Julie Blackmon est artiste et maman. Elle photographie sa vie comme on écrit un roman, entre autobiographie et conte pour enfants. Elle fusionne dans de majestueux tableaux photographiques réalité et fiction, hyperréalisme et sur réalisme, en empruntant la palette de couleurs, de lumières et de perspectives des grands maîtres de la Renaissance. Scènes universelles ou typiquement américaines, Julie Blackmon documente avec humour et sens de la mise en scène, la vie de famille, ‘ quand le mythique devient chaos ‘.Micro Photo Vidéo : Votre famille, votre quotidien sont vos sujets de prédilection. Pourquoi la photographie est-elle si étroitement liée à votre vie ?Julie Blackmon : Une série de choix et de coïncidences. Je suis née à Spring field, Missouri, il y a 40 ans, et vis toujours dans le quartier où j’ai grandi, avec mon mari et nos trois enfants, Stella, Grace et Owen. J’ai étudié la photographie à l’université du Missouri, qui se trouve juste en bas de chez moi, et dans laquelle mon mari dirige aujourd’hui le département de littérature anglaise. J’ai tout de suite su, dès mon premier cours de photographie, que ce serait ma passion, mon métier. J’étais émerveillée chaque fois que mon professeur nous projetait des diapositives d’artistes comme Sally Mann, Emmett Gowin, Henri Cartier-Bresson, Diane Arbus, Ralph Eugene Meatyard et bien d’autres, qui ont beaucoup photographié et mis en scène leur propre famille, leurs enfants. En m’inspirant de leurs travaux, j’ai commencé à photographier mes huit jeunes frères et s?”urs. Je suis l’aînée. Une fois mariée et mère à mon tour, j’ai ensuite photographié mes enfants, simplement, comme n’importe quelle mère le ferait. Tout en me disant, qu’un jour, j’en ferais un vrai sujet. Bien plus tard, nous avons acheté une grande maison ancienne, dans laquelle nous avons découvert un vrai laboratoire photo en sous-sol, le premier laboratoire que connut Springfield il y a cent ans ! Signe du destin, j’ai acheté un agrandisseur et ai remis en route le laboratoire. Je photographiais alors en noir et blanc et réalisais moi-même mes tirages en chambre noire. Ainsi naquit ma première vraie série : Mind Games.MPV :
Domestic Vacations est une série de tableaux photographiques entre documentaire et fiction, sur le quotidien d’une famille américaine. Que signifie véritablement son titre ?J.B. :
Domestic Vacations évoque l’idée d’évasion, ces quelques moments magiques qui transcendent l’ordinaire, la monotonie du quotidien. Ces ont mes ‘ vacances ‘, mes instants de ‘ liberté ‘ vécus à la maison, sans bouger. Être maman est un défi au quotidien. Élever ses enfants dans un monde fait de stress et d’obligations nécessite souvent de prendre du recul sur les choses, de changer leurs perspectives, de s’en faire un tableau d’ensemble, si on ne veut pas perdre pied dans une réalité harassante. Photographier ces instants d’évasion me permet d’en prendre conscience et de relativiser.MPV :
Domestic Vacations nous montre différentes scènes modernes de l’enfance et de la famille en général. Quelles histoires personnelles vous ont inspirée ?J.B. : Dans cette série, j’ai vraiment essayé de traduire le quotidien d’une famille contemporaine dans notre culture qui est extrêmement centrée sur l’enfant, et aussi très auto-centrée. Un quotidien surchargé d’activités : répétitions de théâtre, entraînements de football, fêtes d’anniversaires, diverses leçons, qui ne cessent de réclamer une certaine perfection. Toutes ces pressions constantes nous donnent envie d’être à la fois connectés et déconnectés du monde. J’ai essayé de porter un regard sur ces questions d’une manière chaleureuse. Chaque image révèle en effet une petite histoire personnelle. Play Group parle ainsi des réunions hebdomadaires que j’organisais à la maison. Les mamans discutent pendant que leurs enfants jouent ensemble. Le play group est très courant aux États-Unis, il permet de socialiser les enfants et surtout de commenter les derniers ragots sur Brad Pitt et Angelina Jolie (Brad Pitt est originaire de Springfield !). Autre image : Time Out illustre comment mon fils Owen tourmentait notre chat, au lieu de se préparer pour aller à l’école. Un jour, avant de le punir et de le renvoyer dans sa chambre, je l’ai fait s’asseoir pour prendre cette photo, ce qui a évidemment renforcé sa colère.MPV : Cette série inaugure la couleur, le montage, la retouche, beaucoup de changements dans votre pratique. Comment est-elle née ?J.B. : Je travaille en couleur depuis deux ou trois ans seulement. J’ai commencé d’abord avec du reportage, puis je me suis familiarisée avec le tirage couleur, Photoshop et la technique d’impression, gaspillant beaucoup d’encre et de papier.MPV : Vos photographies nous rappellent tout de suite, avec la lumière dorée et le clair-obscur (Bubble Tape), leurs perspectives déformées (Nail Polish) et leurs multiples personnages dans des poses figées (Play Group), des peintures de grands maîtres du XVIIe siècle. Certaines images semblent même actualiser des toiles très connues, comme les portraits de jeunes filles ou les scènes d’intérieur de Vermeer, Les Ménines de Vélasquez, les fresques de la Cène (Dinner Party), etc. Quelles ont été vos inspirations artistiques pour Domestic Vacations ?J.B. : Elles ont été multiples. Au moment où je démarrais la série, je m’intéressais à la peinture flamande et hollandaise du XVIIe siècle. J’aime particulièrement les peintures de Jan Steen, des scènes d’enfance universelles et pleines d’humour, un humour sans âge. Elles évoquaient déjà, il y a 400 ans, le rythme frénétique de nos vies, nos emplois du temps surchargés. Les images Dinner Party, ou PC, reflètent probablement le mieux ces influences. Autre inspiration : mon image Play Group reprend la composition de la peinture des Fileuses de Vélasquez. Je dois aussi beaucoup à ma s?”ur Rosie Winstead, qui est une illustratrice et un auteur de livres pour enfants. Elle écrivait son premier ouvrage quand j’ai démarré la série. Je me suis alors intéressée à ses propres influences, notamment l’écrivain Ian Falconer, très célèbre pour ses livres Olivia en Amérique. Son influence est évidente dans Time Out, Dinner Party et Gum.MPV : Comment se déroule une séance ? Quels out ils de prise de vue et de retouche utilisez-vous ?J.B. : Je travaille seule, sans assistant. Je photographie avec un appareil Hasselblad posé sur trépied afin de conserver le cadre et photographier plusieurs scènes du même point de vue, en vue d’une fusion de multiples poses. J’éclaire les scènes avec des lampes de studio : une lampe dirigée vers le plafond qui arrose toute la scène et un spot avec parapluie sur le personnage pour le détacher. Quand la pièce n’est pas assez lumineuse, j’ajoute un spot pour l’éclairer en fill-in. Je m’arrange toujours pour que la scène soit suffisamment lumineuse pour poser avec un diaphragme fermé à F:22. Puis je scanne mes films avec un scanner professionnel Imacon et les retouche dans Photoshop. Parfois, je n’utilise qu’un seul cliché que je modifie légèrement, parfois sept ou huit captures mélangées pour n’en faire qu’une. Enfin, je les imprime sur mon Epson 9800, sur du papier perlé Hahnemühle Fine Art, en format large 22 x 22 pouces (55 x 55 cm), montés sous cadre 32 x 32 pouces (82 x 82 cm).MPV : Quels paramètres modifiez-vous particulièrement en retouche ? Les couleurs ? Les proportions ? Les lumières et les ombres ?J.B. : Tout dépend bien sûr de l’image. Souvent, je me contente d’appliquer des courbes de contraste, d’éliminer les poussières de scan. Mais parfois je passe un temps fou au montage. Par exemple, Time Out est au départ un seul négatif que j’ai légèrement ajusté en colorimétrie. En revanche, Camouflage est né de la combinaison de cinq négatifs. Pour conserver une atmosphère naturelle et, en particulier, des ombres vraisemblables, j’ai associé les ombres d’un cliché pris en longue exposition et en lumière naturelle, à des personnages figés dans la lumière et éclairés au flash, en pose courte. Tout en gardant une même direction de lumière. On me demande aussi souvent si je re-sature les couleurs qui apparaissent si vives. Je les travaille modérément, mais l’intensité provient surtout de l’éclairage. De temps en temps, je change aussi les échelles pour réduire la déformation, par mon grand-angle, de certains objets situés aux extrémités du cadre. Cependant, dans une image récente, Crystal Ball, j’ai volontairement exagéré la taille du décor pour qu’il paraisse plus grand et plus déformé que la réalité. Ce sera peut-être une nouvelle direction dans mon travail.MPV : Avez-vous déjà une nouvelle série en tête ? Allez-vous continuer Domestic Vacations ?J.B. : Cette série a à peine deux ans et je pense encore la prolonger pendant six mois. Ensuite, pourquoi pas essayer un appareil de plus large format ? Ou bien alors me convertir totalement au numérique et voir ce que donne un de ces nouveaux appareils à 39 mégapixels…
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