Contrôler un ordinateur par la pensée : cette piste de recherche, a priori saugrenue, a fait d’étonnants progrès ces dernières années. Si aujourd’hui, on ne sait pas encore remplir un tableau Excel en pensant très fort aux
données qui doivent être saisies dans les cellules, les chercheurs savent déjà commander des muscles et des robots à l’aide de signaux cérébraux envoyés sur un PC.A la fin de l’année 2003, deux équipes de chercheurs (voir encadrés) ont fait part de leurs progrès réalisés en matière de BCI (Brain Computer Interface). Leurs expériences reposent sur le même principe : des
électrodes placées sur le crâne (d’un homme dans un cas, d’un singe dans l’autre) captent et transmettent les impulsions électriques du cerveau à un appareil d’acquisition de signal. Cet outil, généralement un électroencéphalogramme (le
magnetoencéphalographe, le spectroscope en proche infrarouge ou l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique sont aussi utilisés dans ce genre d’expériences) amplifie, mesure précisément l’activité électrique du cerveau et la transmet à un
ordinateur. Un logiciel analyse alors les courbes et repère, parmi toutes les fréquences, celles qui correspondent au désir d’effectuer une action précise (un mouvement par exemple). Ces fréquences déclenchent un autre signal qui permet à un muscle,
stimulé électriquement, ou à un robot, d’effectuer ce mouvement. Cette opération est rendue possible grâce à une particularité du cerveau qui, une demi-seconde environ avant chaque mouvement, produit un signal électrique spécifique.
Une méthode prometteuse, mais à parfaire…
Prometteuse, cette méthode s’appuie sur un dispositif qui mérite encore de nombreuses améliorations. Car si l’implantation d’électrodes dans le crâne se révèle plus précise et plus fiable que les systèmes d’acquisition d’ondes
cérébrales dits non invasifs (sans intervention chirurgicale), ce dispositif soulève en revanche plusieurs problèmes. D’une part, parce que les électrodes peuvent être considérées comme un corps étranger, et rejetées par certains organismes. D’autre
part, parce que les signaux qu’elles transportent ne sont pas facilement lisibles. Leur faible amplitude (les différences de potentiels relevées entre deux électrodes sont de l’ordre du millionième de volt) et leurs fréquences basses (de 5 à
40 Hz) n’aident pas l’ordinateur à reconnaître, parmi tous les signaux qu’il reçoit, ceux qui correspondent à une action donnée (effectuer un mouvement, par exemple). De plus, les programmes des chercheurs sont conçus pour un seul individu, et
leur durée de vie est limitée ; chaque personne possède en effet sa propre ‘ signature électrique ‘. Quand Paul pense à bouger la main droite, les composantes de son signal électrique ne sont pas
celles de Pierre lorsqu’il fait la même chose. Et cette signature évolue dans le temps : le signal enregistré quand Paul bouge sa main droite à un instant T n’est plus le même six mois après…
De la thérapie au contrôle de la pensée
Ces difficultés expliquent, en grande partie, le faible ‘ taux de communication ‘ entre le cerveau et l’ordinateur qu’on peut attendre des BCI. Les chercheurs parviennent à donner, au
maximum, une trentaine d’ordres simples par minute à la machine. Même à l’horizon d’une dizaine d’années, il ne faut pas s’attendre à un contrôle de l’ordinateur par la pensée aussi efficace et précis qu’une souris, un clavier ou un joystick. Les
spécialistes espèrent parvenir à effectuer des tâches simples comme sélectionner des icônes ou du texte, mais pas à effectuer des man?”uvres complexes comme le dessin, qui implique un mouvement de la souris très précis.Si ces recherches se heurtent à des problèmes physiologiques, elles soulèvent aussi des problèmes d’ordre éthique. Certains chercheurs se sont en effet penchés sur le décryptage des signaux cérébraux à l’aide d’un ordinateur dans un
but qui n’a rien à voir avec l’aide aux personnes handicapées. La Nasa a ainsi mis au point un logiciel qui permet d’interpréter les signaux nerveux envoyés aux cordes vocales lorsqu’une personne se parle à elle-même. Ce système fonctionne à l’aide
de capteurs placés au niveau de la pomme d’Adam. Il ne reconnaît, pour l’instant, que six mots et dix chiffres… Toujours aux Etats-Unis, Lawrence Farwell, spécialiste en neurosciences, a mis au point une version plus fiable du détecteur de
mensonges, baptisé Mermer. En analysant une onde particulière de la mémoire, son système détecte si une image, une phrase, un objet présenté à une personne est déjà enregistré dans sa mémoire. Autrement dit, ce système permet de savoir ce que l’on
sait ! Reconnu comme élément de preuve par la Cour suprême de l’Iowa, le Mermer a permis d’innocenter un détenu incarcéré depuis vingt-six ans en 2003 et d’en confondre un autre, quinze après les faits, en 2004. Ravie de cette découverte, la
CIA finance le laboratoire du Dr Farwell tandis que le FBI a dépêché un de ses agents dans l’équipe. Si le contrôle d’un ordinateur par la pensée laisse envisager de nettes améliorations de notre vie quotidienne, le contrôle de la pensée par
ordinateur pourrait, en revanche, conduire à de plus inquiétantes perspectives…
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