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Véhicules communicants, cyber-chauffeurs? À l’aube de la révolution automobile.

L’automobile est si profondément ancrée dans nos habitudes de vie qu’un certain recul est nécessaire pour réaliser le rôle éminemment structurant qu’elle joue au sein des sociétés modernes. Les nouvelles tendances technologiques, et en premier lieu l’irruption prochaine des véhicules autonomes, entraîneront une cascade d’effets qu’il est encore difficile d’apprécier.

Des microstructures participatives aux géants du High-Tech, l’avenir appartient à ceux qui sauront s’adapter aux nouvelles possibilités offertes par les technologies de pointe et aux bouleversements majeurs qui se profilent à l’horizon.

La voiture « open source »

Le Rally Fighter de Local Motors, vendu pour la bagatelle de 99 000 $,  a fait ses preuves en compétition, réalisant d'excellentes performances.
Le Rally Fighter de Local Motors, vendu pour la bagatelle de 99 000 $, a fait ses preuves en compétition, réalisant d’excellentes performances. – Le Rally Fighter de Local Motors, vendu pour la bagatelle de 99 000 $, a fait ses preuves en compétition, réalisant d’excellentes performances.

Une mini-révolution, rendue possible par le développement du crowd-sourcing et la démocratisation des technologies de fabrication rapide comme l’impression 3D (fabrication additive et usinage avancé), est en marche : le design automobile participatif. Le projet OSCar est ainsi totalement ouvert (open-source) et participatif. La société Local Motors a repris ces principes à son compte, en invitant des internautes aux expertises diverses à collaborer pour créer un véhicule unique et diablement original, qui est ensuite personnalisé selon les préférences de chaque client et produit à la demande dans une « micro-usine » dotée d’équipements génériques et facilement déclinable à l’identique sur d’autres sites. Le client, encadré par une équipe de professionnels, a l’opportunité de réaliser lui-même l’essentiel de l’assemblage de son véhicule. Fort du succès de son Rally Fighter, une voiture tout-terrain homologuée particulièrement robuste et racée, lancée en 2010, Local Motors a poursuivi ses efforts avec la Racer, une variation sur un sportster Harley Davidson.

De la conduite assistée?

Le système d'alerte de franchissement de ligne continue à la sauce Citroën, qui équipe la C4 Picasso.
Le système d’alerte de franchissement de ligne continue à la sauce Citroën, qui équipe la C4 Picasso. – Le système d’alerte de franchissement de ligne continue à la sauce Citroën, qui équipe la C4 Picasso.

L’industrie automobile s’attache de plus en plus à protéger le passager, mais aussi l’environnement du véhicule (piétons, etc.), et les systèmes prédictifs jouent un rôle majeur dans cette évolution. Ces derniers peuvent être passifs, en ajustant par exemple la tension de la ceinture en anticipant un impact, ou actifs. Dans ce cas, ils tendent à prévenir, voire à éliminer l’erreur humaine. C’est notamment le cas des avertisseurs de collision, basés sur des sonars ou Lidars, capables de déclencher une action en cas d’absence de réaction du conducteur. La somnolence et, d’une manière générale, la baisse de vigilance, sont des causes majeures d’accidents graves. Il est aujourd’hui possible de prévenir ce fléau par un diagnostic de la conduite (et notamment une analyse de trajectoire) ou par une observation directe du conducteur grâce à une caméra. Plusieurs marques (et notamment Audi avec l’A3) ont déjà adopté des systèmes de ce type, qui devraient se généraliser à partir de 2015 pour les véhicules haut de gamme. Idem pour l’aide au stationnement. Les systèmes d’alerte de franchissement de ligne continue (Afil), qui ont fait leur apparition au cours des années 90, sont désormais proposés par la plupart des constructeurs. Chez Citroën, par exemple, le franchissement involontaire est signalé par une vibration du volant. Chez Mercedes, il déclenche un freinage du véhicule et une correction automatique de la trajectoire.

… aux véhicules autonomes

Présentation de la Mercedes Classe S édition 2014, à Hambourg.
Présentation de la Mercedes Classe S édition 2014, à Hambourg. – Présentation de la Mercedes Classe S édition 2014, à Hambourg.

Parmi toutes les technologies susceptibles de bouleverser l’industrie automobile, l’intelligence artificielle s’annonce comme la plus spectaculaire… et la plus problématique. L’incursion de Google dans le domaine des véhicules autonomes représente un point d’inflexion historique. Le combat s’annonce épique. D’un côté, Google, partisan de l’approche exponentielle et d’une véritable rupture du continuum historique de l’industrie, qui prédit la commercialisation de sa technologie au cours des cinq prochaines années. De l’autre, les constructeurs traditionnels, qui développent souvent depuis longtemps des technologies de pilotage autonome, mais qui prônent une approche plus linéaire et progressive. Daimler, le véritable pionnier des véhicules autonomes, introduira par exemple dans sa Mercedes Classe S édition 2014 des fonctions de « chauffeur virtuel », capables notamment de doubler automatiquement sur l’autoroute. Pour le constructeur allemand, « Nos fonctions autonomes et semi-autonomes sont conçues pour soulager le conducteur des tâches les plus fatigantes en lui permettant de conduire de manière plus sûre et détendue. Il est cependant capital qu’il reste responsable du véhicule et puisse désactiver ou outrepasser le système d’assistance s’il le souhaite. Nous voulons permettre à nos clients de déléguer des tâches au véhicule, en particulier quand la conduite est rébarbative, comme dans les embouteillages ou lors de longs trajets. Nous n’avons pas l’intention de remplacer le chauffeur ni d’automatiser les aspects « cool » de la conduite. Des changements législatifs sont nécessaires pour intégrer davantage de fonctions semi-autonomes dans les véhicules. Pour nous, la conduite autonome n’est pas une révolution, mais une évolution ! ».

Irréversible

La voiture autonome d’Audi, autorisée à circuler sur les routes publiques du Nevada à titre expérimental.
La voiture autonome d’Audi, autorisée à circuler sur les routes publiques du Nevada à titre expérimental. – La voiture autonome d’Audi, autorisée à circuler sur les routes publiques du Nevada à titre expérimental.

Pourtant, les tests de véhicules totalement autonomes battent leur plein. Dans le sillage de Google, qui a bénéficié d’autorisations spéciales en Californie, dans le Nevada en Floride pour ses Google Cars, Audi est devenu en janvier 2013 le premier constructeur à obtenir une autorisation pour faire circuler son prototype de véhicule autonome sur les routes publiques du Nevada. Volvo vient de tester près de Barcelone un système de « train routier », constitué d’une file de véhicules suivant un chauffeur professionnel, situé en tête de file, sans intervention humaine. La stratégie commerciale de Google reste un mystère : le géant de Mountain View usera-t-il de sa titanesque force de frappe financière pour racheter un constructeur et s’approprier son savoir-faire et sa capacité de production ? Optera-t-il au contraire pour une stratégie semblable à celle du système Android, fournissant aux constructeurs une solution logicielle très performante, et s’imposant ainsi rapidement comme le cerveau des automobiles nouvelle génération, gardien de leur écosystème logiciel et grand manitou du big data automobile ?

Le train routier de Volvo, basé sur le système SARTRE (Safe Road Trains for the Environment), constitué de plusieurs S60 derrière un poids lourd qui donne la cadence.
Le train routier de Volvo, basé sur le système SARTRE (Safe Road Trains for the Environment), constitué de plusieurs S60 derrière un poids lourd qui donne la cadence. – Le train routier de Volvo, basé sur le système SARTRE (Safe Road Trains for the Environment), constitué de plusieurs S60 derrière un poids lourd qui donne la cadence.

Assurance : qui sera responsable ?

Sur le papier, la généralisation des véhicules autonomes semble poser des problèmes difficilement surmontables à brève échéance. La question de la responsabilité juridique (automobiliste ou constructeur ?) et du cadre réglementaire est centrale. Google saura sans nul doute employer à bon escient ses énormes ressources en matière de lobbying. La réaction des assureurs face à une rupture aussi radicale sera déterminante. Tenteront-ils d’entraver l’adoption des véhicules autonomes en refusant de les prendre en charge, laissant ainsi la voie libre à de nouveaux acteurs ? Sauront-ils s’adapter et fournir des offres adaptées ? De nombreux experts et prospectivistes, comme Chunka Mui, s’accordent à penser que les bénéfices des véhicules autonomes en termes de réduction spectaculaire du nombre et de la gravité des accidents, de la congestion routière, etc., finiront par l’emporter sur toutes les autres considérations. Google, voire les constructeurs, pourraient assumer pleinement leurs nouvelles responsabilités et assurer eux-mêmes les véhicules équipés de leurs systèmes, écartant ainsi les acteurs traditionnels de l’assurance auto. Les nouvelles générations d’automobilistes, plus familières des nouvelles technologies, pourraient accepter plus facilement que leurs aïeuls de déléguer la conduite à un pilote robotique « infaillible », quitte à aller sur un circuit pour s’éclater.

S’adapter ou disparaître ?

Une Toyota Prius spécialement équipée par Google, qui a déjà été « conduite » par un aveugle.
Une Toyota Prius spécialement équipée par Google, qui a déjà été « conduite » par un aveugle. – Une Toyota Prius spécialement équipée par Google, qui a déjà été « conduite » par un aveugle.

Quoiqu’il en soit, l’irruption prochaine des véhicules autonomes déclenchera probablement un processus de « destruction créatrice » sous forme de réaction en chaîne. Selon Sebastien Thrun, le directeur du projet Google Car, cette technologie a le potentiel de réduire le nombre d’accidents, le temps et l’énergie gaspillés pour les déplacements quotidiens, mais également le nombre total de voitures, de 90%. Les assureurs, les services juridiques et hospitaliers, l’industrie pétrolière, les sociétés de voirie, les fabricants de pièces auto, etc. seront lourdement impactés. À terme, des millions d’emplois, des chauffeurs de taxis aux routiers en passant par de nombreux emplois induits, disparaîtront. Un florilège de nouvelles opportunités se présentera. Par le biais de son fonds d’investissement Google Ventures, Google vient de se positionner sur un marché d’avenir en injectant plus de 250 millions de dollars, son plus gros investissement à ce jour dans Uber, une start-up partie à l’asssaut du marché des taxis en proposant des chauffeurs privés avec réservation via une application sur smartphone, qui envisage de proposer dans l’avenir un système d’autopartage next-gen basé sur une flotte de véhicules autonomes. Ce développement a inspiré la publication d’un article d’anticipation par le site TechCrunch, annonçant le déploiement d’une flotte de « robo cars ». Partant du principe qu’une voiture particulière reste inusitée plus de 90% du temps, ce type de service pourrait atteindre des taux d’efficience extrême et fournir une solution très économique et pratique en milieu urbain.De nouveaux marchés pour les applications de divertissement et de productivité tireront parti de l’attention libérée des automobilistes. Le design automobile pourra se faire moins fonctionnel et plus esthétique. Verra-t-on émerger des courses automobiles entre véhicules autonomes, dont les héros ne seraient plus les pilotes, mais les ingénieurs et les programmeurs des constructeurs et des écuries ? Réponse d’ici à 2020, et au-delà…

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Nathan Sommelier