Watch_Dogs 2 et sa cohorte de hackers débarquent enfin sur Xbox One et PS4 ce 15 novembre ! Les PCistes, patience, plus que 15 jours à tenir (sortie le 29 novembre). A nous les rues de San Francisco, dans la peau de Marcus, un jeune hacker qui part en croisade contre la super-société de sécurité Blum et son système de surveillance, le ctOS 2.0. Et il ne sera pas seul dans la bataille ! Armé de son drone, de son smartphone et son ordinateur, il peut aussi compter sur ses partenaires du groupe « DedSec », déjà croisé dans le premier opus. Premier opus qui, d’ailleurs, avait pu décevoir les plus exigeants à cause de quelques faiblesses de gameplay et un scénario trop noir et (vraiment ?) trop centré sur le protagoniste de l’époque, Aiden Pearce.
Dans ce second Watch_Dogs, pas question de vengeance. Mais plus… d’hacktivisme et du danger que les individus courent en laissant des données sur les réseaux sociaux, sans se soucier de la façon dont elles pourraient être ensuite utilisées.
Pour aborder franchement la question, nous sommes allés à la rencontre de l’un des spécialistes du hacking d’Ubisoft qui est, aussi, le responsable de la franchise Watch_Dogs, Thomas Geffroyd.
01net.com : Thomas, bonjour. Alors rapidement, avant de commencer, pourriez-vous juste nous dire en quelques mots ce qu’est un « Brand Content Director” et en quoi ce poste est lié… à l’univers du hacking ?
Thomas Geffroyd : Mon rôle est de m’occuper de tout le contenu de la marque, du jeu. Que ce soit à l’intérieur de ce dernier mais aussi, tout ce qui a autour comme les BD, le film à venir, etc. Je fais aussi une partie de l’interface entre certains services créatifs pour que tout le monde reste sur la même voie. Et, pour Watch_Dogs 2, j’ai une deuxième casquette bien moins « marketing », celle de « premier consultant pour le hacking ».
Cela fait des années que je suis de près et m’occupe de cette thématique et, pour un jeu comme Watch_Dogs, il est important que quelqu’un au fait de tout ce qui se passe dans ce milieu soit intégré à l’équipe de développement, une sorte de garde-fou et de caution pour ne pas trop écorner le réel.
Abordons tout d’abord la façon dont les choses ont évolué pour la licence Watch_Dogs ou, plus exactement, le chemin que vous avez souhaité lui faire emprunter. Contrairement à WD1 dans lequel Aiden Pearce incarnait le cavalier solitaire, seul contre tous, en quête de vérité, WD2 met clairement les groupes de hackers en avant, avec toute la cohésion, la participation à des actions communes, et une idéologie forte. Pourquoi avoir pris cette voie là ?
Lorsqu’on a commencé à plancher sur le projet, les équipes voulaient traiter des enjeux technologiques et de leurs impacts sur les humains. Contrairement au premier opus, WD2 souhaite aborder la question très actuelle de « l’hacktivisme » et de toutes les thématiques qui tournent autour des groupes de hackers, tant en termes idéologiques que simplement en temps que personnes dotés d’humanité et capables de réfléchir et agir. Ainsi, que ce soient les idées qu’ils défendent ou leurs visions de notre monde en plein changement, tout cela était autant de voies et d’opportunités qui s’offraient à nous sur un plan narratif. L’autre point sur lequel les équipes voulaient travailler, c’était de rendre le jeu… moins sombre que le premier opus.
Dans Watch Dogs 2, l’humour, la joie de vivre de nos jeunes personnages insufflent aussi une autre dynamique au jeu, plus rapide, plus rythmée. Aiden, lui, voyait les choses avec des yeux d’adulte, plus réaliste voire fataliste. Miser sur la jeunesse, c’était aussi plus efficace, si l’on peut dire, pour faire passer nos messages et notre vision de « l’hacktivisme ».
En effet, quand on voit les accoutrements des pirates de DedSec, cela nous promet des personnages « hauts en couleur » ! On est loin de l’image du hacker, seul derrière son écran à manger des sujets de forums spécialisés undergrounds et à boire des rasades de codes sources au petit déjeuner !
C’était important pour nous de représenter la culture « hacking » dans ce qu’elle est vraiment : c’est-à-dire composée de beaucoup d’influences tant urbaines que plus marginales, et de personnalités diverses. L’image du personnage avec son pull à capuche grisâtre, planqué devant son ordinateur, seul, au fond du sous-sol de chez ses parents ne nous convenait pas. Et n’est pas/plus réaliste selon nous. Les hackers sont des gens comme toi, moi, le premier venu, aujourd’hui. Ils sortent, ils vont au cinéma, ont un emploi, etc.
C’est intéressant que vous disiez cela parce que, sans faire de raccourci hâtif, DedSec se rapproche beaucoup -sur le fond- d’un mouvement comme celui des Anonymous par exemple. Constitué de gens qui ne sont pas « que » des hackers.
Oui, je pense qu’il y a un bien un point de raccord entre le monde de WD2 et notre monde. Mais soyons clairs, DedSec n’est pas Anonymous. DedSec c’est en quelque sorte une infime partie du mouvement Anonymous mais il y aussi des inspirations de « Telecomix » aussi par exemple. On essaie d’offrir une vision large et diversifiée de la communauté du hacking.
Ainsi, l’autre groupe de hackers du jeu, Prime Eight, est ce que l’on peut qualifier de « corporatistes » dans notre monde, comme « HackingTeam » en Italie. Des groupes qui travaillent sur des vulnérabilités « Zero Days » et qui revendent des informations aux plus offrants ou à des gouvernements.
Enfin, afin de rendre les choses les plus crédibles possibles et, à l’inverse, éviter de tomber ou d’entretenir des clichés de toute sorte, nous avons travaillé avec l’aide de beaucoup de gens versés dans les arcanes du piratage et du hacking.
Parlons-en justement ! Entre ce qu’on peut lire dans la presse, voir dans les séries télévisées ou même les films, on a tendance à être un peu perdu sur ce qui est possible et ne l’est pas en matière de hack. Comment vous, chez Ubisoft, vous vous êtes assuré que tout ce que vous matérialisiez dans le jeu soit vraisemblable ou à défaut, plausible ? Vous avez fait appel à des consultants en cyber sécurité, à des pirates en amont, tout au long du développement ?
Nous avons la chance d’avoir au Canada, une anthropologue spécialisé dans le hacking, Gabriella Coleman. Elle a une chaire à l’Université McGill de Montréal et a écrit un ouvrage intitulé « Hacker, hoaxers and whisteblowers » (traduit aux Editions Lux. en français récemment) qui est à lire si le sujet vous passionne ! Il traite principalement des Anonymous mais pas uniquement, et il se dévore comme un roman. Il nous a été très utile. Ensuite, comme je le disais en introduction, c’est une grosse partie de mon travail également.
Cela fait 20 ans que je baigne dans le milieu du hacking, que je m’y intéresse, rencontre des personnes qui en font partie, etc. Alors je ne suis pas moi-même un hacker. Je ne suis pas très doué avec les chiffres et les langages informatiques [Rires].
J’ai cependant beaucoup de contacts dans le milieu maintenant et je suis de très près tout ce qui se passe dans ce monde. De fait, nous avons travaillé avec trois hackers consultants, en plus de l’anthropologue et d’experts en cybercriminalité et sécurité.
Typiquement, quand une idée émergeait, on en parlait d’abord avec les développeurs et les producteurs du jeu puis si cela ne me paraissait pas complètement farfelue ou infaisable, j’allais voir nos consultants pour leur soumettre l’idée, la philosophie du projet et la forme que nous pensions lui donner.
Il est arrivé qu’on veuille faire quelque chose d’irréalisable dans le réel mais super intéressant pour notre jeu. Alors, là, on rentrait dans des phases de discussion avec les hackers d’où pouvaient émerger d’autres idées ou d’envisager différentes étapes crédibles pour arriver à mettre en place notre idée. Il a fallu parfois tordre un peu la réalité pour arriver à nos fins mais, après tout, WD2 est un jeu et n’a pas vocation à être ultra fidèle non plus. Même si le réalisme est très important pour nous, j’insiste.
Et puis, coup de chance, avec la présence du ctOS 2.0 (le système de surveillance de San Francisco dans WD2), exploiter des données ou agir sur différentes choses par son biais était beaucoup plus simple à envisager d’un point de vue de hacker. Car quand il y a des brèches dans un système, on les retrouve généralement dans les sous-systèmes et il est donc facile de les exploiter.
Merci pour la transition ! Dans l’édito d’un des documents portant sur le jeu, vous affirmez que si le jeu se passe à San Francisco ce n’est pas anodin. La Silicon Valley est à proximité et donc les géants de l’électronique et d’Internet. Ainsi que l’idéologie du « Make the world a better place » défendue par ces géants. Celle-ci semble d’ailleurs vous laissez assez sceptique. Pensez-vous que, comme dans le jeu, ce sont en fait les pirates qui en sont les vrais émissaires ? Les garants des libertés ?
Le monde des technologies est allé tellement vite ses 15 dernières années que la majorité des gens a perdu le fil. On a tous des smartphones, on consomme des datas sans cesse, on laisse des traces partout et tout cela profite à des gens. Qu’ils soient pirates ou géants de la Silicon Valley.
Les « Watch dogs », ce sont les « chiens de garde » en anglais. Donc, oui, en quelque sorte, le jeu défend l’idée qu’on a besoin d’avoir des gens qui restent à l’affût, suivent et agissent en fonction de ce qui se passe dans notre environnement. Voire dans notre vie électronique. Ce sur quoi nous souhaitions attirer l’attention des joueurs, c’est que bien qu’ils utilisent les réseaux sociaux et toutes les formidables technologies que l’on connait aujourd’hui, il y a des précautions à prendre. Nous ne souhaitons pas avoir un rôle de moralisateur, simplement d’observateur voire d’initiateur de réflexion.
En effet, il y a plein de sociétés qui, aujourd’hui, profitent de flous légaux pour mouliner de la data, de la big data, la compiler, la revendre, sous une forme ou une autre, à d’autres acteurs.
D’ailleurs, il y a quelques jours, nous avons eu la chance d’avoir une conférence d’Edward Snowden à l’université de McGill de Montréal et il a eu une phrase très intéressante : « Les lois ne vont pas assez vite par rapport à la technologie ». De notre point de vue, les pirates ont beaucoup de choses à nous apprendre sur la façon dont les choses se passent en coulisse, sur les réseaux, tant d’un point de vue technologique, politique qu’économique.
Le mot de la fin ?
Avec WD2, nous avons essayé de faire en sorte d’avoir un jeu complet, qui tranche avec le premier opus par bien des aspects et qui offre une vision personnelle de ce à quoi ressemble un peu notre monde aujourd’hui. Mais présentée sous une forme ludique bien sûr et non moralisatrice. Cependant, si cela pousse certains à se poser des questions tout en appréciant les aventures de Markus dans notre San Francisco, alors ce sera déjà très bien !
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.