A trente-cinq ans, Frank Boulben est le prototype d’une nouvelle génération d’éminences grises. Ancien directeur de la stratégie de Cegetel, ce proche conseiller de Jean-Marie Messier, pour tout ce qui touche au multimédia, est toujours prêt à des acrobaties intellectuelles pour défendre ses convictions. Polytechnicien au profil de consultant, Frank Boulben se donne moins de trois ans pour gagner le pari de Vizzavi, le fameux portail commun à Vivendi et à Vodafone.Quel est votre modèle économique sur Internet ? Autrement dit, quelle sera la clé de répartition entre publicité, intermédiation et services payants ?C’est assez compliqué. En ce qui concerne VivendiNet, nous avons deux métiers : la recherche d’opportunités avec nos structures de capital-risque (Viventures) ou d’incubateur (@viso), d’une part ; une activité industrielle avec notre portail multi-accès Vizzavi, d’autre part. L’idée générale est de créer des synergies entre ces deux métiers tout en développant autour du Web toutes nos activités bricks and mortar (concept anglo-saxon pour décrire l’économie traditionnelle, NDLR) adossées à de vrais actifs.Et l’Internet mobile ? Certains spécialistes des contenus, à l’instar de News Corp., considèrent qu’il ne s’agit que de ” commodités ” relativement marginales…Le WAP est à l’Internet mobile ce que le Minitel est à l’Internet fixe. Ce qui va se passer, c’est que l’évolution vers l’Internet mobile (WAP et GPRS) va aller beaucoup plus vite que la transition du Minitel à Internet. Avec six millions d’abonnés au service i-Mode en dix-huit mois, l’exemple du Japon montre qu’il y a un marché potentiel énorme. Globalement, cette révolution mettra moins de trois ans à arriver sur le Vieux Continent.Le battage médiatique autour du WAP n’est-il pas surdimensionné par rapport aux services réellement offerts ? Comment expliquez-vous cette débauche d’énergie en regard de la pauvreté des services proposés ?La révolution de l’Internet mobile en est à ses débuts, mais les places se prennent dès maintenant. Disons que l’on installe la marque (Vizzavi). Pour le reste, nous n’en sommes qu’à la première génération de services, mais ces derniers vont s’enrichir très rapidement. Sans compter que, avec l’arrivée prochaine du GPRS, tout cela sera beaucoup plus convivial. Si vous prenez l’exemple japonais, i-Mode n’a véritablement décollé qu’avec l’introduction du mode paquet.Le positionnement du WAP aujourd’hui est très grand public. N’est-ce pas paradoxal sachant que les entreprises sont les meilleurs clients des opérateurs cellulaires ?Le marché de l’Internet mobile est différent selon que l’on parle des particuliers, des entreprises ou des professionnels (artisans et TPE, par exemple). Les entreprises représentent aujourd’hui entre 15 % et 20 % du marché des mobiles ; et les professionnels, près de 20 %. Pour les premières, on s’oriente plutôt vers des applications verticales de type Intranet sur lesquelles les opérateurs cellulaires traditionnels vont se retrouver en concurrence avec les réseaux numériques partagés comme celui de Dolphin.En termes d’audience, comment comptez-vous rattraper l’avance prise par les principaux portails concurrents, notamment ceux de France Télécom (Voila, Wanadoo et Pages Jaunes), voire de TF1 ?Si l’on raisonne en termes d’audience agrégée, nous sommes numéro trois, derrière France Télécom et Yahoo! Pour ce qui est du poids de l’opérateur public sur Internet, il est essentiellement lié aux avantages dont ce dernier bénéficie à travers son réseau d’agences. Alors que le coût d’acquisition des abonnés à Wanadoo est élevé, France Télécom compense par son monopole dans la téléphonie locale.Longtemps la maîtrise de l’accès physique a été considérée comme un point de passage obligé pour se développer sur Internet. Vous avez récemment évoqué l’intérêt du concept d’opérateur virtuel. Entre ces deux modèles, lequel vous semble le plus approprié ? Ce qu’il faut comprendre, c’est que, entre l’accès, le transport et les services, la chaîne de valeur se déconstruit. L’intérêt du concept d’opérateur virtuel, c’est qu’un acteur qui n’est pas présent sur tel ou tel segment pourra, à l’avenir, acheter de la capacité en gros pour la revendre ensuite au détail. Aujourd’hui, la maîtrise de la chaîne complète – comme dans le cas de Cegetel ou de SFR – est très importante même si cela risque d’évoluer à moyenne échéance.Entre l’accès et les contenus, comment va se partager la chaîne de valeur dans les hauts débits ?Environ 60 % pour l’accès, et 40 % pour les contenus, sans compter les recettes liées à la publicité.Quel sera le rôle de Canal+ au sein de Vivendi Universal, dans la commercialisation de Vizzavi ? Autrement dit, dans quelle mesure le fichier d’abonnés de Canal+ sera-t-il mis à contribution pour recruter des abonnés à Vizzavi, mais également à SFR ou au 7 de Cegetel ? Bien sûr que la base de clients de Canal+, tout comme celle de SFR, sera mise à contribution ! Pour les abonnés de Canal+, Vizzavi sera tout simplement leur porte d’entrée sur le Web. De toute façon, il y avait déjà des opérations de promotions croisées.Vous avez été à la pointe des revendications en faveur du dégroupage de la boucle locale, quelle est votre position en ce qui concerne le dégroupage de l’accès radio ? Pour des raisons essentiellement techniques, notre position diffère entre la radio et les services fixes. Pour ce qui est du fixe, l’accès est entièrement dédié, et le client bien identifié. En radio, que l’accès soit fixe ou mobile, ce dernier est partagé entre plusieurs utilisateurs. Techniquement, ce n’est pas simple à dégrouper. Cela irait même à l’encontre de l’optimisation du spectre.Votre partenariat avec AOL au sein d’AOL France s’est soldé par un échec. Comment comptez-vous reconstituer une activité d’ISP au sein du groupe ? C’est clair comme le cristal : dès que nous serons sortis d’AOL France, Cegetel aura une offre d’ISP sous la forme d’un kit de connexion qui sera proposé aux clients de Cegetel, de SFR et de Canal+.Qu’est-ce qui différencie fondamentalement Vizzavi de Voila Mobile ? Nous sommes véritablement multi-accès, avec des contenus distinctifs et des services utilitaires.
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