Après le commerce, c’est au tour de la formation d’être électronique. Une offre internet qui arrive en force en France, légitimée par son inévitable batterie d’études et analyses prospectives, justifiant un décollage immédiat du marché. Ainsi, selon IDC, le marché européen des services de formation en ligne devrait générer un chiffre d’affaires de 175 millions d’euros dès cette année.En France ?” toujours d’après le cabinet de conseil ?”, la formation en ligne devrait capter 12 % des dépenses de formation en 2002, contre 2 % en 1998 ?” soit 200 millions de francs. Dernier argument massue, une prophétie de John Chambers, PDG de Cisco Systems. Selon lui, l’éducation deviendra la prochaine ” killer application ” d’internet. Tout un programme. La réalité est autre : aujourd’hui, faire de la formation en ligne reste une gageure. Fournisseurs, utilisateurs, entreprises, producteurs de programmes ou formateurs, tous se heurtent à des difficultés.
Une offre pléthorique de produits et de services
Du côté des produits et des services, c’est un véritable déluge. Parmi les derniers événements, l’arrivée massive de fournisseurs américains tels Saba, Docent, Intellinex, filiale d’e-formation d’Ernst & Young, l’implantation européenne de Centra Software, le partenariat Studi.com et NetG pour de la formation informatique en ligne, ou la création du site Onlineformapro.com. Même des SSII ?” Univers Informatique, par exemple ?” proposent des systèmes d’e-learning. Enfin, le centre de formation de la Cegos vient d’ouvrir son portail de formation en ligne. Le marché, lui, n’est pas encore au rendez-vous.Car, du côté des utilisateurs ou des formateurs, la prudence reste de mise : pas question de faire du tout-en-ligne, assène-t-on dans les entreprises. “Dans un premier temps, explique Séverine Lacan, président de l’organisme de formation continue Activ’Partners, tout le monde s’est précipité sur la technologie : ” Faisons une plate-forme de téléformation “. Puis il a fallu faire marche arrière : ” Tout est dans la pédagogie “. Or, il n’en est rien. Il faut penser en termes de nouveaux vecteurs de formation, dont internet.” Le plus important est alors dans la façon de s’organiser.Premier problème : “Si la téléformation se déroule en espace ouvert, au vu et au su de tout le monde, dans un environnement de nuisances sonores et sans rupture avec le travail, cela ne marche pas”, relève Séverine Lacan. La solution ? Dédier du temps spécifique à la formation en ligne, de manière qu’elle n’interfère pas avec le travail. Une session interrompue toutes les trente secondes, ce n’est plus de la formation. Et comme il n’est pas possible techniquement de s’interrompre sans repartir de zéro, l’apprenant sera démotivé. La motivation est en effet un point délicat.Et c’est le second problème. Que la formation se fasse en ligne ne change rien : elle reste une contrainte. “Il faut complètement abandonner l’idée de l’autoformation. L’individu n’y va pas tout seul, on doit le faire entrer dans la formation”, évalue Charles Desseaume, directeur de la formation chez Giat Industries, où un projet a démarré en octobre 1999. Dans ces conditions, la simple formule du tutorat à distance peut s’avérer insuffisante, comme le montrent les ratés, dans sa première phase, de l’expérience de la Fédération française du bâtiment (FFB). Concernant un syndicat professionnel, ce projet présentait le handicap de s’adresser à de simples adhérents, c’est-à-dire à un public non captif.Au-delà de la pédagogie, il aurait fallu relancer les apprenants, les appeler, communiquer sur le projet. Ils ne se sont, par exemple, jamais connectés entre eux, ce qui était pourtant prévu. Ils n’ont pas compris que les tuteurs ne soient pas joignables dans l’instant même, et qu’ils ne répondent que le soir ou le lendemain. En fait, il aurait fallu mettre en place un support téléphonique dédié à ces tâches.
Une maîtrise des apprenants
Car, pour certains élèves, si la moindre question ne trouve pas sa réponse sur la plate-forme, c’est l’abandon. Les formateurs doivent, dès lors, tout envisager. D’où une connaissance et une maîtrise non pas fines, mais exhaustives des apprenants. “Des portails avouent des taux d’échec de 50 à 70 %”, renchérit Gilles Freyssinet, directeur du Préau, cellule de veille sur les nouvelles technologies appliquées à l’éducation.A côté du tuteur, des animateurs chargés de l’interface technique ou de la gestion des forums peuvent s’avérer nécessaires. Côté formateurs, donc, la tâche est complexe. Si une plate-forme renseigne sur l’heure et sur la durée de connexion des participants, elle ne peut dire combien de temps ces derniers sont restés devant leur écran et quelles pages ils ont lues. Même une SSII comme Sema doit composer avec cette incertitude : “Nous sommes partis du postulat que nos collaborateurs étaient acquis au NTIC, et que l’intérêt du projet n’était pas à démontrer, admet Philippe Bloquet, directeur de la formation. Mais ils ne vont pas se ruer dessus.”Quant à la création des cours, elle doit être entièrement repensée. “La rédaction est à revoir. Ne serait-ce qu’à cause de la taille de l’écran, explique Gilles Freyssinet. Et la modularité est essentielle. Il faut fractionner, limiter les textes, et savoir où insérer de l’interactivité.” A la pédagogie s’ajoutent alors, en vrac, des compétences de scénarisation, de graphisme, d’administration de plate-forme, d’ergonomie, et d’animation de chat et de forum. Pas évident. Pour réaliser son cycle, Giat Industries a tout simplement prospecté des ressources internes.
La formation des formateurs
A côté des responsables pédagogiques, cette entreprise a créé une équipe composée d’un informaticien, d’un pilote de projet, d’un ouvrier et d’un logisticien compétent en graphisme et scénarisation. “Ces quatre personnes ont suivi une formation lourde de six mois, avec projet et mémoire à la clef”, ajoute Charles Desseaume. Car si la collaboration avec des techniciens s’impose, la formation de formateurs en ligne aussi. Reste que la formation en ligne ouvre des horizons. D’après Séverine Lacan, “la plupart des formateurs d’entreprise se voient comme des machines à répéter”. D’où une certaine frustration.En revanche, la formation en ligne donne un élan nouveau : plus ciblée, plus pertinente, elle relance l’intérêt des salariés. Le travail en réseau donne l’occasion de recourir à des experts difficilement accessibles autrement. Les formateurs renforcent ainsi leur implication dans l’entreprise et dans son organisation. Et, au-delà, ils se retrouvent avec toutes les cartes en main pour devenir les acteurs centraux d’une gestion des connaissances, dont la formation en ligne est souvent la première étape.
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