Sébastien Blondeel est un stakhanoviste du bénévolat sur Internet. Depuis 2002, ce trentenaire participe au projet Gutenberg, un réseau de centaines de bénévoles qui numérisent des livres tombés dans le domaine public et les mettent à la disposition de tous.Non seulement il relit des centaines de pages pour y repérer des erreurs, mais il a conçu aussi plusieurs outils qui facilitent le travail des contributeurs. Demandez-lui ce qui le motive et il vous fournira une longue liste de raisons. ‘ Un sentiment de reconnaissance qui donne envie de contribuer un peu en retour, la participation à un projet ambitieux pour le faire avancer, prendre le relais des pouvoirs publics dont on peut estimer qu’ils ne font pas leur travail de numérisation et de préservation… ‘, énumère-t-il. Sébastien n’est pas naïf. Il sait que, parmi les millions d’internautes, peu d’entre eux prennent le temps d’apporter leur pierre à l’édifice. ‘ On observe un taux de contribution de 1 à 2 % par rapport au volume de ” passagers clandestins ” qui ne font que profiter du corpus. Qu’à cela ne tienne, c’est fait pour et ce ” chaudron magique ” survivra tant que certains y mettront du leur ‘, ajoute-t-il très philosophe.Au-delà des internautes qui profitent de la générosité des autres, il peut exister une menace de voir le travail des bénévoles exploité financièrement par des entreprises.Dans le domaine du savoir, le projet bénévole star d’Internet est évidemment Wikipédia. En janvier dernier, la célèbre encyclopédie en ligne avait eu la visite d’environ 11 millions d’internautes en France, alors que le site n’enregistrait que quelque 30 000 contributeurs francophones.Un chiffre qui peine à décrire une grouillante communauté, puisqu’il n’est pas obligatoire de s’enregistrer pour contribuer et, à l’inverse, les contributeurs enregistrés ne sont pas tous actifs. Les wikipédiens devraient-ils s’inquiéter de voir un jour le fruit de leur travail commercialisé ?‘ Il est impossible que le site devienne payant car les statuts de la Wikimedia Foundation parlent, dans son objet social, de diffusion gratuite sur Internet ‘, affirme David Monniaux, un porte-parole de la Wikimedia Foundation. ‘ Il n’est pas possible de ” propriétariser ” Wikipédia car n’importe qui pourrait légalement repartir avec la base de données ailleurs. ‘
Le libre ? Du travail de bénévoles
Il existe pourtant des secteurs où le travail des bénévoles est commercialisé. Exemple par excellence du travail de passionnés au service de tous, le logiciel libre louvoie depuis longtemps entre gratuité et commercialisation.Sophie Gautier est responsable du projet francophone d’OpenOffice, la suite bureautique libre dont une version est vendue par la société Sun Microsystems sous le nom de StarOffice. A ce titre, elle coordonne une cinquantaine de contributeurs francophones. ‘ Il n’y a pas de retour financier [pour les contributeurs] et leur code peut se retrouver dans un produit commercial. Il y en a peut-être que cela empêche de contribuer. Mais pour la plupart, cela ne les dérange pas. ‘ Au contraire, avec la médiatisation croissante du libre, Sophie constate un nouvel afflux de bénévoles. ‘ Tester et écrire la documentation ne sont pas des tâches techniques. Mais elles sont importantes et valorisantes. Elles attirent de plus en plus ‘, se réjouit-elle.Certaines démarches font néanmoins débat. Début janvier, plusieurs milliers de membres francophones (mais aussi des germanophones et des hispanophones) du populaire réseau social Facebook reçoivent une invitation à installer le logiciel Translations, qui sert à traduire les sites. Alors que le site vit de la publicité qu’il affiche, environ 3 000 d’entre eux choisissent de se mettre au travail pour traduire l’interface phrase par phrase.Parmi eux, Alban Martin, Thomas Pietrzak et Philippe Germaine. Tous les trois expriment le même désir de rendre service à une communauté sans rien attendre en échange. Accusés par d’autres internautes d’être des ‘ pigeons qui engraissent Facebook en traduisant le site bénévolement ‘, ils se défendent. ‘ A la place de jouer à je ne sais quel jeu, je traduis quelques lignes. C’est loin d’être une contrainte ‘, répond Thomas. ‘ Nous ne rendons pas service à Facebook, mais à nos potes et aux millions de francophones qui ne comprennent rien à l’anglais ‘, rétorque Philippe. Quant à Alban Martin, traducteur aussi pour Facebook à ses heures, ce phénomène qu’on baptise souvent ‘ crowdsourcing ‘ l’intéresse tellement qu’il lui a consacré un livre, L’Age de Peer.Le crowdsourcing ? Si on en croit Wikipédia justement, il s’agit ‘ d’utiliser la créativité, l’intelligence et le savoir-faire d’un grand nombre d’internautes, et à moindre coût ‘. Selon Alban Martin, on assiste à ‘ une redéfinition des rôles entre le surfeur et le fournisseur, le client et l’entreprise. ‘ Dans les jeux vidéo, cela fait longtemps que les plus accros sont aussi un peu développeurs. Louis Gambini est responsable des relations avec les joueurs chez Ubisoft. ‘ Dans un jeu communautaire comme Heroes of Might and Magic, les joueurs s’impliquent. Ils ont réalisé un manuel traduit en plusieurs langues pour ceux qui veulent tout savoir sur le jeu. Ils créent aussi des cartes et de nouveaux mods [de nouveaux habillages graphiques, NDLR] mis en ligne pour être partagés. Cela représente beaucoup de travail ‘, explique-t-il. Ultimeconsécration, certaines contributions se retrouvent parfois dans une nouvelle version du jeu.S’il y a aussi un domaine qui s’intéresse à la créativité des internautes, c’est celui de la publicité. Depuis des mois, les internautes américains sont sollicités par des marques pour que leur prochain spot publicitaire soit créé par leurs clients. Et ce phénomène arrive en France. Parmi les premiers exemples, celui de Swatch, qui s’est associé au site de création de vidéo MoobTV pour une publicité autour du thème de la Saint-Valentin. ‘ La marque n’arrivait pas à toucher la cible des 18-25 ans. Nous avons proposé que les jeunes se réapproprient la marque en créant leurs propres pubs ‘, explique Noëlle Giraud Sauveur, PDG de MoobTV. ‘ Nous avons reçu une soixantaine de publicités, dont une trentaine d’assez bonne qualité pour être utilisées par Swatch. ‘
Talents à exploiter gratuitement…
Gaétan Duchateau fait partie de l’équipe gagnante : ‘ Nous sommes deux à travailler en agence de pub et il y a deux développeurs. Nous avons l’ha bitude de faire des vidéos avec un simple appareil photo. Après 30 minutes de réflexion, on a filmé un dimanche après-midi et monté la pub. ‘ Pour leurs efforts, les quatre compères se sont partagé les 1 000 euros du concours correspondant aux droits dutilisation sur Internet pour un an par Swatch. Une somme dérisoire au regard des tarifs des agences de pub. Même si seulement 1 à 2 % des internautes sont prêts à participer à un projet bénévole ou à connotation commerciale, cela représente un réservoir de talents que les sociétés devraient de plus en plus exploiter
(1) Nom retiré sur demande de la personne.
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