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La vitrine des choses : la banlieue

Rêve éveillé, monde transfiguré, La vitrine des choses nous fascine tant la fiction semble en adéquation avec la réalité, tant les personnages empruntés à notre mythologie…

Rêve éveillé, monde transfiguré, La vitrine des choses nous fascine tant la fiction semble en adéquation avec la réalité, tant les personnages empruntés à notre mythologie moderne qu’est Star Wars ne déparent pas dans le décor grandiose et désolé de la banlieue. Voilà le pouvoir de la photographie, nous dit Cédric Delsaux : ‘ Tenir dans un même cadre le proche et le lointain, le rêve et le réel. ‘ Nous faire croire à l’incroyable, à la beauté et à la magie de ces lieux si souvent décriés et maltraités.Micro Photo Vidéo : Vous avez débuté une trilogie, La vitrine des choses, avec un premier volet consacré au Nord, décor de vos vacances, et un deuxième à La banlieue, décor de votre quotidien. Quelle est l’idée de cette recherche toujours en cours ?Cédric Delsaux :
La Vitrine est avant tout une démarche regroupant différentes séries, comme les pièces d’un puzzle en construction. L’idée est toujours secondaire, juste un prétexte pour se promener sur le bord des routes, des plages ou des campagnes. Ce qui ‘ fait ‘ un photographe n’est jamais une idée, me semble-t-il, mais bien son rapport au monde et aux choses qu’il photographie. L’idée agit ensuite comme un filtre, un catalyseur ou un révélateur. La vitrine des choses fonctionne sur ce mode : il s’agit d’une promenade, d’une balade solitaire dans des lieux qui me touchent souvent sans raison véritable. Ces parkings à répétition, ces zones mixtes et souvent ternes. Ils sont à la lisière du beau et du laid, de l’insipide et du marquant. J’ai l’impression que seule la photographie est capable de rendre ces fragiles équilibres. Cet état d’‘ entre-deux ‘ provoque en moi une sorte d’emballement imaginaire que je tente de rendre par des images à l’esthétique froide, comme celles de l’école photo allemande, mêlé à des intentions plus dramatiques, plus subjectives et plus cinématographiques dans ce cas précis.MPV : Dans la série La banlieue, vous avez justement ajouté aux décors des personnages actifs et fictifs, issus des films Star Wars. Pourquoi avez-vous opté pour une esthétique de science-fiction ?C.D. : Le choix des personnages de Star Wars était un prétexte pour photographier la banlieue en y introduisant une distance, voire une certaine ironie que l’on ne retrouve généralement pas dans les photos de ce type de lieux. Je voulais montrer la banlieue autrement que sur le mode récurrent sociologico-dépressif. La banlieue, c’est un univers entier qui ne se réduit pas seulement aux cités ghettos du 93 et aux émeutes violentes de l’automne dernier. En plaçant des personnages plutôt guerriers, comme le nom Star Wars l’indique, je ne donne pas mon point de vue sur les événements ou les lieux, mais je recrée une fiction ouverte à toutes les interprétations. Ces personnages insérés donnent soudainement une importance considérable au décor en les contaminant de leur propre aura et leur forte charge émotionnelle. Ce mélange incongru d’univers, qu’apparemment tout oppose, est au c?”ur de ma démarche : nous basculons dans un monde purement photographique. Ni réel, ni imaginaire, ni vrai, ni faux. Un territoire ‘ entre-deux ‘.MPV : Comment réalisez-vous techniquement l’insertion de vos personnages ?C.D. : Pour cette série, j’ai travaillé comme pour une pub. Je croque tout d’abord des dessins qui me servent de rough (brouillon), j’effectue ensuite les repérages des lieux, puis la prise de vue proprement dite avec les personnages, lorsqu’ils sont transportables… Sinon, je les photographie en studio et je les réimbrique avec Photoshop. Les figurines mesurant entre 10 et 40 cm, la difficulté est donc de les photographier dans la bonne perspective, la bonne lumière pour les rendre crédibles, une fois qu’ils seront positionnés dans le décor. Je photographie d’abord le décor, puis le personnage à l’endroit exact où il prendra place. Je ne l’agrandis jamais en retouche, cela abîmerait les pixels et rendrait l’incrustation trop visible. Cela doit être réalisé à la prise de vue : il faut photographier le personnage à la taille où il apparaîtra dans le cadre, c’est-à-dire se rapprocher considérablement de lui et utiliser un objectif macro. Il reste ensuite à le détourer et à le ‘ poser ‘ dans le décor en lui ajoutant de sombres et autres petits secrets qui le rendront plus réel… Je retravaille ensuite la chromie générale pour donner une teinte froide à l’ensemble : quelques courbes, une certaine désaturation et le tour est joué !MPV : Modifiez-vous les décors ? Peut-on parler d’une recherche sur la dimension architecturale ?C.D. : C’est exactement cela : il ne s’agit pas d’une photographie d’architecture, mais une recherche architecturale des lieux. Ce qui m’intéresse n’est pas tant la forme des immeubles ou du mobilier urbain que leur agencement dans un espace déterminé. Il m’arrive effectivement de simplifier un horizon, un immeuble, mais cela n’est pas la règle. Mes images ne sont jamais totalement reconstruites, la forme doit rester globalement la même que ce que verrait un promeneur lambda sur le site.MPV : Quel équipement numérique utilisez-vous et quel point de vue portez-vous sur la capture numérique ?C.D. : Pour ces photos, j’ai utilisé un Canon EOS 1 Ds Mark II. Je l’ai choisi pour sa simplicité d’usage et son faible coût d’utilisation (hormis celui de l’achat !). Mais j’aurais pu tout autant utiliser un moyen format 6 X 7 argentique, suivi d’une numérisation des diapos. J’utilise désormais un dos numérique Phase One (P30) couplé à un moyen format traditionnel Hasse lblad H2 (le constructeur Phase One produit des dos numériques destinés aux appareils de studio. Ces appareils sont modulaires, on peut changer non seulement l’objectif, mais aussi le viseur ou le dos. Cette modularité permet par exemple d’adapter un dos numérique à un appareil à l’origine prévu pour utiliser du film. Il s’agit de matériel très haut de gamme et très coûteux, hors de portée de l’amateur moyen, NDLR). Ils me garantissent une qualité au moins équivalente à celle d’une chambre 4 X 5, en beaucoup moins lourd… mais en plus fragile, disons capricieux. D’une manière générale, je ne pense pas que le numérique ait modifié le rapport des photographes à la réalité. Pour moi, c’est un contresens qui a la vie dure. Certes, ‘ la parenthèse indicielle ‘ s’est refermée, la ‘ pellicule n’emprisonne plus de photons ‘, suivant la définition romantique de la photo, mais elle n’a jamais été autre chose qu’un simple enregistreur de réel. Le travail du tirage est remplacé par celui de la retouche avec les défauts et les qualités inhérents à l’un comme à l’autre. Mais l’un ne contient pas plus de réel que l’autre. Autrement, nous verrions tous le monde en noir et blanc avec un gros grain type tri X, le tout sur un beau papier baryté ! En fait, je pourrais me résumer ainsi : seul le résultat compte.MPV : Vous êtes l’un des (encore) rares lauréats de la Bourse du talent récompensé pour une photographie plastique plutôt numérique. Quelles sont vos références artistiques en général et photographiques en particulier ?C.D. : Mes influences sont multiples. C’est la littérature, par exemple, qui m’a rapproché de la photo. Je pense à des écrivains comme Christian Bobin ou J.M.G. Le Clézio dont certaines phrases me poursuivent depuis des années. Je rêve de mettre en images ce qu’ils ont mis dans leurs mots. Il y a des démarches aussi qui ont beaucoup compté : celle de Raymond Depardon, notamment, dans sa sortie du photo-journalisme. J’ai lu sa correspondance new-yorkaise en 1992 et cela a été comme un choc : le reportage n’avait plus d’avenir pour moi. Je n’y croyais plus. Mais par quoi le remplacer ? Quoi photographier ? Pour quoi faire ? Il m’a fallu dix ans pour trouver un début de réponse. Il y a tous ceux également sur lesquels s’appuie la modernité actuelle, les incontournables : Walker Evans, William Eggleston, Robert Franck, Diane Arbus, etc. Et puis des ‘ plus jeunes ‘ que j’admire autant. Je pense à DiCorcia, à Crewdson ; à des Français comme Cristophe Bourguedieu, aux instantanés lents de Bustamente… et encore tellement d’autres. Je suis aussi fasciné par l’école allemande, les Becher en particulier. Je conteste pourtant leur prédicat basé sur une photo parfaitement neutre. À mon sens, c’est un leurre. L’esthétique du peu, du froid, du lointain ou du vide que j’affectionne tant me semble au contraire directement connectée au réel, et par là même bouillonnante d’affects.MPV : Quel sera le prochain décor de La vitrine des choses ?C.D. : Tout dépendra de mes promenades…

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Marilia Destot