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Comment naissent les mots de la micro

Vous les utilisez tous les jours, mais connaissez-vous leur histoire et leur origine ?

Ordinateur, logiciel, courriel… Les mots de l’informatique nous sont devenus familiers. Pourtant, aucun d’entre eux n’a plus de 60 ans. Tous ont été fabriqués de toutes pièces pour remplacer leurs équivalents
anglo-saxons.Historiquement, le premier mot de notre vocabulaire informatique est ‘ ordinateur ‘. Il reste la meilleure illustration de la création réussie d’un mot. Au printemps 1955, alors qu’IBM
France s’apprête à assembler ses premières machines, il lui manque un mot français court et efficace pour les désigner. Le responsable de la publicité s’en remet à Jacques Perret, son ancien professeur de philologie latine à la Sorbonne. Sa réponse
tombe dans une lettre aujourd’hui conservée dans les archives d’IBM : ‘ Que diriez-vous d’ordinateur ? écrit Jacques Perret. C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré
comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. ‘
Adjugé, donc. Et au placard, les ‘ systémateur ‘,
‘ combinateur ‘,
‘ synthétiseur ‘, ou ‘ congesteur ‘, un temps envisagés.

Un choix stratégique

Le mot ‘ informatique ‘ arrive une petite dizaine d’années plus tard. Contraction des mots ‘ information ‘ et
‘ automatique ‘, il fut imaginé en mars 1962 par Philippe Dreyfus, un ancien cadre de Bull qui baptisa son entreprise Société d’informatique appliquée. Mais le mot ne fut pas immédiatement adopté, il
fallut attendre que le général de Gaulle lui-même tranche en conseil des ministres entre ‘ informatique ‘ et ‘ ordinatique ‘, puis que l’Académie française
le consacre en 1967.Officiellement présenté en 1970, le mot ‘ logiciel ‘ revêtait lui aussi une importance stratégique. Face au mot anglais‘ software ‘, qui
gagnait l’Europe, les politiques voulaient vite trouver un mot français pour le remplacer et accompagner le développement de l’industrie française de l’informatique. Près de 200 propositions ont été présentées à la commission ministérielle de
terminologie de l’informatique, de ‘ programmerie ‘ à ‘ infologie ‘ en passant par ‘ promentiel ‘ (du latin
promens, esprit). Le choix s’arrête sur ‘ logiciel ‘, de Philippe Renard, un jeune ingénieur de la délégation générale pour l’informatique.

Plusieurs groupes de réflexion

Mais le vocabulaire n’en est évidemment pas resté à ces trois mots. Et ce sont des dizaines de nouveaux mots étrangers qui déferlent chaque année, avec quelquefois une adaptation française. Mais comment ces mots français
naissent-ils ?En réalité, il n’y a pas un, mais plusieurs canaux. A commencer par la commission spécialisée de terminologie et de néologie de l’informatique et des composants électroniques, placée sous la houlette du ministère de l’Industrie. Issus
du monde de l’entreprise, de l’administration ou de la presse (*), ses 36 membres se réunissent tous les deux mois pour passer en revue les mots nouveaux et leur trouver des équivalents. C’est ainsi que
‘ attachment ‘ est officiellement devenu ‘ pièce jointe ‘ et ‘ organizer ‘,
‘ agenda
électronique ‘.
Et parmi les chantiers en cours, la commission planche sur ‘ Blu-Ray disk ‘,
‘ keylogger ‘,
‘ skycrapper ‘ ou ‘ spamindexing ‘… La procédure est lente, car elle implique plusieurs navettes entre la commission spécialisée, la commission
générale et l’Académie française qui, en dernier ressort, valide ou non la création d’un nouveau terme. Il peut alors s’écouler jusqu’à deux ans !Mais la commission peut également utiliser une procédure d’urgence. ‘ Nous l’activons lorsque nous considérons qu’un terme doit être traité rapidement sous peine de voir son équivalent étranger
s’imposer ‘,
explique Jérôme Trollet, le président de la commission. Le remplaçant de ‘ peer to peer ‘ a ainsi été trouvé en trois mois, avec la publication au Journal
officiel
du terme ‘ poste à poste ‘ puis de son synonyme ‘ pair à pair ‘, le 14 avril dernier.La procédure d’urgence fut également utilisée en mai 2005 pour contre-carrer l’anglicisme ‘ pop-up ‘. Les membres, visiblement inspirés, ont multiplié les propositions, de
‘ boîte à coucou ‘ à ‘ diablotin ‘ en passant par ‘ fenêtre intempestive ‘,
‘ fantôme ‘,
‘ fenêtre volante ‘,
‘ incruste ‘,
‘ mine
bondissante ‘,

‘ popette ‘ ou ‘ fenêtre-éclair ‘ ! C’est en fin de compte l’expression ‘ fenêtre
intruse ‘
qui a été choisie et publiée en décembre dernier au Journal officiel. Reste que si ces mots, une fois adoptés, s’imposent à l’administration et peuvent être repris dans la presse, rien n’oblige
les particuliers et les entreprises à se les approprier.La langue française peut aussi être influencée par les expressions québécoises et les créations de l’Office québécois de la langue française. L’Académie française a, par exemple, officialisé le mot
‘ courriel ‘ pour remplacer ‘ e-mail ‘. Et les Québécois ne désespèrent pas de voir les Français utiliser un jour le mot
‘ pourriel ‘, lancé en 1997 par l’Office pour désigner le ‘ spam ‘, même si l’Académie française refuse pour l’instant ce nouveau mot-valise. Même chose
pour ‘ blogue ‘,
‘ webmestre ‘, ou ‘ baladodiffusion ‘.Autre acteur important de la création de mot : l’industrie. Comme pour le lancement du mot ordinateur en son temps, constructeurs et éditeurs peuvent faire la pluie et le beau temps en matière de vocabulaire de la
micro-informatique.Le mot anglais ‘ webcam ‘ s’est, par exemple, imposé en France sans l’once d’une adaptation, alors que la plupart des constructeurs ont proposé une traduction pour
‘ touchpad ‘, devenu ‘ tablette tactile ‘ chez Dell et ‘ pavé numérique ‘ chez Compaq/HP. Laurent Vacca est
terminologue chez Microsoft France depuis dix ans : ‘ Lorsqu’il existe déjà un équivalent dans un dictionnaire ou tout autre ressource, la réponse est rapide. En revanche, s’il s’agit d’un mot qui n’existe pas, nous nous
concertons avec les responsables du marketing et des groupes d’experts. ‘
C’est ainsi que le mot anglais ‘ favorites ‘, pour désigner
les‘ signets ‘, est devenu ‘ favoris ‘, alors que Microsoft hésitait entre ‘ liens préférés ‘ et
‘ signets ‘.

Et l’internaute dans tout cela ?

Quelquefois, il faut même inventer des néologismes. Les petites bulles d’information qui apparaissent dans la barre d’outils de Windows (les ‘ tool tips ‘) ont par exemple été baptisées
‘ infobulles ‘.Enfin, il convient de rendre hommage à d’autres inventeurs de mots, anonymes ceux-là : les millions d’internautes et d’utilisateurs qui popularisent tel ou tel usage en reprenant tel ou tel mot dans leurs courriels, sur les
forums ou dans les tchates. C’est ainsi que le verbe ‘ chatter ‘ s’est propagé comme une traînée de poudre, sans qu’aucune institution ou entreprise n’intervienne, et que le
verbe‘ spammer ‘ connaît une carrière fulgurante. Les mots de demain vous attendent peut-être déjà dans votre messagerie !(*) N. B. : Bernard Montelh, directeur de la rédaction de Micro Hebdo est membre de cette commission.

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Didier Forray