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Ils vivent de leurs sharewares

Nul besoin de s’appeler Apple, Adobe ou Microsoft pour gagner de l’argent en créant des logiciels Mac. Une poignée de développeurs réussit à vivre de sa passion pour la Pomme.

L’été dernier, sur invitation d’Apple, Wil Shipley anime une conférence auprès d’étudiants en informatique. A la question ‘ Pourquoi le Mac ? ‘, il répond en montrant la photo de sa
voiture : un superbe coupé Lotus rouge vif (modèle Elise, pour les amateurs). Shipley est un brillant développeur, une figure reconnue par ses pairs. Il ne travaille ni pour Apple, ni pour Microsoft ou encore Adobe, mais pour Delicious Monster.
Il en est à la fois le patron et le seul employé.Il a conçu et vend pour 33 euros,
Library, un astucieux logiciel pour gérer ses DVD, CD, livres, etc. Le jour de sa mise en ligne, Library engrangeait 54 000 $
(environ 45 000 ?) et 250 000 $ au bout d’un mois. Bien assez pour payer les trois personnes qui l’avaient assisté pendant les sept mois (seulement) de développement. Et si certains ont démarré une fortune
depuis un garage, Shipley a lui établi ses quartiers chez Zoka et BluWater, deux cafés de Seattle équipés en accès Wi?”Fi.

Un petit marché de masse

De prime abord, il paraît difficile d’imaginer que le petit marché Mac puisse faire vivre des auteurs de simples sharewares.
‘ C’est une niche assez
spacieuse ‘,
rétorque néanmoins Claudia Zimmer d’Aquafadas (lire l’encadré ‘ iDive, le pari réussi de Claudia et Matthieu ‘). Ce petit éditeur du sud de la France a créé
un puissant gestionnaire de fichiers vidéo vendu 71 euros. ‘ Apple affirme avoir 500 000 utilisateurs de Final Cut Pro et il y a tous ceux dont le disque dur déborde de séquences QuickTime de toutes sortes. Du
coup, le potentiel de clients n’est pas négligeable. ‘
Même analyse chez Dan et Ben Counsell, les auteurs de
Rapidweaver, un logiciel de création de sites Web. ‘ On s’est rendu compte qu’il n’existait pas sur
Mac de moyen simple pour publier des pages, sauf à payer le service .mac d’Apple mais il est assez limité. ‘
Ce sont ainsi 8 000 personnes (chiffre d’avril 2004, la plupart des auteurs préfèrent rester
discrets sur ce point) qui ont payé 33 euros pour leur logiciel. Une paille, certainement, face au très sophistiqué Dreamweaver d’Adobe, mais un joli score pour ces deux jeunes Anglais (21 et 27 ans) qui travaillent depuis leur
appartement de Brighton.Parmi les stars du shareware, on compte l’allemand
GraphicConverter. Ce mini Photoshop, né en 1992, traduit en onze langues et vendu 25 euros aurait été acheté par 160 000 personnes
selon son auteur, Thorsten Lemke. Plus fort encore, le
NetNewsWire de Brent Simmons, un excellent logiciel de lecture des fils d’actu RSS. Simmons revendique une base d’un million
d’utilisateurs ! L’Américain ne détaille pas la part d’utilisateurs de la version gratuite (Lite) de celle de la version payante (21 €). Mais il dit vivre de ce travail depuis la version 1.0 lancée en février
2003. Et l’homme a eu le nez creux. Avec l’explosion des fils RSS partout sur le Web, son logiciel est devenu incontournable et il vient d’être racheté (lire l’encadré ‘ Quarté
gagnant ‘).

L’utilisateur est roi

Jim Knops, l’un des créateurs il y a vingt ans du modèle économique du shareware
(lire l’encadré ‘ Le shareware une idée à trois ‘),
expliquait un jour que la clé du succès tenait dans l’étroite relation entre un développeur et ses utilisateurs. Avec une certaine modestie, il ajoutait : ‘ après un an, je n’avais plus aucune idée pour
faire évoluer mon logiciel. Les utilisateurs et leurs suggestions sont à l’origine de 90 % de ses fonctions. ‘
A écouter les auteurs d’aujourd’hui, rien n’a changé. Interrogés sur ce qui leur prend le plus de temps, développement mis à part, tous citent le support technique et les échanges avec leurs clients.
‘ Je dois recevoir 200 courriels par jour ‘, estime Thorsten Lemke. ‘ J’ai de la chance si je peux passer la moitié de mon temps à
développer ‘,
observe James Thomson, l’auteur de
DragThing, le meilleur des lanceurs d’applications. Claudia Zimmer insiste sur la nécessité de gérer les
priorités. ‘ On a toujours plein d’idées et les utilisateurs n’en manquent pas non plus, tout l’art réside dans le mariage de sa vision avec celle des autres. Mais les journées ne font que 24 heures.
Et une fois le programme achevé, il faut encore préparer le site Web, la documentation, la version anglaise, la communication, etc. ‘
Pas étonnant alors que beaucoup d’auteurs de sharewares travaillent en équipe, et souvent avec leur compagne, partenaire anonyme mais indispensable. C’est le cas du couple Thomson en Ecosse et des
Simmons où madame gère la comptabilité et l’assistance technique sur NetNewsWire. Claudia Zimmer laisse à Matthieu Koppe les joies de la programmation
d’iDive et pilote la communication et le développement d’Aquafadas. Cris Pearson, l’un des principaux concepteurs de
Comic Life, un épatant générateur de bandes dessinées, a lui aussi salarié sa petite amie pour gérer les commandes et l’assister dans le design
de l’interface.Ce caractère chronophage des sharewares explique en partie, mais en partie seulement, pourquoi les plus fameux sharewares du Mac n’ont que très rarement été portés sur Windows.
‘ Financièrement ce pourrait être intéressant, explique Jon Gotow l’auteur de Default Folder X, un utilitaire améliorant les fenêtres de dialogue de Mac OS X, mais techniquement avec la variété de
matériels existant sur PC, je ne pourrais pas évaluer toutes les hypothèses en cas de dysfonctionnement. ‘
Il existe aussi l’attachement sentimental au Mac. Thorsten Lemke avance également un argument culturel à ce refus du PC. ‘ Mon expérience en Allemagne est que l’utilisateur Windows ne paie jamais
pour ses logiciels ‘
et Will Shipley d’ajouter : ‘ Les utilisateurs qui ont choisi Windows ont prouvé, ipso facto, qu’ils ne croyaient pas aux petites
boîtes. ‘
Par sa taille et par l’appétence des utilisateurs pour la nouveauté et les applications de qualité, le marché Mac représente un bon terreau pour les auteurs de talent. Ces derniers touchent un public très
large grâce à Internet tandis que les systèmes de paiement en ligne facilitent la distribution de leurs réalisations. ‘ Nos toutes premières ventes d’iDive sont venues d’Alaska et de
Thaïlande ‘,
raconte Claudia Zimmer.

Un bon terreau pour les auteurs de talent

Le logiciel sorti, il faut alimenter les commentaires autour de lui, par des mises à jour, la publication de tests et bien sûr l’incontournable bouche à oreille, amplifié aujourd’hui par les blogs. A ce jeu de la
communication, certains logiciels ont de fait des atouts, tel Comic Life. ‘ Les gens publient en ligne leurs BD et cela donne une visibilité sans autre équivalent au logiciel. ‘ Citons aussi
GraphicConverter, inclus sur les machines d’Apple.L’alchimie de la réussite est néanmoins complexe, même pour un titre de qualité. Richard Soberka en a fait l’amère expérience. Il avait dû embaucher des collaborateurs pour parfaire son jeu d’arcade
Captain Bumper. Certes, malgré une sortie le 11 septembre 2001, celui?”ci a rapporté environ 55 000 euros en un an. Une somme toutefois
insuffisante pour couvrir les frais de développement. Et ‘ l’argent a manqué pour un second jeu ‘. Son budget de production était d’environ 160 000 euros. Après en avoir dépensé
40 000, ‘ les recettes de Captain Bumper n’ont pas été suffisantes pour continuer. ‘L’avenir ? Si James Thomson s’inquiète de la concurrence d’Apple sur certains programmes et de celle des logiciels gratuits développés en Open Source, les autres sont plutôt optimistes. Brent Simmons parle même
d’un ‘ âge d’or ‘. Il ne tarit pas d’éloges en ce qui concerne les possibilités de programmation offertes par Mac OS X. ‘ Je peux abattre, tout seul, le travail d’une
équipes de cinq personnes !

Un marché plein d’avenir

Will Shipley se montre encore plus enthousiaste : ‘ Avec le succès de l’iPod et l’arrivée de Mac OS X sur Intel, la part de marché du Mac va être multiplié par trois ou quatre d’ici
deux ou trois ans. ‘
En clair, pour les auteurs de sharewares officiant sur Mac, l’avenir s’annonce radieux !

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Florian Innocente