En novembre dernier, alors que les banlieues françaises s’embrasent, Serge Michel, rédacteur au magazine suisse L’Hebdo, veut se démarquer de la presse française et internationale qui vient filmer les voitures en feu. Il débarque à Bondy, en Seine-Saint-Denis, et y reste pour une durée alors non définie. ‘ Nous voulions faire quelque chose de différent pour comprendre les racines profondes des problèmes en banlieue. Nous avons voulu vivre sur place en immersion ‘, explique le journaliste suisse familier des zones de conflits partout sur la planète.Pendant plus de trois mois, Serge Michel et ses collaborateurs vont se relayer pour apporter une vue de l’intérieur à travers leur blog. ‘ Nous avons aidé les journalistes suisses. Ici, certains avaient la rage, car les journalistes viennent d’habitude chercher les images qu’ils veulent. Mais ils ont déjà toutes les réponses ‘, raconte Kamel, qui est passé de l’autre côté de la barrière, en contribuant au Bondy Blog. Car les journalistes suisses ne pouvaient rester indéfiniment. ‘ Les jeunes nous demandaient ce qu’ils allaient faire après notre départ. Nous avons décidé de leur apprendre à écrire et à bloguer. De victimes, ils pourraient devenir acteurs de leur vie ‘, explique Serge Michel.
Une motivation soutenue
Une petite équipe se constitue assez vite. On y retrouve, entre autres, Kamel et son ami Hakim, assistants de la première heure, tous les deux au chômage ; Sada, une lycéenne qui a découvert le blog lorsque les journalistes sont venus assister à un de ses cours de préparation au concours de Sciences Po ; et Elodie qui vient d’entrer en fac.L’Hebdo invite les jeunes gens à Lausanne pour leur donner quelques bases de journalisme, puis les jette dans le grand bain en mars. ‘ Nous continuons à les suivre à distance. Il faut les motiver, ce n’est pas évident pour eux ‘, conclut Serge Michel. Depuis, les jeunes blogueurs n’ont pas chômé. En cette journée d’avril, dans leur quartier général au Café du Moulin, Kamel et Hakim ont travaillé avec le journaliste suisse, de retour à Bondy pour le lancement du livre, pour préparer l’interview du maire (voir encadré). Puis ils sont passés récupérer Sada à la sortie des cours. Direction le lycée Léo Lagrange, où ils vont assister à une réunion de préparation pour l’accueil de dix lycéens algériens en mai. Les lycéens français doivent organiser le programme et gérer le budget attribué par la région.A la fin de la réunion, Sada pose ses questions aux lycéens, dont une grande partie est issue de l’immigration : ‘ Qu’attendez-vous de cet échange ? Allez-vous leur poser des questions sur la guerre et la colonisation ? ‘. Hakim, qui a pris des photos pendant la réunion, interroge une lycéenne grâce à un dictaphone numérique. Car les blogueurs ont récemment ajouté le son aux textes et aux photos, addition bien employée qui contribue à rendre le blog encore plus vivant. ‘ Nous racontons notre vie en banlieue pour montrer que nous ne sommes pas tous des sauvages et des casseurs, explique Sada, qui vient d’apprendre qu’elle est admissible à Sciences Po. C’est parfois difficile de combiner le blog avec mes études et mon travail du week-end. Mais je m’amuse trop pour lâcher. ‘Au départ des Suisses, Mohamed Hamidi est devenu rédacteur en chef du Bondy Blog. Ce professeur de 33 ans est chargé d’encadrer l’équipe. ‘Nous nous retrouvons tous les lundis au café pour notre conférence de rédaction. Ensuite, c’est moi qui relis leurs articles. S’il y a des problèmes de fond, on en discute. Je dois aussi surveiller les commentaires des internautes pour des raisons juridiques. ‘ Pour lui, le Bondy Blog est un parfait exemple de journalisme citoyen. ‘ On informe les gens. Mais l’expression n’est pas professionnelle et formatée. C’est plus spontané. ‘ Avis partagé par Hakim : ‘ Le blog change la ville, nous donnons une voix à ceux qu’on n’entendait pas. Nous sommes sur le terrain et nous pouvons obtenir des informations que des journalistes n’auraient pas. ‘
Actualité brûlante et portraits
De fait, les textes du blog collent souvent à l’actualité. Reportages sur la situation dans les lycées locaux pendant les manifestations contre le CPE ou interview d’un bagagiste d’origine marocaine à l’aéroport de Roissy lorsque Philippe de Villiers publie son livre Les Mosquées de Roissy.D’autres sujets sont des témoignages de vie, comme cet article consacré à une jeune femme qui raconte l’inceste qui a fait basculer sa vie dans le désespoir. D’autres articles sont iconoclastes. C’est le cas par exemple d’un article, très révélateur, de Kamel qu’il a écrit après avoir interrogé les habitants de Neuilly-sur-Seine.Les idées de sujets, les blogueurs n’en manquent pas. Surtout que leurs rangs se sont étoffés. En revanche, ils fonctionnent avec les moyens du bord : un dictaphone et trois appareils photo numériques forment à peu près tout leur équipement. Les réunions se font au café et chacun écrit et envoie ses textes comme il peut.Au plus haut de la vague, le blog a attiré jusqu’à 3 000 visiteurs par jour. ‘ Il y a des fidèles depuis le début, résume Sada. Pour certains, on voit qu’ils ne connaissent pas la banlieue. Certains ne changeront pas d’opinion. Mais peut-être que d’autres découvriront des choses. ‘ René Connat est un retraité qui habite Bondy depuis des années. Mais il habite le Bondy Sud, celui des pavillons, coupé du Bondy Nord, plus difficile, par la nationale et le Canal de l’Ourcq. Présent au lancement du livre à la bibliothèque municipale, il est heureux que le Bondy Blog continue. ‘ Il faut mettre les gens en relation et voir les divergences. J’ai pris conscience d’injustices que j’ignorais. ‘ Le Bondy Blog sert aux jeunes de Bondy à s’exprimer et à être entendus. Merci L’Hebdo.www.hebdo.ch/bondyblog.cfm
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