Là, franchement, les gens exagèrent. L’autre jour, tenez, je rencontre un e-PDG, la trentaine, un type bien, qui a réussi dans l’informatique, connaît Bill Gates, et peut s’arrêter de bosser demain s’il en a envie. Que m’annonce-t-il ? Il prend des cours d’anglais une fois par semaine en visioconférence avec un acteur américain pour, dit-il, apprendre à parler aussi bien qu’un Californien.”Je suis dans un business global, il faut que mon accent soit global.” Damned ! Oublié le délicieux “good morning, s?”ur, ohariou ?”Nous avions déjà, ces dernières années, dû avaler le hot-dog, le chewing-gum et le hamburger. Nous commencions à peine à surfer sur le “ouaibe” et à échanger des “méls”. Et voilà que déboule un vrai “tsunami” amerloque, un raz-de-marée, comme on disait avant.La France de la nouvelle économie regorge de managers qui ont des stock-options, des business models, des web-agencies, des marchés à adresser, des compétiteurs à “monitorer”, des “key accounts” à “targeter”. Le matin, ils sont en “morning meeting”, l’après-midi, ils causent “scalability” et vont dans les cocktails faire du “networking”. Chez AXA ou chez Total, l’anglais est devenu langue officielle. Chez Vivendi, J6M écrit à ses salariés “chers collègues” au recto, “dear fellow employees” au verso. Dans les offres d’emplois, on recherche des webmasters, des VP (“vipi”), des CTO (“citio”), des CEO (“ci-io”). Les entreprises ne vont plus pleurnicher chez le banquier, mais chez leur VC (“vici”). Le Petit Larousse a intégré “start-up” juste après “starting-block” et “starting gate”. Même à la Commission européenne, où la moindre note sur la taille des phares arrière des tracteurs était, jusqu’à présent, traduite en grec et en portugais, on passe au tout anglais. Pour le meilleur et pour le (Shakes)pire. Il n’y a guère que France Télécom qui ait encore quelques états d’âme(érique) : lorsque vous entrez le mot “start-up” dans les Pages Jaunes, l’annuaire vous envoie vers les artistes peintres et les photographes d’art. Mais là, ils le font exprès.Autrefois, lorsque nous étions inventifs, nous étions immunisés contre ce genre de virus. Nous avons quand même refilé aux Américains les mots automobile, hors-d’?”uvre, chef, entrepreneur, lingerie ou rendez-vous. Remember… Mais depuis le Minitel qu’ils n’ont jamais voulu nous acheter, on rame.Que faire ? Evidemment, on peut rêver d’un accord de partenariat avec les Chinois pour qu’ils traduisent leurs sites web en français, mais cela prendra du temps. Et on voit mal Jospin faire comme Santoni et se pointer en cagoule au Bronx pour exiger l’enseignement du français à la maternelle dans tous les pays de l’ONU. Ne parlons même pas du genre de ligne “Magi-mot” qui produit “jeune pousse” pour lutter contre “start-up” ou “mâchouilleur” contre “chewing-gum”. Là, c’est perdu d’avance. Non, au point où nous en sommes, seule une mobilisation internationale, un plan Marshall-Lang du xxie siècle, peut éviter à notre langue de devenir au monde ce que l’alsacien est à la France.Un gigaremue-méninges est nécessaire, auquel il faudrait associer le Snes, d’Ormesson, Pivot, PPDA, Séguéla, mais aussi tous les amis du canton de Vaud, quelques ex-députés belges et des Québécois futés. On disséquerait tout le glossaire du cybermonde, comme les Québécois sur granddictionnaire.com. Et là, c’est sûr, on inventerait plein de mots forts qui marqueraient l’histoire : “camirette” à la place de webcam, “fouine” pour hacker, “binette” pour smiley. Le chat, alias tchatche, serait rebaptisé “clavardage” (du latin clavis et du français bavardage). On s’enverrait des “courriels” sans faire de “pollupostage” (spam). A la fin, tel César au Sénat célébrant sa victoire contre le roi du Bosphore, on chanterait a capella : “Veni, vidi, VC”. Moi, j’y crois. Comme on dit dans les “bavardoirs” : “Rotfl” (“rolling on the floor laughing). En vieux français : je suis plié de rire.
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