations est crypté. Mediastick prévoit de se rémunérer en prélevant une commission. C’est sur le montant de celle-ci que reposera le succès du système.

Diagnostiquer les blessures des accidentés

Lors d’un accident grave, les médecins urgentistes s’accordent pour considérer que chaque seconde peut être vitale pour la victime. Afin d’améliorer le diagnostic médical avant même le transfert d’un blessé à l’hôpital, les pompiers écossais du comté de Fife ont été équipés de photophones. Dès leur arrivée sur le lieu de l’accident, ils photographient, avec leur mobile, les blessures et la position du corps de la victime. Les images sont transmises aux médecins des hôpitaux environnants, qui peuvent en retour envoyer des conseils, préparer l’arrivée des blessés, voire décider de se rendre sur le lieu des opérations. Mis en place en partenariat avec l’opérateur Orange, le dispositif est en test pour six mois. Si les résultats sont concluants, il pourrait être maintenu et étendu.

Imprimer des photos d’identités et des timbres à son effigie

Grâce à la poste néerlandaise, TPG Post, les Hollandais peuvent depuis quelques mois personnaliser leurs timbres. Il leur suffit d’envoyer une photo prise avec un téléphone mobile sur le site Web de TPG Post. Quelques jours plus tard, ils reçoivent des timbres à leur effigie dans leur boîte aux lettres. Les images déposées sur le site de l’opérateur sont converties en fichiers PDF, qui sont ensuite transmis à une société spécialisée dans l’impression de documents de sécurité. La fantaisie coûte tout de même 13 euros (85 F) la première planche de dix timbres et 6 euros (39 F) les suivantes. L’opérateur allemand Vodaphone D2 n’est pas en reste. Il propose une alternative ‘ high-tech ‘ aux vieux photomatons, qui permet de faire imprimer une planche de huit photos d’identité autocollantes, simplement en envoyant une photo par MMS. Le prix n’est pas excessif puisque Vodaphone D2 facture ce nouveau service 2,49 euros (16 F).

Et si vous créiez votre moblog ?

Tenir un journal intime de votre journée avec votre téléphone-appareil photo, c’est possible. Ouvrez un moblog et envoyez vos clichés, ils seront consultables par tous les internautes.

Les weblogs, vous connaissez ? Ces sites Web, similaires à des forums, permettent de créer facilement un journal en ligne en y ajoutant des commentaires, des liens etc. (lire notre enquête de février 2003, l’Oi n?’ 147, page 54). Vous pouvez aussi créer un weblog grâce à votre téléphone-appareil photo. Dans ce cas-là, on parle de moblog. Vous pouvez y envoyer un commentaire, un son, une photo n’importe quand et de n’importe où. Une poignée de secondes plus tard, c’est en ligne et consultable par tous les internautes. L’instantanéité des moblogs est telle que certains y voient une nouvelle forme de journalisme. Ainsi, lors de la récente guerre en Irak, un journaliste de CNN utilisait un simple mobile pour transmettre des messages sonores sur son moblog (www.kevinsites.net). Seul problème : envoyer plusieurs images par MMS (Multimedia Message Service) peut rapidement coûter cher, car les MMS sont facturés près de 0,5 euro (3 F) par les opérateurs de téléphonie mobile. Certains moblogs envisagent donc de mettre en place des partenariats avec les opérateurs afin de négocier des tarifs intéressants pour l’envoi de messages sur leurs sites.

Des photos très indiscrètes

L’utilisation des téléphones-appareils photo conduit parfois à des dérives. Des législations et des logiciels sont en préparation pour éviter les débordements.

Qui se méfierait d’un mobile ? Presque personne. Mais depuis quelques mois, les modèles avec appareils photo sont de plus en plus répandus, et quelques dérives commencent à apparaître. Certains voyeurs utilisent le discret engin dans les piscines ou les saunas, tandis que d’autres s’en servent pour faire de l’espionnage industriel. Au mois de juin 2003, un ambulancier a ainsi été surpris en train de prendre un cliché du cadavre d’une adolescente victime d’un accident de la route. En Corée du Sud, Samsung, qui produit pourtant ce genre d’appareils, a décidé d’interdire l’usage des mobiles dans ses usines et dans ses bureaux de recherche pour éviter que ses secrets industriels soient piratés. Hyundai et Kia Motors n’ont proscrit que ceux munis d’appareils photos. En Australie, les autorités songent à imposer des restrictions à l’utilisation de ces appareils. En Europe, l’usine d’Opel à Anvers, qui s’apprête à assembler la nouvelle Astra, les a interdits, et la Suisse alémanique ainsi que la Norvège ont fait de même dans les piscines publiques. En plus des législations, des solutions techniques sont en cours de développement. La société britannique Iceberg Systems propose un système qui force le verrouillage de la fonction photo du téléphone en émettant des signaux particuliers. Toutefois, ce système n’agit que sur les mobiles équipés d’un logiciel développé par Iceberg Systems, et rien ne garantit que les constructeurs l’intégreront à leurs appareils. Dernière parade envisagée : rendre obligatoire le déclic sonore, proche de celui dun appareil photo classique !

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Benjamin Cherrière