Le 15 novembre dernier, la Cour de cassation a annulé un jugement rendu par la juridiction de proximité de Tarascon du mois de novembre 2008, qui avait débouté un utilisateur de sa demande de remboursement des logiciels, non désirés, préinstallés sur son ordinateur Lenovo.
Stéphane Pétrus, le plaignant, par ailleurs membre de Racketiciel – groupe de travail de l’Aful – réclamait le remboursement de 404 euros sur un montant global de 597 euros. A noter que la licence d’utilisateur final ne prévoyait que le remboursement total de la machine. Après le jugement, le consommateur s’était pourvu en cassation, considérant que le juge de proximité n’avait pas compris ses arguments.
La Cour de cassation demande le renvoi du dossier devant une autre juridiction de proximité, celle d’Aix-en-Provence. Pourquoi a-t-elle cassé le jugement de Tarascon ? Parce que, estime-t-elle, le tribunal a statué dans cette affaire « sans rechercher si la pratique commerciale dénoncée entrait dans les prévisions des dispositions de la directive relative aux pratiques commerciales déloyales ».
Le droit français remis en cause par le droit européen
Ainsi, selon la première chambre civile de la Cour de cassation, un tribunal doit statuer dans ces dossiers de ventes liées système d’exploitation (OS)/ordinateur en tenant compte de l’article L122-1 du code français de la consommation, mais interprété à la lumière de la directive européenne, comme le demande un arrêt de la Cour de justice de l’Unions européenne (CJUE) d’avril 2009.
Qu’est-ce que cela implique ? L’article L122-1 prohibe la vente liée, sauf exceptions appréciées à l’aune de l’intérêt pour le consommateur. D’où certains jugements qui ont été favorables à des consommateurs ayant demandé le remboursement des logiciels non désirés. Mais l’arrêt de la CJUE auquel se réfère la Cour de cassation rend, de fait, inapplicable l’article L122-1, parce que non conforme à la directive européenne. Celle-ci considère que la vente liée est autorisée, sauf exceptions, et qu’un Etat ne peut pas la prohiber par principe, même si c’est dans l’intérêt du consommateur.
« La vente liée, qui était interdite, se retrouve autorisée »
« Par voie de conséquence, la vente liée – qui était interdite – se retrouve autorisée, sauf à démontrer qu’il y aurait eu une pratique déloyale de la part du vendeur. Nous passons donc d’un régime d’interdiction avec exceptions à un régime d’autorisation avec exception », analyse Jean-Claude Patin, responsable du site Juritel, qui considère au passage que « le législateur français est humilié et passe purement et simplement à la trappe ».
Pour l’analyste, « La conséquence pratique est importante. Le consommateur va devoir jouer à Sherlock Holmes pour démontrer la déloyauté de l’offre. » Ce qui, « insidieusement, pousse les associations de consommateurs sous les feux de la rampe. En effet, le consommateur lambda ne pourra que très difficilement s’acquitter seul de cette tâche ; seules les actions nombreuses et coordonnées auront une chance d’aboutir ».
Benoît Tabaka, directeur des affaires juridiques de Priceminister, voit les choses de façon plus tranchée. Interrogé par nos confrères de PC INpact, le juriste estime que « La décision de la Cour de cassation va mettre fin à tous ces litiges sur les OS préinstallés. La législation française sur les ventes liées n’est pas conforme au droit communautaire et rien, dans la législation communautaire sur les pratiques commerciales déloyales, ne semble permettre de sanctionner la vente concomitante d’un PC avec un OS. »
« Une très belle victoire » pour l’Aful
L’Aful ne voit pas du tout les choses du même œil, et parle d’une « très belle victoire ». « Grâce à cet arrêt, la question des “racketiciels” se réoriente maintenant de la vente subordonnée vers la question des pratiques commerciales déloyales, clairement identifiables. C’est de bon augure pour les décisions à venir dans les juridictions de proximité. D’ores et déjà, l’affaire Pétrus/Lenovo France est renvoyée vers une juridiction voisine. Plusieurs autres affaires sont en cours dans d’autres juridictions », précise l’association.
Qui, des constructeurs ou des consommateurs, sort gagnants de l’arrêt de la Cour de cassation ? Les avis ne se recoupent pas forcément. Les prochaines décisions de justice sur ce type de dossier apporteront, on l’espère, un éclairage. Car, on le voit, la problématique de la vente liée, déjà délicate, n’a pas forcément gagné en clarté ni en simplicité.
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