Véritable ‘ accro à la macro ‘, Sophie Thouvenin retombe en enfance, dans ce monde miniature, sensuel et onirique, proche des choses, des matières et des couleurs auquel on s’éveille et s’émerveille pendant nos premières années. En jouant sur les formes et les nuances, entre le net et le flou, elle crée ce qu’elle appelle sa ‘ gourmandise visuelle ‘. Entrez dans son rêve.Micro Photo Vidéo : Comment avez-vous commencé la photographie ?Sophie Thouvenin : Comme beaucoup, j’ai été initiée par ma famille. À 17 ans, mon père m’a donné son appareil. Ce fut mon premier appareil photo, un reflex Nikon EL. Je l’ai suivi dans ses séances de photographies d’architecture. Ce n’était alors qu’un loisir occasionnel et non un besoin comme aujourd’hui. Des études variées ont suivi : psychologie, commerce, histoire de l’art. Je me cherchais. Puis j’ai eu un coup de foudre pour la macro-photographie. C’est devenu addictif : je cumulais avec frénésie les images. Au bout de deux ans, ma démarche était suffisamment aboutie et j’avais constitué un bon stock. J’ai alors sélectionné et mis en ligne certaines séries : mon site personnel est né en juillet 2000 et fut le point de départ de ma ‘ carrière photographique ‘. Première et véritable vitrine de ma création visuelle, il m’a permis de développer mes contacts professionnels et amicaux qui ont débouché sur des ventes, des publications, des commandes et des illustrations.MPV : Comment s’est révélée cette passion pour la macrophotographie ?S. T. : Par pur hasard. Quand mon premier appareil est tombé en panne, j’ai acheté un Nikon F70 et un objectif macro 105 mm F : 2,8. En testant mon objectif à la mise au point minimale, ce fut un choc visuel : je voyais tout de très près, évidemment, mais je retrouvais alors mon regard et mes sensations d’enfant, quand je m’approchais à 10 cm des choses pour les sonder, les interroger, les voir grandir et fonctionner. Je me suis vraiment intéressée à la macro, et ai commencé à rechercher ce qui avait été fait sur le sujet. Je n’ai rien trouvé de passionnant : démarches techniques et impersonnel les, herbiers sans aucune créativité ou distance par rapport au sujet. Une piste inédite s’ouvrait donc à moi. J’avais trouvé mon outil, mon pinceau, et ma pratique devenait concrète au sens où je pouvais peut-être inventer quelque chose esthétiquement, avec ma sensibilité et mes envies de doux onirisme : en jouant sur l’impact visuel né du contraste entre un point très net et une masse de flou. J’utilise alors ce grand flou créé par la faible profondeur de champ pour poétiser, rendre mes sujets abstraits et sensuels.MPV : Vos sujets photographiques semblent très liés à vos souvenirs d’enfant. Comment vous vient l’idée de telle ou telle série ?S. T. : En effet, vu à travers mon objectif macro, mon environnement redevient visuellement celui de mon enfance : des couleurs douces et tendres, un regard vague et flou, une plongée dans le monde du minuscule, extrait de son contexte. La photographie est de toute façon une histoire de nostalgie, un moyen de figer le temps et les souvenirs, un outil de mémoire. La macrophotographie me fait revivre mes impressions de cette époque, mes étés à la campagne à regarder à la loupe fleurs et insectes du jardin, la rosée du matin, mes poupées miniatures. Voilà pourquoi mes sujets tournent aujourd’hui autour du monde naturel (fleurs, herbes folles, gouttes d’eau, etc. ), et du coffre à jouets, autour des substances, matières et formes qui m’intriguaient alors ( le mélange des liquides, le vol d’une plume, le dessin des rubans et des dentelles). J’ai plusieurs sujets récurrents que je traite en parallèle et par vagues successives, signe de mon appétit, ou peut-être de mon éparpillement photographique. Je fonctionne à l’émotion : un sujet m’apparaît par référence à un souvenir, et je vais alors lui consacrer une série. Ma série Mist, sur le brouillard et le mystère, évoque par exemple le souvenir que j’ai des silhouettes abstraites qui bougeaient dans la serre du jardin botanique.MPV : Avez-vous d’autres sources d’inspiration ?S. T. : Bien sûr ! Tout m’inspire, mais particulièrement une belle lumière, de belles images, celles de photographes amis (http://kea-etc.net et http://lorseau.hinah.com), ou d’autres que je découvre sur Internet : la photographique végétale et liquide du cinéma asiatique contemporain comme celle de la science-fiction des années 70-80.MPV : Comment réalisez-vous vos prises de vues, avec quelles techniques et quels accessoires ?S. T. : Je vais vous décevoir, mais j’improvise beaucoup. Je n’ai aucun bagage technique et je fais tout de manière empirique, à tâtons. À force d’expérience, j’ai acquis un certain savoir-faire spontané et intuitif. Je fonctionne la plupart du temps en mode tout-automatique, de l’exposition à la mise au point, sauf pour la balance des blancs. Je n’utilise aucune lumière additionnelle, aucun miroir réfléchissant, ni trépied, fond de couleur ou quoi que ce soit d’autre que la lumière naturelle. Accessoiriser casserait le plaisir de photographier dans l’instant et me réveillerait en plein rêve. Très souvent, je photographie chez moi des objets de mon quotidien, des fleurs sur mon balcon. Une belle lumière rasante et intimiste déclenche tout simplement mon envie de photographier. Et c’est parti pour trente minutes maximum. Aussitôt prises, je transfère mes photographies sur mon ordinateur, je les trie et les traite. Je fais tout très rapidement et de préférence seule. Je n’aime pas que l’on me regarde travailler. C’est pour moi un moment intime, comme un souvenir revisité. C’est pour cela que je fais très peu de portrait, si ce n’est de l’autoportrait. La présence même du modèle me perturbe.MPV : Depuis avril 2004, vous photographiez en numérique avec un Nikon D70. Comment vous êtes-vous initiée au numérique ?S. T. : En mettant mes images en ligne sur mon site. Au début, quand je photographiais en argentique avec de la diapo, je scannais. Puis, quand est sorti le premier reflex numérique Nikon abordable, le D70, je l’ai essayé. Séduite par sa qualité de fabrication et d’image, sa résolution à 6 millions de pixels suffisante pour des tirages d’exposition, et son ergonomie semblable à mon précédent boîtier, je l’ai acheté. Le choix du numérique est avant tout un choix de facilité, de sens pratique : rapide, immédiat, à volonté, économique. Cela correspond tout à fait à ma frénésie photographique. Mais changer d’outil est aussi pour moi une stimulation créative. Toute nouvelle contrainte m’oblige à inventer et à trouver des solutions. Par exemple, en adaptant mon objectif macro à la monture numérique, ma focale s’est allongée (avec le coefficient de focale 1,5x) de 105 à 160 mm. J’avais encore moins de profondeur de champ, donc plus de flou, et l’impression de plonger davantage au c?”ur des choses, de distancier encore plus le sujet de son décor. La netteté se réduit parfois à un point dans une masse de flou : le point de gravité de l’image, le point de départ d’une histoire, avant de vagabonder dans le cadre. Je pouvais a lors renforcer mon parti pris de l’abstraction, comme dans ma série Money où je m’attache à un seul détail graphique sur chaque billet. Autre exemple : je travaillais beaucoup les couleurs chaudes en diapo, chose presque impossible en numérique car les rouges sont mal rendus. Je suis donc passée aux couleurs froides, aux ambiances sombres bien mieux restituées en numérique. Sans le filtre du scan, mes images gagnent aussi en précision et netteté. Idéal pour ma série des ‘ gouttes d’eau ‘.MPV : Sans parler technique, utilisez-vous parfois le mode macro, disponible en courte focale sur les compacts numériques ?S. T. : Oui, car j’ai aussi un petit compact Nikon Coolpix 990 à 3 millions de pixels. J’aime aussi ce rendu surréaliste de premier plannet à 2 ou 3 cm et de plans secondaires larges, présents, détaillés mais floutés. Mais je ne l’utilise plus car sa résolution très faible m’interdit toute exposition ou vente de tirages grand format. L’utiliser serait donc une perte de temps. Il faudrait plutôt que j’investisse dans un objectif macro à courte focale pour mon Nikon D70.MPV : Retouchez-vous vos images ?S. T. : J’ai commencé la retouche en scannant mes diapos : pour éliminer les poussières et rétablir la luminosité, le contraste, la colorimétrie originale. Rien d’extraordinaire. En numérique, j’utilise mes fichiers tels qu’ils sont, ou alors je m’amuse à les désaturer pour faire du noir et blanc ou du sépia. Ce qui me plaît, surtout, c’est de zoomer dans l’image et de plonger dans ses moindres détails. Je m’autorise aussi quelques recadrages, je l’avoue… J’aime le format carré, et à défaut de moyen format 6 x 6, je recadre au carré mes images. C’est pour moi un format parfait et équilibré, comme le rond. Il a davantage d’impact visuel, l’?”il ne peut pas naviguer, c’est idéal pour cibler un point net dans le flou. Sinon, je me contente du format rectangulaire mais en version horizontale : il correspond plus à mon envie de narration, de défilement, de lecture de gauche à droite, de mouvement continu dans l’image. Il paraît que c’est très féminin de préférer l’horizontal, et masculin, le vertical… Sans commentaire ! (Rires)MPV : Quelle importance prend l’outil et le support Internet dans votre création ?S. T. : Internet est mon support photo privilégié. Je l’ai totalement intégré à ma démarche photographique. Je fais des photos quasiment tous les jours, et les poste tout de suite sur divers sites collectifs : cela me permet de tester une idée, de collecter des avis, de construire une série par petits bouts. Une fois la série aboutie, montée, validée, je peux alors la présenter sur mon site. Celui-ci est très visité depuis sa mise en ligne en 2000 : près de 240 000 visites, à raison de 8 000 par mois. Le Net me permet aussi de rencontrer bon nombre de photographes sur des forums, de voir ensuite leurs travaux, d’en présenter à mon tour. Il se crée une véritable émulation artistique qui aboutit sur du concret, autant sur le plan créatif qu’humainement. Je passe aussi par le Net pour mes tirages d’exposition : je fais réaliser des tirages mats 30 x 45 cm par des labos en ligne. Je suis très contente du résultat et même épatée par la fidélité des couleurs et des lumières sur papier, alors que je ne calibre ni mon écran ni mes fichiers. Encore un tour de magie réussi.
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