Depuis 1996, la Direction des constructions navales (DCN), à Lorient, est passée de la conception “artisanale” de navires militaires à ce qui se fait de plus moderne : leur maquettage numérique. L’opération a été longue et laborieuse, mais elle l’a placée dans le peloton de tête des différents chantiers mondiaux (selon un comparatif américain récent). Sans oublier l’indiscutable image de modernité qu’elle donne désormais à ses clients. Avant 1996, la DCN s’appuyait encore sur des maquettes en bois. En 1999, elle devient la première entité européenne à vendre des frégates sur maquette numérique, réalisée avec l’outil de CAO 3D Cadds et la gestion collaborative de données techniques Optegra de PTC. C’est en effet sur écran que l’Arabie Saoudite a commandé trois modèles Sawari II.Pour ce navire, la DCN a donc généralisé l’emploi de la CAO. Et ce en parallèle avec la normalisation ISO 9001 du processus de conception. Il lui a fallu définir exactement qui devait fournir quelle information, à qui, et dans quel format. “La CAO est très structurante, confirme Vincent Martinot-Lagarde, directeur du projet Sawari II. Quand je suis arrivé, en 1996, il n’existait même pas de définition de ce qu’était un navire. A l’opposé, en passant à la maquette numérique, nous avons été contraints à une formalisation très complexe, mais qui donne un résultat beaucoup plus fiable. Par exemple, pour router un câble, si l’on n’entre pas dans le logiciel les éléments correspondants, on ne peut rien faire.” Trois étapes sur cinq utilisent aujourd’hui la CAO : les études de matériel, d’intégration et de structure.
200 000 objets élémentaires en bibliothèque
“Notre philosophie est de concevoir des produits génériques modulaires, mais adaptables aux besoins des clients, continue Vincent Martinot-Lagarde. Ils choisissent une panoplie d’éléments, puis nous personnalisons.” Pour ce faire, l’entreprise a créé une bibliothèque CAO de composants standards, qui s’est révélée l’un des travaux les plus lourds du projet. Les deux cent mille objets géométriques élémentaires et les trois cents à quatre cents types d’équipements standards n’existaient pas sous forme électronique. Tous ont donc dû être saisis manuellement. Pour des raisons aussi bien économiques que techniques, l’un des prochains objectifs de la DCN sera, d’ailleurs, de réduire le nombre de ces objets.Avec les progiciels de PTC, l’enveloppe du navire est désormais conçue de façon itérative. Une fois la carène définie, elle est récupérée dans Cadds, où l’on intègre les éléments de structure et le système de raidissage venant de la bibliothèque. Les détails de liaison sont ensuite intégrés aux informations concernant, par exemple, les efforts localisés qu’ils doivent subir. Les données d’entrée de production sont constituées du modèle global 3D, mais aussi d’une base pour la liste des matériaux, de plans de fabrication (des fichiers Iges, format neutre d’échange de modèles de CAO), de données d’entrée pour le logiciel d’optimisation de la découpe, et de plans de montage pour l’aide à l’assemblage des pièces.Pour la fabrication, les pièces de base sont extraites du modèle 3D, et, pour chacune d’elles, un plan élémentaire au format Iges est transmis au logiciel d’optimisation de la découpe et à la machine de découpe à plasma. Les monteurs eux-mêmes peuvent consulter le modèle via des consoles installées sur les chantiers. Les perturbations magnétiques interdisent néanmoins un accès depuis des stations sur les navires.
Les progiciels manquaient de maturité
Enfin, l’outil de gestion des données techniques Optegra permet, lui, une vision globale et partagée du projet à un moment donné. Chacun visualise l’arborescence de l’ensemble sous sa forme générale ou partielle, ou accède à certaines des fiches afin de connaître la description et l’état de chaque élément. Les sous-traitants disposent, eux aussi, d’accès sécurisés par ligne spécialisée à cet environnement.Il a tout de même fallu un cycle complet de production ?” de 1996 à 2002 ?” pour que le personnel soit efficace avec les nouveaux outils. “Sans oublier qu’il ne doit pas y avoir plus de deux cents personnes en France qui connaissent bien Cadds si jamais nous avions besoin de renfort “, s’inquiète Vincent Martinot-Lagard.La DCN insiste aussi sur sur l’insuffisance de maturité des progiciels à laquelle elle a été confrontée, le déboguage intervenant au fur et à mesure de l’avancement du projet. “Cadds n’est pas un produit sur étagère prêt à l’emploi “, ironise le chef du projet Sawari.La DCN dispose cependant aujourd’hui d’un environnement de conception de tout dernier cri. Par rapport à l’ancienne méthode, qui, en général, consistait à construire deux prototypes en dur, les gains sur les budgets atteignent de 15 à 20 % dès le premier prototype. On espère pouvoir encore réduire les coûts grâce à l’utilisation de la CAO, et même grâce à la réalité virtuelle ; et, pourquoi pas plus tard, grâce à la gestion des connaissances.
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