“Je suis une femme de réseaux.” À 61 ans, Cécile Alvergnat n’a peur ni des mots ni des institutions. Depuis vingt ans, cette pionnière du Minitel a tissé avec ses amis de la télématique une toile d’influence qui “tient” l’internet français. Ses amis ? Ce sont Henri de Maublanc, président d’ Aquarelle. com, Louis Roncin, PDG de Direct Finance, Philippe Lemoine, coprésident des Galeries Lafayette, ou Bernard Siouffi, le lobbyiste de la VPC.
L’oreille de Matignon
Cécile Alvergnat appartient à cette coterie d’une vingtaine de personnes, née avec le Kiosque en 1984, soudée dans le commerce à distance et les premiers centres serveurs, et dont l’expérience est aujourd’hui très écoutée par Jean-Noël Tronc, le conseiller pour la société de l’information du Premier ministre.En 1999, elle est nommée membre de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) par le gouvernement Jospin et rejoint le collège des 17 commissaires qui, rue Saint-Guillaume, à Paris, veillent au respect des libertés individuelles sur le réseau français. Cécile Alvergnat l’avoue volontiers : “Je ne suis ni sage, ni juriste.” Si elle a accepté, c’est, précise-t-elle, pour l’article premier de la loi informatique et liberté : “L’informatique doit être au service de chaque citoyen. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques.”Cécile Alvergnat est émue : elle se souvient de ses engagements d’hier. “Oui, avec la Cnil, je reviens à ce que j’aime, aux valeurs qui me motivent.” Cette fille de résistant lyonnais milite depuis l’âge de quinze ans : anticolonialisme, réforme pédagogique et scolaire post-68, défense des consommateurs, libération de la femme… Mais sa position “presque sage” au sommet de la régulation de l’internet français, elle l’a gagnée dans une seconde vie. Après l’engagement à gauche, une carrière de journaliste dans la littérature jeunesse, Cécile Alvergnat devient femme d’affaires. “Elle est une des personnes qui connaît le mieux les systèmes de tarifications Kiosque, inventés par France Telecom pour le Minitel, et qu’on redécouvre aujourd’hui avec les services de l’internet mobile “, note Henri de Maublanc.En 1983, après un passage à la Caisse des dépôts et consignations, Cécile Alvergnat découvre le net au MIT (Massachusetts Institute of Technology, aux États-Unis), et le Minitel à Vélizy. Venue du contenu, dans le giron des éditeurs de presse qui lancent alors leurs messageries, les 36 15 Aline ou 36 15 Ludo, Cécile Alvergnat fonde Crac, un des premiers éditeurs télématiques. On est en 1983. Son succès : les services d’aide aux devoirs et les corrigés du bac, devenus depuis Eductique, dirigé par son fils Loïc Jauson. Autre coup de génie : “Les Jardins du Minitel”, un restaurant de Montparnasse, ancêtre des cybercafés, qu’elle a créé en 1987. Et, bien sûr les messageries.La commissaire de la Cnil, sosie de Mireille Darc, joue ici la pudique. Mais, Cécile Alvergnat, comme toute l’avant-garde de l’internet français, a joyeusement surfé sur la vague des messageries roses. “Nous n’avions que 5 millions d’abonnés au Minitel : le charme était l’un des seuls services vraiment rémunérateurs, le seul dénominateur commun des minitélistes”, commente un membre plus loquace, mais plus discret, de la tribu. Une bonne affaire qu’elle revendra à Havas en 1988.
Le passage au net
Car, Cécile Alvergnat est fatiguée de gérer. Pour elle, le Minitel est devenu une rente de situation, nourri par le Kiosque et à l’abri du monopole de France Telecom. “Elle a fait très tôt le choix du net. Un choix courageux, car à l’époque, il y avait en France un dogme officiel du Minitel, véritable terreur entretenue par les gouvernements en place qui sanctionnaient tout déviationnisme outre-Atlantique”, se souvient Jean-Michel Yolin, président de la section innovation et entreprise au ministère des Finances.En transition, Cécile Alvergnat rejoint la SSII Atos. “Le parti de l’innovation est venu des centres serveurs, contre les inféodés au système du Kiosque”, explique Henri de Maublanc, qui, en 1994, a revendu à Atos sa société Politel. Désormais, Cécile Alvergnat s’est délestée de toutes ses charges (elle était par ailleurs directrice générale de l’Échangeur, le centre de colloques sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication) pour être une commissaire intègre. Cette Marianne des réseaux se sent libre. Pour militer ? Aujourd’hui, elle compte faire passer ses idées en s’appuyant sur l’institution. Objectif : redonner le pouvoir aux citoyens avec internet. Non sans autorité.
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