Avec quelque 35 000 salariés dans le monde et des activités multiples, qui vont de la culture de l’hévéa à la production de papiers spéciaux en passant par la distribution d’énergie, le groupe Bolloré (4,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2001) est une bonne illustration de l’entreprise en réseau. C’est la raison pour laquelle Le Nouvel Hebdo a demandé à son président, Vincent Bolloré, ce que les nouvelles technologies avaient pu changer dans son mode de management. Habituellement discret sur la conduite de ses affaires, il donne pour la première fois son avis sur l’impact des NTIC dans la gestion de ses sociétés.
Le Nouvel Hebdo: Quelle place accordez-vous aux technologies au sein de votre groupe ? Vincent Bolloré : Depuis un siècle et demi, une large part des activités du groupe est industrielle et intègre des technologies de pointe. Nous avons donc l’habitude de prendre en compte le savoir-faire et les biens immatériels (comme les brevets ou l’innovation) dans la valorisation des entreprises. Avec une certitude : les investissements en matière de recherche et développement demandent du temps. Par exemple, nous travaillons à la mise au point d’une batterie électrique de petite taille qui permette à une voiture de parcourir 300 kilomètres, et cela depuis 11 ans. Nous espérons un aboutissement à l’horizon 2004 ou 2005. Les stock-options comptent au nombre des nouveautés apportées par la net économie. Que pensez-vous de cette forme de rémunération ? J’y suis favorable, mais de manière mesurée. Je suis très surpris par les sommes perçues par certains dirigeants américains : le montant des stock-options peut atteindre jusqu’à 50 fois leur salaire annuel. Si les managers ont une telle pression sur les épaules, avec l’obligation d’annoncer très régulièrement des résultats toujours meilleurs, le système ne peut que s’emballer. Il pousse les dirigeants à la faute, en les incitant à obtenir une croissance débridée. Un peu comme un coureur automobile à qui l’on demanderait de parcourir 100 kilomètres en cinq minutes. Cela oblige à quelques excès de vitesse, pouvant se révéler mortels pour l’entreprise. L’accès facilité à l’information, rendu possible grâce à Internet, a-t-il modifié votre mode de management ? Ce qui est certain, c’est qu’avec le réseau des réseaux, un client peut désormais rapidement savoir s’il y a ailleurs un meilleur produit que le vôtre. En ce sens, cette technologie accélère la concurrence, mais ne la remet pas en cause. C’est un canal supplémentaire d’information ou de commercialisation. La grande erreur a été de croire que ce support remettait en cause les fondamentaux économiques. La vague internet fondait son modèle sur le bouleversement permanent. Or, une économie ne se développe pas dans ces conditions. Internet est un outil formidable, un véritable facteur de changement. Mais il ne s’agit certainement pas, à mes yeux, d’une révolution qui va tout emporter sur son passage. Je continue de croire aux principes de bonne gestion, aux règles et aux contraintes de ce qu’on a appelé un peu vite l’économie traditionnelle. Cette vague Internet a tout de même eu un impact sur les rapports sociaux au sein de l’entreprise…Je ne le pense pas. C’est la survalorisation des entreprises internet qui génère des demandes exorbitantes de la part de certains salariés. Il est certain que si l’on fait miroiter des merveilles à des cadres, ils vont finir par se prendre au jeu. Chez nous, cela ne s’est pas ressenti plus que lors des périodes de tension sur le marché du travail. De plus, j’ai toujours considéré que l’âge n’était pas un critère pour attribuer des promotions. Seules les compétences comptent. Ainsi, comme dans les start-up, nous avons des jeunes cadres à des postes à responsabilités. La ” start-up mania ” a quand même eu le mérite de valoriser le rôle du créateur d’entreprise…J’espère bien que l’éclatement de la bulle Internet n’a pas dégoûté les créateurs de jeunes pousses. Cela leur a peut-être appris que le management ne se limitait pas à un titre sur une carte de visite, mais qu’il fallait assumer des fonctions de gestion extrêmement rigoureuses. On est loin de la génération Sega, qui éteindrait sa console de jeux vidéo à la moindre contrariété. En fait, j’apprécie surtout la culture de la progression, où tout vient à point. Je me méfie toujours un peu des gens trop vite bombardés à des postes élevés. Mais j’espère que survivra l’esprit de conquête qui habitait beaucoup de ceux qui ont tenté cette aventure.Pensez-vous que la technologie va prendre une part grandissante dans le management des équipes ? Un outil comme la visioconférence permet certes un contact, le facilite parfois, mais sous une forme que je juge trop encadrée. Or, je pense qu’une bonne connaissance des hommes ne peut pas s’effectuer dans un environnement trop encadré. Je reste donc un fervent partisan des visites sur place, des échanges en direct, des contacts. Rien de tel pour prendre conscience de l’activité d’une usine ou d’une entreprise, bien au-delà des données chiffrées. C’est en outre une marque de respect pour ceux qui y travaillent. Quel est, selon vous, l’avenir de cette net économie ? Maintenant que la preuve a été apportée que l’on ne peut pas courir le 100 mètres en trois secondes, et obtenir des résultats financiers en quelques mois, je suis convaincu que l’économie internet a encore toutes ses chances de se développer. Et ceux qui auront le courage de travailler sur la durée, avec des rentrées progressives d’argent, devraient finir par réussir. Les Américains sont familiers de ces phénomènes économiques qui connaissent des poussées subites, pour retomber quelque temps après. Ce n’était pas le cas en Europe.
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