Photo & Vidéo Numérique : La série Hommage à Edward Hopper est votre première création commune en 1998, révélant votre concept d’assemblage photographique d’un décor en maquette peinte et d’un modèle, interprète de la scène. Comment vous est venue cette idée ?Virginie Pougnaud : Je faisais des maquettes pour mon plaisir, pour les enfants, à ne plus savoir quoi en faire ni où les mettre. Christophe me disait de les conserver, qu’elles pourraient toujours lui servir pour ses photographies, pour des mises en scène. L’idée a fait son chemin, jusqu’à ce que des logiciels d’images perfectionnés et puissants apparaissent et nous permettent de réaliser nos premiers essais d’assemblage. Nous sommes partis sur l’idée d’un Hommage à Edward Hopper, avec des recompositions de ses toiles ou de ses ambiances. Son univers cristallise les deux nôtres et nous a beaucoup inspiré : la peinture, la photographie, le portrait solitaire, les ambiances de Long Island, et les États-Unis, puisque Christophe est d’origine américaine, et que j’ai fait mes études d’art à New York. Ce travail a immédiatement été reconnu, récompensé en 2000 par la mention spéciale du prix Arcimboldo, et exposé à la Maison européenne de la Photographie.PVN : Vous assemblez dans vos images décors en maquette et personnages photographiés. Comment procédez-vous, étape par étape ?Christophe Clark : Révéler un procédé de création peut casser la magie du spectacle et détourner le spectateur de l’essentiel : l’image finale. Nous ne travaillons pas sur commande, mais avec l’envie d’aborder une thématique, une histoire, de créer un univers en nous inspirant souvent de peintres et de photographes que nous aimons. Virginie passe à l’action et fabrique la maquette qui servira de décor. Cette maquette peinte contiendra tous les accessoires nécessaires. Virginie imagine donc tout d’abord le lieu et la scène qui pourrait s’y produire. La maquette n’est pas forcément intéressante en soi, car elle est imaginée et optimisée en fonction des futures contraintes photographiques. Elle ne se voit véritablement qu’à travers l’objectif. J’entre à mon tour en scène et je photographie le décor, à la chambre ou au moyen format. Je mets en place un éclairage très travaillé en réflexion : j’utilise des bouts de miroirs, des cônes pour concentrer la lumière des gros spots sur de petites zones de la maquette miniature. Je cherche le point de vue, la focale adaptée. Une fois la photo réalisée, on voit si la maquette fonctionne ou pas, si elle est photogénique et utilisable pour l’incrustation d’un personnage. La diapositive est ensuite numérisée, puis nous faisons une impression jet d’encre rapide. Virginie crayonne un personnage dans le décor, définit sa position, ses proportions. La pose est ultra-déterminée et laissera peu de place à l’improvisation pour le modèle. Ce calage précis, au millimètre près, est notre seule véritable contrainte. Ensuite, vient le choix du modèle en fonction du décor ou du personnage existant qui nous aurait inspiré. Nous choisissons des modèles amateurs parmi nos amis, nos connaissances, pour leur ressemblance physique et leur disponibilité à entrer dans la peau du personnage. Par exemple, nos Bourgeoises d’Angoulême sont de vraies bourgeoises d’Angoulême ! Les séances en studio sont très courtes, puisque la pose est déjà donnée par le croquis préparatoire. Seule latitude pour le modèle : l’interprétation. Je peaufine l’éclairage en conservant les mêmes axes de lumière utilisés pour la maquette ; je veille à ce que le cadrage, les proportions, le point de vue et l’angle de champ puissent ensuite concorder avec la prise de vue du décor. La partie finale consiste à assembler deux photographies sur l’ordinateur. Nous devons créer l’illusion d’une véritable scène, tout en conservant la pâte picturale et factice. C’est un équilibre délicat à trouver, par petites touches et séances de montage espacées dans le temps. Nous réalisons tout ensemble. Chacun a bien sûr sa partie technique, mais la vision globale de l’image est partagée à chaque étape.PVN : Pourquoi ne photographiez-vous pas en numérique. Ne serait-ce pas plus simple et pratique ?CC : J’obtiendrai sûrement des facilités de super-position d’images pour caler le personnage et prévisualiser immédiatement le montage. Mais je ne cherche pas la facilité. Je suis un artisan, j’aime prendre mon temps et utiliser ma chambre grand format pour le bel objet qu’elle représente et les possibilités techniques de bascule et de décentrement des corps qu’elle offre : indispensable pour photographier une maquette, redresser les perspectives ou dégager un élément net du fond. Bien sûr, je pourrais adapter un dos numérique sur le corps arrière de ma chambre. Mais ce serait très coûteux, et je n’en vois pas vraiment l’intérêt. Ce n’est pas une question de qualité, je considère les deux systèmes comme équivalents (quoique la qualité du flou et du piqué n’est pas la même en numérique). C’est plutôt une question de feeling et d’habitude. J’aime sortir pour porter les films au labo et attendre le résultat. C’est un luxe que je peux m’offrir. Et puis, je ne me vois pas tout faire sur un ordinateur de A à Z, alors que Virginie intervient beaucoup sur l’image avec ses outils manuels. Ce ne serait plus ce travail commun. C’est un peu ce qui est paradoxal dans notre travail : nous sommes étiquetés ‘ créateurs numériques ‘, alors que nous ne faisons pas de création numérique ! Nous utilisons l’outil numérique sans pour autant le rendre apparent.PVN : Que représente donc pour vous l’outil numérique ?C&P : Un outil contemporain d’assemblage photographique. Mais c’est la prise de vue photographique qui constitue notre principal défi technique. Le montage final reste de la recherche. Depuis le tout début, nous utilisons le logiciel LivePicture, un logiciel méconnu et en voie de disparition, mais qui s’adapte parfaitement à nos exigences : travailler en toute fluidité sur de très lourds fichiers sans en modifier le contenu original. Une flexibilité appréciable, puisque même encore au montage, nous tâtonnons, et revenons souvent en arrière. Vous nous direz que Photoshop, avec ses calques et son historique, serait tout aussi adapté. Mais ce n’était pas du tout le cas il y a six ans, alors que LivePicture permettait des manipulations rapides sur des images lourdes (150 Mo) sans trop demander de mémoire vive, même avec des configurations informatiques basiques. Car seules les zones affichées à l’écran sont réellement chargées en mémoire et les effets sont enregistrés séparément. Une fois le rendu finalisé, le logiciel calcule et génère alors seulement le fichier modifié. On n’a pas besoin de revenir sur un historique (qui s’est entre temps effacé) comme sur Photoshop. Nous avons pris l’habitude de ce logiciel et nous l’avons conservé au fil des ans bien que les nouvelles versions se fassent rares et que les outils ne soient pas aussi précis que sur Photoshop (formes modulables des outils, zoom au pixel près). Cela implique un rendu moins ‘ exact ‘ ou ‘ parfait’ que celui des images numériques contemporaines. C’est notre marque de fabrique…PVN : Vos ambiances, vos histoires nous attirent par leur beauté étrange et familière. Comment parvenez-vous à trouver l’équilibre entre réalité et fiction ? Faites-vous de la retouche numérique ?C&P : Non, nous ne cherchons pas la perfection, mais l’illusion. Nous conservons le décor et le modèle tels qu’ils sont pensés et photographiés. Ce serait vite tentant de revoir tel ou tel détail, mais ce ne serait pas notre propos. C’est du 100 % naturel, à quelques rapports d’échelle près. C’est pourquoi nos montages, presque ‘ mal faits ‘ pour certains, dégagent une étrangeté picturale un peu surréaliste, mais très humaine. Le rendu final est indéfinissable, combinant de la photographie très nette et piquée, de la 3D, de la peinture (dans la maquette), de la lumière et de l’intégration numérique avec LivePicture. Nous souhaitons que la magie opère sans effet numérique supplémentaire.PVN : Pour vous, je cite : ‘ Le numérique est un simple outil qui doit se faire oublier pour apprécier l’?”uvre. ‘ Arrivez-vous toujours à vos fins sans sacrifice ?C&P : Oui, car le logiciel et ses outils nous suffisent pour l’assemblage et les éventuelles corrections appliquées. Et la possibilité de travailler de gros fichiers ne nous interdit pas non plus d’exposer ensuite de très grands tirages. Nous nous offrons aussi les services de laboratoires professionnels très pointus pour la numérisation des films. Les tirages, qui sont de vrais tirages argentiques de qualité, sont réalisés avec une machine professionnelle Lambda. Le passage par le numérique n’est pas restrictif.PVN : Comment définissez-vous vos images ? Quel est leur statut ?C&P : Nous nous sommes rendu compte qu’il était difficile de qualifier nos images (peinture, photographie numérique ou plasticienne ?). La nature du lieu d’exposition répond bien souvent et temporairement à cette question.PVN : Où peut-on voir vos tirages ?C&P : Nous sommes représentés par la galerie Esther Woerdehoff et étions présents à la Fiac et au Festival Art Cologne du 29 octobre au 2 novembre. Nous sommes également à Paris Photo, au Carrousel du Louvre, du 11 au 14 novembre et au mois de la Photo, à la Conciergerie, dans le cadre de l’exposition de la collection photographique de la Fnac, du 30 octobre au 30 novembre. Également au musée de lImage à Épinal, dans une exposition consacrée aux Vilains dans les contes de fées.
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