Depuis hier soir, 5 mars, 20h, nous connaissons les deux candidats au rachat de SFR : Bouygues Télécom et Numéricable. Mais pour bien comprendre de quoi il en retourne, posons-nous les bonnes questions et revenons au point de départ…
Pourquoi SFR est-il à vendre ?
Des rachats, des disparus, on en a connu plein dans les telecoms. Ça c’était un peu calmé. Mais avec l’arrivée de Free Mobile en 2012, les spéculations sur le prochain sortant ont repris.
Les premières rumeurs de vente de SFR sont apparues à l’automne 2012. A l’époque, le patron de SFR, Stéphane Roussel, avait lâché qu’une fusion de SFR avec un concurrent était possible. Rapprochement avec Numericable, hypothèses avec Free… « Tout le monde discute avec tout le monde. Les jeux sont ouverts », avait-il confié.
On savait aussi que la maison mère,Vivendi, voulait se séparer de ses filiales telecoms dans le monde pour se concentrer sur son activité TV et musique principalement (avec Canal et Universal…).
En septembre 2013, ça s’est précisé avec le projet de scission annoncé entre Vivendi et SFR. Et la volonté de faire entrer SFR en bourse.
Là-dessus, début 2014, le gouvernement aussi a pris des positions. Au travers d’Arnaud Montebourg notamment, pour qui quatre opérateurs c’est trop d’énergie dépensée à casser les prix, et moins de moyens pour investir dans un déploiement national de la fibre optique.
Jusqu’au dernier rebondissement, hier soir, date-butoir imposée par Vivendi pour la remise des offres de rachat de SFR.
Il faut savoir que, globalement, tous les opérateurs sont favorables à une concentration, pour financer la fibre optique, la 4G… et retrouver des marges (en 2013, le revenu moyen par client mobile a baissé de 11,5% en France… ).
Qui est le mieux placé pour remporter la vente ?
Eliminons tout de suite, ceux qui n’ont rien proposé… et pour cause ! Orange et Free, ainsi, n’avaient aucune chance.
Orange détient déjà 40% du marché mobile et 48% de l’internet fixe. Une offre de rapprochement avec SFR se serait immédiatement heurtée à un refus catégorique de l’Autorité de la concurrence.
Et pour Free, même combat perdu d’avance : il y a plus d’un an, l’Autorité de la concurrence s’était déjà opposée à l’idée d’un rapprochement entre le quatrième opérateur et SFR, en raison du poids de l’ensemble sur l’ADSL. En engloutissant SFR, Free détiendrait la moitié du marché de l’accès internet ! L’ensemble aux côtés d’Orange, ne laisserait plus que quelques miettes aux concurrents. Une situation de duopole, donc, inacceptable pour l’Autorité.
Numericable, lui, a déposé une offre. Et semblait le candidat privilégié depuis le début.
Petit opérateur, complémentaire de SFR. La ministre Fleur Pellerin, avait même concédé que, dans ce cas, ce ne serait pas un retour à un marché à trois opérateurs, étant donné que Numericable n’est présent que dans le fixe.
Mais, Numéricable n’aurait pas les faveurs de Vincent Bolloré chez Vivendi… Et surtout, Bouygues Télécom est venu jouer les troubles fêtes en déposant aussi une offre auprès de Vivendi.
Aussi étonnant que cela puisse paraîtr, si une fusion avec SFR pourrait en théorie poser un vrai problème de concurrence sur le mobile, l’Autorité concernée ne s’est pas étranglée à l’idée de ce rapprochement : elle s’est contentée de préciser que des concessions seront nécessaires.
En outre, un premier pas entre Bouygues Telecom et SFR a déjà été fait puisqu’ils ont annoncé, pas plus tard que le mois dernier, la mise en commun d’une partie de leurs réseaux mobiles. Et, là non plus, personne n’a crié au loup…
Que proposent Bouygues Telecom et Numéricable ?
Bouygues propose une fusion avec SFR, avec une introduction en bourse de l’ensemble dans la foulée. Du côté de l’emploi, il assure “un projet sans aucun départ contraint”. Et prévoit des concessions pour maintenir le niveau de concurrence en France : il pourrait ainsi céder une partie de son réseau mobile à Free.
Numericable, de son côté, s’engage à conserver tous les emplois et même à recruter des commerciaux. A faire jouer la préférence nationale en recourant à des industriels français (comme Alcatel-Lucent, Technicolor ou Sagemcom) pour ses investissements en France mais aussi à l’étranger (via la holding Altice). Et à poursuivre ses investissements dans la fibre optique pour couvrir 12 millions de foyers en 2017 et 15 millions d’ici à 2020.
Financièrement, Bouygues, comme Numericable, valorisent SFR entre 15 et 20 milliards d’euros.
Quelles seront les conséquences pour les clients SFR, Bouygues et les autres ?
Tout le monde craint une hausse des prix. Rappelons que lorsque nous n’avions que trois opérateurs mobiles en France, les prix étaient supérieurs à ceux pratiqués à l’étranger. Avec l’arrivée du quatrième, ils sont devenus plus attractifs.
L’exemple récent de l’Autriche ne rassure pas plus : depuis qu’il n’y a plus que trois opérateurs au lieu de quatre, les prix ont grimpé de 10% au dernier trimestre 2013.
En Allemagne, où il y a un autre projet de mariage (entre Telefonica et E-Plus), on a les mêmes craintes. Bruxelles a transmis une “communication de griefs” sur cette opération à cause d’une augmentation possible des tarifs clients de 13 à 17% en moyenne.
Cela dit, sur les prix, bien malin celui qui saura prédire ce qui va se passer… et le prochain coup de Free Mobile, par exemple !
On sait, en revanche, que si Numéricable emportait SFR, une seule marque subsisterait : fini Numéricable. Et la stratégie de SFR s’en retrouvait modifiée -davantage tournée vers le câble où Altice est certain de trouver de bonnes marges (largement supérieures à celles du mobile), des clients fidèles, et de quoi séduire de nouveaux abonnés grâce à son réseau fixe à très haut débit.
Quand la vente sera-t-elle effective ?
Pas de date de fixée. Ce n’est que l’entrée en négociations. D’ici une huitaine de jours, un comité restreint du conseil de surveillance de Vivendi aura décortiqué les offres. Ensuite le conseil émettra un avis.
Sans doute, le gouvernement voudra-t-il aussi faire entendre sa préférence. Ses critères de choix, on les connaît : préservation de l’emploi, investissement dans le très haut débit, qualité de service, maintien de la concurrence, patriotisme économique.
Puis il faudra encore attendre l’avis de l’Autorité de la concurrence, de Bruxelles…
Mais avant cela, les montages financiers proposés par Bouygues Télécom et Numéricable seront décisifs. S’ils ne satisfont les appétits de Vivendi, on le saura très vite.
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