Le rachat à la mi-octobre de YouTube par le géant Google, pour la somme époustouflante de 1,65 milliard de dollars, a fait l’effet d’une bombe dans les milieux économiques planétaires.Parfait exemple concret du concept de web 2.0 (voir encadré), YouTube est une gigantesque base de données de vidéos en ligne alimentée par les internautes eux-mêmes. La firme revendique plus de 100 000 visiteurs uniques par jour sur l’ensemble de ses sites internationaux. Petits films d’amateurs, vidéos expérimentales, pastiches de clips musicaux, mais aussi extraits de longs-métrages, de séries télévisées et d’événements sportifs, on trouve de tout sur YouTube. Y compris, d’ailleurs, des images soumises au régime des droits d’auteurs, ce qui risque d’entraîner son nouveau propriétaire, Google, dans d’interminables démêlés judiciaires.
Photos à la demande
Le fait qu’un site Internet fondé il y a moins de deux ans, à partir d’une idée toute simple et d’un investissement minimal, puisse acquérir une telle valeur aussi vite, alors qu’on croyait de telles ‘ success-stories ‘ devenues impossibles, a laissé pantois la plupart des observateurs. Et pourtant, YouTube n’est pas seul : outre ses concurrents directs, tels DailyMotion ou Yahoo! Video, certains sites qui se consacrent à la diffusion de photographies connaissent à leur tour une croissance exponentielle. Ce sont en quelque sorte les YouTube de l’image fixe, avec toutefois plusieurs différences fondamentales.Tout d’abord, les images proposées ne sont pas simplement destinées à un usage ludique, mais bien à une utilisation professionnelle : illustration de catalogues, de dépliants publicitaires, de livres, de journaux, de magazines ou de pages web, création de logos, d’affiches, d’objets promotionnels ou commerciaux. De ce fait, les utilisateurs de ces sites ne sont pas uniquement, comme sur YouTube, des internautes à la recherche d’images étonnantes ou drôles, mais des maquettistes, des webmasters, des directeurs artistiques, des designers, des illustrateurs, des chargés de communication. Voire même, et c’est une vraie nouveauté, des patrons de PME, des secrétaires chargées de la réalisation de brochures et des particuliers à la recherche d’une belle image pour réaliser une carte de v?”ux ou bien encore un fond d’écran. Ensuite, il n’y a aucun risque qu’une image téléchargée sur l’un de ces sites pose le moindre problème de droits d’auteur : filtrées par une équipe de ‘ modérateurs ‘, les photos ne montrent jamais d’objet, d’édifice ou de monument dont la reproduction est interdite. De même, si une personne se trouve sur une photo, c’est qu’elle aura préalablement signé un formulaire d’abandon de son droit à l’image. C’est ce qui explique notamment qu’on y trouve principalement des photos d’illustration et non pas d’actualité. Enfin, et ce n’est pas la moindre des différences avec YouTube, ces sites ne se financent pas uniquement avec la publicité : les photos ne sont pas distribuées gratuitement, mais bel et bien vendues.Rien à voir pourtant avec les banques d’images traditionnelles, comme Getty Images ou Corbis : ici, les photos libres de droits coûtent entre un euro et, au maximum, une vingtaine d’euros pour un cliché en très grand format utilisable dans un cadre professionnel. Contre un minimum de… plusieurs centaines d’euros pour celles vendues par les grandes agences photographiques ! Certes, nous le verrons plus loin, il existe de réelles différences entre les images et les services proposés. Néanmoins, on s’étonne de savoir comment on peut, du jour au lendemain, concurrencer un service existant en proposant des tarifs plus de cent fois inférieurs.
Nouvelle offre pour un nouveau marché
Pour Thibaud Elziere, P.-D.G. et fondateur de Fotolia, il s’agit simplement de répondre à une nouvelle demande par des prix attractifs : ‘ Ça se serait fait de toute manière. On ne peut pas aller contre son temps. Nous avons ouvert un nouveau marché pour les P.M.E., les associations, des gens qui n’étaient pas ‘ habitués ‘ à l’image légale : ils cherchaient une photo sur Google Images et l’utilisaient sans se soucier des droits, en s’exposant à d’éventuelles poursuites. Maintenant, ça ne vaut plus le coup : pour quelques euros, ils ont une image grand format, qu’ils peuvent utiliser librement pour tous leurs projets. Par ailleurs, il y aura toujours des gens qui voudront des images exceptionnelles, qu’on ne trouvera sans doute jamais sur Fotolia. ‘ Plus étonnant, c’est le même son de cloche du côté de Getty Images. Fondée en 1995, cette société dont le siège se trouve à Seattle, gère et commercialise la plus grande banque d’images du monde. On aurait pu penser que ce géant, qui vend ses photos au prix fort aux médias du monde entier, verrait d’un mauvais ?”il l’émergence de tels concurrents. Pourtant, selon Simone Mazer, vice-présidente des ventes pour l’Europe du Sud, il n’en est rien : ‘ Nous voyons cela autrement. Il y a dix ans, les droits gérés (NDLR : facturation des images en fonction de leur utilisation) étaient le seul modèle existant. Quand les CD de photos libres de droits sont arrivés sur le marché, certains ont cru que ce serait la fin mais, aujourd’hui, les droits gérés existent toujours. Simplement, la demande est beaucoup plus forte, il y a de la place pour plusieurs fournisseurs et plusieurs modèles économiques. ‘ Il faut dire que Getty Images a senti le vent tourner au bon moment : en 2005, elle a racheté iStockphoto, principal concurrent de Fotolia, ce qui lui permet de jouer sur les deux tableaux. Il existe d’autres banques d’images à bas coût, Dreamstime ou Bigstockphoto par exemple, mais Fotolia et iStockphoto sont les deux seules qui soient accessibles via un site en français. Ce qui, dans le cas de Fotolia, n’a rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’une société fondée en France, même si aujourd’hui le site existe en six langues et si une maison mère a été créée aux États-Unis.
Surfez sur les images
Le site fotolia.fr propose plus de 1 700 000 images, un chiffre qui augmente rapidement puisque, selon Thibaud Elziere, ce sont en moyenne 10 000 nouveaux fichiers qui sont ajoutés chaque jour à la banque de données. La page d’accueil est divisée en trois parties : au centre, une photo tirée de la banque d’images ; à gauche, un pavé qui vous propose de vous inscrire gratuitement ou, si c’est déjà fait, de vous identifier ; en bas, à droite, une vingtaine de mots-clés : Paysage, Architecture, Humain, Faune & Flore, Sport & loisirs, Abstrait, etc. Bien sûr, il est également possible d’utiliser un moteur de recherche pour saisir ses propres critères. Le résultat est une galerie composée de vignettes sur lesquelles il suffit de faire glisser le pointeur de la souris pour que les images s’affichent en format moyen. Elles sont alors barrées par un filigrane, qui empêche toute capture illégale. À gauche de la fenêtre, une colonne permet d’indiquer des critères supplémentaires de classement et de filtrage : couleur dominante, taille, orientation et type de l’image (photo détourée, panoramique, illustration).Un clic sur une image suffit ensuite à afficher ses tarifs, exprimés en crédits (un crédit vaut 0,83 euro hors taxes, soit 1 euro TTC). On se rend compte alors que les prix affichés sur la page d’accueil, 1,2 ou 3 euros selon la taille, peuvent dans le cas d’images rares et/ou d’utilisations spécifiques être largement dépassés. Ainsi, alors que la majorité des images au format standard ‘ M ‘ (2 à 3 mégapixels, résolution 72 points par pouce) sont vendues un crédit, le portrait d’un tigre blanc, ci-dessous, coûte cinq crédits (4,15 euros HT) en taille ‘ M ‘, dix crédits (8,30 euros HT) en taille ‘ L ‘ (6 mégapixels, 300 ppp) pour une licence standard et cinquante crédits (41,50 euros HT) pour une licence étendue, c’est-à-dire le droit de reproduire l’image sur des biens destinés à la vente (hors édition).L’interface de iStockphoto.com ressemble à celle de Fotolia, à quelques exceptions près. Il n’y a pas de liste de mots-clés prédéfinis sur la page d’accueil : tout passe par le moteur de recherche. L’internaute ne dispose pas non plus d’un équivalent de l’outil Similia de Fotolia, qui permet par un simple clic sur le lien Photos similaires d’obtenir d’autres images autour du même thème. Une fonction très appréciée par les clients. Sandrine Goutal est l’iconographe de Micro Hebdo, un hebdomadaire du groupe Tests, également éditeur de Micro Photo Vidéo. Chargée de dénicher et de négocier les images qui illustrent le magazine informatique numéro un en France, elle travaille depuis des années avec les agences traditionnelles comme Getty ou Corbis. Lorsque nous lui avons parlé de notre enquête, sa première réaction a été un rejet de principe, par solidarité avec les photographes professionnels qu’elle côtoie au quotidien. Toutefois, à notre demande, elle a accepté d’explorer les sites de photos ‘ discount ‘ pour en évaluer le potentiel.
Les essayer, c’est les adopter
‘ Au niveau de la qualité des images, il y a des choses pas mal, remarque Sandrine, même si ce sont souvent des photos qui présentent un seul sujet détourable, pas des sujets en situation. On sent qu’elles ne sont pas destinées spécifiquement aux professionnels de l’image. ‘ Les moteurs de recherche ? ‘ Celui de Fotolia n’est pas très intuitif, celui de iStockphoto est un peu mieux. Par exemple, si je tape ” enceinte “, il va me demander si je cherche des femmes enceintes ou des enceintes audio. ‘ Vérification faite, il faut ajouter que la demande de précisions est en anglais (voir en haut à droite). ‘ Alors que dans Fotolia, tout est mélangé. On sent qu’il y a le savoir-faire de Getty derrière le moteur de recherche de iStockphoto. En revanche, à chaque nouvelle demande, il faut préciser si on cherche une photo, une illustration ou une vidéo. On ne coche pas une case, comme dans Fotolia, ça se fait par un menu déroulant, ce qui représente une perte de temps. Par ailleurs, j’aime beaucoup la possibilité dans Fotolia d’obtenir des ” photos similaires ” en un clic. Globalement, son moteur de recherche est moins performant, mais son interface est plus intuitive. ‘ Et lorsque nous lui demandons si désormais elle envisage d’acheter des images sur ces sites : ‘ Oui, pour certaines rubriques du magazine. Jusqu’à présent, nous utilisions des CD libres de droits, qui nous ont coûté cher, mais nous ont bien servi ces dernières années. Néanmoins, on a parfois envie de se renouveler et, dans ce cas, télécharger rapidement une photo pour 1 ou 2 dollars peut être très pratique. ‘Quant à Anne Dessen, notre iconographe, cela fait plus d’un an qu’elle utilise ces banques d’images : ‘ Bien sûr, dans MPV, il y a beaucoup de photos de produits que nous ” shootons ” nous-mêmes et aussi des images d’artistes. Mais, pour l’illustration pure, je vais souvent à la pêche sur Fotolia et surtout sur iStockphoto. On y trouve parfois des perles ! ‘ Ce qui montre bien que même si ces sites réalisent le plus gros de leurs ventes auprès du grand public, ils ne laissent pas pour autant les professionnels indifférents.
Du producteur au consommateur
Résumons-nous : jusqu’à présent, tout le monde semble y trouver son compte. Les particuliers, qui peuvent acheter des photos pour quelques euros et les utiliser en toute légalité. Les professionnels des médias, pour qui ces banques sont de nouvelles sources d’images qui ne grèvent pas leurs budgets. Les agences traditionnelles, du moins celles qui ont su prendre le train en marche. Et bien sûr les sites eux-mêmes : si Thibaud Elziere se refuse à communiquer le chiffre d’affaires exact de Fotolia, il précise qu’il ‘ double tous les deux mois en ce moment ‘ et que la firme vend ‘ à peu près 10 000 images par jour dans le monde : depuis peu, le nombre des ventes dépasse celui des dépôts. Au départ, on ne pensait pas arriver à ces chiffres-là ! ‘Toutefois, il manque des participants à ce tour de table, et non des moindres : les photographes. Et, de fait, c’est bien pour eux qu’on est en droit de s’inquiéter car, avec ce nouveau canal de distribution, non seulement le cours de la photographie vient de subir une sérieuse dévaluation mais, de plus, les professionnels doivent subitement faire face à un afflux massif de concurrents. Car non contents d’élargir la clientèle des agences photographiques, Fotolia et iStockphoto ont également démultiplié le nombre de leurs fournisseurs. En effet, tout le monde peut y déposer ses clichés, pour peu que leur définition atteigne au minimum 2 mégapixels et qu’ils soient d’une qualité suffisante. Et, par voie de conséquence, tout le monde peut également être rémunéré pour ses ?”uvres.La page Tarifs de Fotolia comporte plusieurs tableaux qui récapitulent les prix de vente des ?”uvres et les rémunérations des contributeurs. En résumant, on peut dire qu’un photographe touche entre 35 et 80 % des revenus générés par ses images, la moyenne se situant autour de 50 %. Précisons que plus vous vendez de photos, plus votre pourcentage augmente. Les pourcentages sont moins importants chez iStockphoto : entre 20 % et 40 %, ce dernier montant s’appliquant à ceux qui cèdent leurs droits au site en exclusivité. Mais il est vrai que les tarifs y sont également moins élevés : entre 1 et 10 dollars (un euro vaut environ 1,27 dollar), voire 20 à 40 dollars pour une image XXL.Les micro-paiements sont versés sur un compte personnel, depuis lequel vous pouvez effectuer des virements sur un compte PayPal ou Money Bookers, deux organismes spécialisés dans les transferts de fonds internationaux via Internet. De là, ils peuvent enfin être virés sur votre compte bancaire. Selon Thibaud Elziere, ‘ un photographe peut gagner jusqu’à 1 000 à 1 500 euros par mois. C’est le cas pour un grand nombre de personnes inscrites sur le site américain, souvent des étrangers et notamment des Russes. ‘
Des dérives faciles
Daniel Guilhaume est photographe professionnel. Après plusieurs années passées à sillonner le monde pour en rapporter des reportages, des glaciers de l’Équateur aux forêts de Madagascar, il travaille désormais pour la presse magazine dans les domaines du tourisme, de l’art de vivre et de la gastronomie, ainsi que dans la publicité. Lorsque nous l’avons contacté, il ignorait tout de ces nouveaux sites. Quelques jours plus tard, il nous livrait ses impressions : ‘ Ça me hérisse le poil. De tels prix de vente ne peuvent satisfaire que des photographes amateurs. D’ailleurs, question qualité, ce sont en majorité des images d’amateurs qui sont vendues sur ces sites. Je sais bien que certains iconographes et maquettistes vont s’y précipiter mais, à mon avis, ils vont y perdre un temps fou. J’ai effectué une recherche sur les mots-clés Sarlat et Montpellier, deux villes pour lesquelles je possède un fond important : il n’y a strictement rien ! Pour moi, le danger de ces sites est qu’ils facilitent les dérives d’une certaine presse qui ne s’embarrasse pas de déontologie. Par exemple, pour illustrer un incendie qui a eu lieu la veille, elle va acheter sur ces sites n’importe quelle photo d’incendie à deux euros et la publier en se gardant bien de préciser qu’il ne s’agit pas du même événement. ‘ Plus généralement, Daniel estime que ‘ tout cela s’inscrit dans le schéma actuel de remise en cause d’une corporation : la photo numérique permet aux amateurs de multiplier les prises de vues sans compter, et les logiciels comme Photoshop, grâce auxquels des infographistes trafiquent leurs images, m’ont déjà obligé à baisser mes tarifs. Et maintenant, ces sites de vente de photos au rabais… Je pense qu’ils représentent un réel danger pour les photographes comme moi, qui passent parfois deux journées entières à réaliser une seule photo. ‘Il n’y aurait donc rien, sur Fotolia ou iStockphoto, qui trouverait grâce à ses yeux ? Daniel finit par avouer : ‘ Ça m’a tout de même donné des idées… Les agences pour lesquelles je travaille exigent des images au format Raw de 12 mégapixels minimum. Or, il se trouve que j’ai accumulé ces dernières années tout un stock de clichés numériques d’une définition inférieure, et je commence à me dire que je vais peut-être les mettre sur Fotolia… ‘
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