Galettes à la chaîne

Le bruit assourdissant des machines ferait presque oublier qu’ici, l’industrie est avant tout musicale. De la Star Ac’ aux blockbusters américains, 350 000 CD et 200 000 DVD sortent quotidiennement des entrailles de l’usine
Cinram de Louviers, en Normandie. La fabrication, complexe, est réalisée dans une atmosphère hautement contrôlée, tant en termes de température et d’hydrométrie que de propreté. Rien à voir avec la gravure de CD faite à la maison, sur le PC
familial, d’autant qu’il s’agit ici de pressage. L’opération prend moins de deux jours au total. Il faut d’abord une journée pour fabriquer la matrice, ce disque de référence qui sert de moule lors de la production de masse. Puis une douzaine
d’heures selon l’urgence et la taille de la commande pour presser, mettre sous boîtier, emballer et expédier les milliers d’exemplaires. Une célérité qui permet aux producteurs de musique d’être très réactifs. Par exemple, 100 000
exemplaires de la chanson Candle in the wind d’Elton John, écrite en hommage à Lady Diana, ont ainsi pu être distribués quelques jours à peine après la mort de la princesse. Le processus de production est également extrêmement
sécurisé. Chaque galette fait l’objet d’une bonne dizaine de contrôles avant de sortir de l’usine. Grâce à des caméras numériques et des scanners, les éventuels petits défauts (comme les rayures) sont repérés automatiquement, et le disque abîmé
implacablement retiré de la chaîne de production. En outre, un système de codes barres permet de vérifier que chaque disque trouve son boîtier : impossible donc, en théorie, de se retrouver avec le DVD de L’exorciste après
avoir acheté le dernier opus des Aventures de Oui-Oui. S’il est parfaitement maîtrisé aujourd’hui, ce mode de production vit pourtant ses derniers jours. L’arrivée du DVD-HD et du Blu-Ray va, en effet, obliger les industriels à
revoir grandement si ce n’est totalement, dans le cas du Blu-Ray leurs méthodes de fabrication…

Les données envoyées par les studios de cinéma ou les maisons de disques sous forme de CD-R, DVD-R ou de bandes numériques sont scrupuleusement contrôlées : c’est ce qu’on appelle le
‘ prémastering ‘. Chaque disque, par exemple, est intégralement écouté, afin de vérifier la qualité de l’enregistrement, l’ordre des chansons… Les données sont ensuite placées sur un serveur,
afin de pouvoir être utilisées lors du mastering.

La phase d’insolation consiste à graver les données par laser (photo de gauche) sur un ‘ glass-master ‘ (un disque de verre recouvert d’une résine photosensible). Le disque est
ensuite trempé dans un liquide développeur (un mélange d’hydroxyde de sodium et de phosphate). La réaction chimique qui se produit permet d’éliminer les zones de résine photosensible insolées lors de la gravure. La galette est désormais constituée
de zones brûlées et non brûlées ; de creux et de plats, qui servent à coder les données. Elle est ensuite recouverte d’une minuscule couche de nickel de 50 nanomètres d’épaisseur, pour devenir le master.

Le master est inspecté au microscope, afin de vérifier qu’il ne comporte aucun défaut. On peut ensuite passer à la galvanoplastie, qui permet de fabriquer la matrice le moule définitif qui sera utilisé au moment du pressage.
Durant presque une heure, le master est plongé dans un bain de métal afin qu’il se charge en nickel, par électrolyse. On décolle ensuite le disque de verre de la couche de nickel. Cette dernière, après nettoyage et découpage (on la troue en son
centre et on découpe son diamètre extérieur au format CD/DVD), devient la matrice.

Une fois la matrice testée (des machines confirment que les données qu’elle supporte correspondent parfaitement à celles envoyées par le client), place au pressage. La matrice est introduite dans une presse, où est injectée une
patte de plastique chauffée à 270?’C. Le plastique épouse alors parfaitement la forme de la matrice, reproduisant fidèlement les informations contenues sur celle-ci. Ce que l’on obtient n’est pas vraiment un CD ou un DVD ; plutôt un disque
translucide, appelé substrat. Une presse produit un CD-substrat toutes les 4 secondes ; un DVD-substrat toutes les 3 secondes.

Avec un CD, la surface du substrat est recouverte, sous vide, d’une couche d’aluminium réfléchissante qui permet la lecture du disque par un laser (comme dans un lecteur de CD). Une couche de vernis de protection (1,2 mm) est
déposée sur la face du disque contenant les données, puis séchée par des lampes à UV. Un DVD-vidéo, lui, est composé de deux substrats de plastique collés l’un sur l’autre, un pour chacune de ses couches. Dans ce cas, la métallisation, à base
d’argent, est semi-transparente sur un des substrats, afin que le laser puisse accéder à la deuxième couche de données lors de la lecture.

Avant de pouvoir être commercialisés, les CD et DVD doivent encore être habillés. La face de la galette non protégée par la résine est imprimée selon deux procédés : la sérigraphie, pour les visuels composés de grands aplats
de couleur ; et l’offset (quadrichromie), pour ceux comportant plus de détails. Une fois peints et séchés, ils sont envoyés à l’emballage, où ils sont automatiquement rangés dans un boîtier en plastique, avec jaquette, livret, etc. Enfin,
soigneusement emballés, ils prennent la direction des étals, prêts à être vendus.

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Benjamin Peyrel