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Alchimie picto-numérique

La retouche numérique n’a pas encore tué les techniques traditionnelles de collage et de colorisation picturale. Preuve en est le minutieux travail d’alchimie ‘ picto-numérique ‘ de Johann Fournier.

En suivant les traces d’un grand illustrateur, Dave McKean, Johann Fournier a commencé lui aussi de combiner différentes techniques anciennes et actuelles pour ses créations : collage, peinture à l’encre et découpages manuels, photographie, retouche et assemblage numérique. Le déclic ? Une année d’arts plastiques qui lui a ouvert d’autres horizons artistiques. Il a compris qu’il se sentait autant photographe que graphiste, et qu’il ne souhaitait pas dissocier ces deux passions et savoir-faire.Le 31 décembre 2002, il prend pour résolution de présenter le récit de son humeur et de sa créativité dans un journal photo en ligne, l’Ether Diary, ou l’éther au quotidien. Un espace d’écriture intime mêlant photos et textes, dont le titre sombre dévoile le tempérament écorché de l’auteur et la veine poétique et surréaliste de son travail. On reconnaît dans ses images ses sources d’inspiration et ses univers familiers : ceux des peintres Pollock, Magritte, Bacon et Géricault ; des écrivains Lewis Carroll, Oscar Wilde et Boris Vian ; et des photographes Joel Peter Witkin, Robert & Shana ParkeHarrison, Jan Saudek, etc. Johann Fournier a cependant créé au fil de ses images ses propres techniques et son propre langage, avec des modèles et des objets récurrents dans ses compositions. Depuis deux ans, Ether Diary devient une expérience autant humaine que créatrice : ‘ Mon travail a mûri en même temps que moi ‘, passant de ‘ spontané et brut ‘ à ‘ réfléchi et construit ‘. Ainsi, le rythme est passé d’une image par jour à une ou deux par mois. Mais les outils restent identiques : le bridge Konika Minolta Dimage A2, choisi pour son ‘ excellent rapport qualité/ prix ‘ (capteur haute résolution, réglages pro, bague de mise au point manuelle), un scanner Canon 3200F pour numériser les réalisations sur papier (encres, découpage, acrylique, tissu, etc.) et le logiciel Photoshop pour tout assembler et finaliser.Le choix de photographier en numérique s’est imposé pour des raisons techniques (éviter la numérisation) et financières. Un choix sans regret, bien au contraire : ‘ De nombreux photographes disent souffrir du manque de chaleur du numérique. Pour moi, ce n’est pas un problème, mais un gain de temps qui m’offre une plus grande réactivité, une vraie stimulation créatrice. La chaleur, je la retrouve avec mes traitements plus traditionnels. ‘
‘ Chaleur ‘ prend ici un double sens car, bien souvent, ces photos originales et assemblées sont prises en noir et blanc ou désaturées avec Photoshop puis recolorisées. Ce sont justement ces papiers trempés dans l’encre, peints, grattés, scotchés, collés, etc., puis numérisés et fusionnés aux photos qui apportent ces couleurs irréelles, ces nuances et cette matière à part. Un travail d’une grande minutie conciliant imagination, bricolage manuel et technicité numérique.

Photo numérique et objets scannés

Narcolepsie. Sept photos prises au Konica-Minolta A2 sont à l’origine de cette image : les trois portraits, les deux chapeaux, les deux fleurs. Les autres éléments – la paille, la montre de gousset, les lettres découpées dans la presse, le fond de couleur (un vieux papier vert travaillé à l’encre et à la colle) -, sont directement numérisés au scanner. Les trois portraits sont désaturés et recolorisés. Les chapeaux, fleurs, matières sont assemblés dans Photoshop. Les ombres et la fumée sont récréées numériquement en dernier.

Visage recomposé

Laureline est un assemblage de trois portraits différents de la même personne. Le visage est composé de plusieurs extraits d’images : la bouche, deux parties pour le nez, l’?”il droit et une partie de la joue en dessous.

Petits bouts de papier

Etty est une affiche pour une représentation théâtrale. Les noms des artistes, auteurs et interprètes, sont écrits sur des bouts de papier découpés, numérisés puis recollés numériquement avec Photoshop.

Masques de fusion

Scissor-hand assemble quatre photos dont deux portraits (habillé, déshabillé) imbriqués l’un dans l’autre. Un travail minutieux de retouche numérique : les deux portraits sont sur deux calques superposés.Avec un pinceau spécial et les masques de fusion, on fait disparaître des zones du calque supérieur (habillé) pour faire apparaître celui de dessous (déshabillé), en donnant l’illusion que la chemise se désagrège. C’est le même procédé (avec un pinceau normal) pour le bras qui se termine en ciseau (élément scanné). Sont ensuite ajoutés les lettrages noirs graphiques réalisés avec Illustrator.

Montage surréaliste

Oh my dear est une composition très décalée, un buste humain surréaliste. Au corps original sont ajoutés par substitution, des tiroirs (détourés dans une deuxième photo de meuble), desquels sort une troisième main (troisième photo), puis un seau retourné sur la tête (quatrième photo). Les couleurs du décor sont réalisées avec un papier travaillé à l’encre verte et rouge, puis scanné et intégré en fond. Celles du corps sont mixtes, obtenues tout d’abord avec du papier jauni trempé dans du café, scanné et intégré, combinée à la retouche colorimétrique avec Photoshop.

Découpage, collage, encrage

Le collectionneur n’est à l’origine qu’une seule et même photo numérique noir et blanc. Les couleurs, les croquis et la texture proviennent d’une source séparée plus traditionnelle : une feuille de papier, sur laquelle ont été collés des dessins et des mots découpés dans des livres de biologie. Trempée dans de l’encre verte, puis saupoudrée de terre de Sienne, la feuille sèche est ensuite scannée et fusionnée à la photo.

Détourage et intégration

Le vol est un assemblage de 18 photos noir et blanc : oiseaux, personnages, cordes, etc. Chaque élément est détouré puis intégré dans l’image de fond (la mer). Je leur superpose des éléments scannés : papier trempé dans l’encre pour donner la couleur, lettres découpées pour ajouter les motifs, et aplat d’acrylique noir gratté pour fabriquer les rayures.

Désaturation partielle

The Thief assemble deux photos : une femme sur un sofa et la tête d’un mannequin de bois. Ces images couleurs sont désaturées dans Photoshop : la peau et le mur deviennent noir et blanc. Elles sont ensuite recolorisées, en superposant le scan d’une feuille trempée dans de l’encre et jaunie au café. Les teintes sont ensuite affinées.

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Marilia Destot