Si l’on en croit l’industrie musicale, le piratage serait responsable et, bien sûr, seul responsable de la chute mondiale des ventes de disques, qui atteindrait les 10 % en 2002. L’affaire n’est pas vraiment nouvelle ;
en mai 2001, une directive européenne imposait aux Etats membres une ‘ harmonisation de certains aspects du droit d’auteur ‘ censée renforcer le droit, pour les éditeurs, de lutter contre la copie
pirate.C’est la transposition de cette directive qui arrive aujourd’hui sur le bureau du Parlement français, après plus de deux ans de tergiversation. On peut comprendre le dilemme des législateurs : l’exercice relève de la quadrature
du cercle, puisqu’il s’agit de légitimer les dispositifs anticopie installés sur les CD-audio et les DVD-vidéo sans pour cela remettre en cause le droit à la copie privée un droit issu de la révolution, qui s’inscrit dans le principe du libre
accès à la connaissance pour tous… et qui rapporte aussi pas mal d’argent à l’industrie musicale et cinématographique.
Un projet de loi flou
A exercice périlleux, résultat cafouilleux ! Pour ménager la chèvre et le chou, le gouvernement a rédigé un projet de loi tellement général et contradictoire que son application ne peut que poser problème.Car si les exceptions au droit des auteurs ne sont pas modifiées on en ajoute même une nouvelle autorisant les reproductions adaptées aux personnes handicapées , elles sont désormais suivies de la mention :
‘ Les exceptions visées aux alinéas précédents ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’?”uvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. ‘ Dans quelle
condition une copie strictement privée peut-elle porter atteinte à l’exploitation normale ? On n’en saura rien. Qu’est-ce qui distingue un préjudice justifié (pour autant que cela existe !) d’un préjudice injustifié ? Mystère.L’article 7 du projet de loi ouvre une brèche encore plus sérieuse dans le droit à la copie privée en autorisant la mise en place de ‘ mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les
utilisations non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ‘.Jusqu’à présent, c’était la loi qui fixait les utilisations autorisées ou non… Désormais, ce seront donc les auteurs ? Oui, à condition de mettre en place des ‘ mesures
volontaires ‘ pour que l’on puisse toujours bénéficier des fameuses exceptions aux droits d’auteur, précise l’article 8. La loi, évidemment, ne dit pas comment. La seule chose qu’elle prévoit explicitement, c’est la
possibilité de limiter le nombre de copies. Bref, les éditeurs peuvent installer des dispositifs anticopie… qui n’interdisent pas la copie.Il est clair qu’avec de telles dispositions, les litiges devraient se multiplier. Cela aussi, la loi l’a prévu ! Elle crée un collège de médiateurs composé de ‘ trois personnalités qualifiées, nommées par
décret sur proposition conjointe des ministres de la Justice, de la Culture et de l’Industrie ‘. Ainsi, si vous estimez abusif de ne pas pouvoir encoder un CD-audio en MP3 alors que vous l’avez acheté pour l’écouter sur votre
baladeur, il vous faudra saisir le collège, qui a deux mois pour statuer ; et s’il vous donne raison, l’éditeur pourra introduire un recours devant la cour d’appel de Paris qui, elle, n’est tenue à aucun délai.
Internet : principal vecteur de diffusion illégale
Mais que le consommateur, de guerre lasse, n’imagine pas qu’il puisse se faire justice lui-même : toute atteinte aux mesures de protection sera désormais considérée comme un délit de contrefaçon. Il sera également interdit de
fabriquer, d’importer, de commander, de distribuer et même de faire connaître ‘ directement ou indirectement ‘ (entendez notamment dans la presse ou sur le Web) des procédés permettant de faire sauter
ces protections.Le plus étonnant, c’est que cette loi mal ficelée risque d’avoir pour seul effet de compliquer la vie de ceux qui s’en tiennent à une utilisation légale du droit à la copie privée, sans pour autant freiner efficacement le piratage.
Car elle ne s’attaque pas au principal vecteur de la diffusion illégale : Internet, et notamment les systèmes de peer-to-peer. On ne peut le lui reprocher. Aucun gouvernement n’a les moyens de régenter le réseau mondial. Et plusieurs juges,
notamment aux Etats-Unis, ont estimé que ces systèmes n’étaient pas plus illégaux que les graveurs de CD ou les magnétoscopes. Or, il suffit qu’une seule copie, réalisée légalement ou illégalement, soit ainsi diffusée pour que tous les internautes
du monde puissent la récupérer. Il ne reste plus aux auteurs et à leurs représentants qu’à attaquer ceux-ci en justice. Ce qu’ils ont commencé à faire à l’encontre de quelques gros ‘ consommateurs ‘,
mais qui semble totalement irréaliste contre des millions de petits. Du coup, si la loi est votée en l’état, on peut se demander si les restrictions au droit à la copie privée qu’elle avalise ne risquent pas de précipiter un peu plus dans
l’illégalité, via Internet, un nombre encore plus important de consommateurs frustrés. Ce qui n’irait pas vraiment dans le sens recherché…
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