Les marchés n’évoluent généralement bien que sous un régime de concurrence. Internet affecte très certainement celle-ci, mais dans des sens contradictoires. À première vue, internet renforce la concurrence au c?”ur de l’économie traditionnelle. De nombreux acteurs, qui jusqu’alors s’ignoraient, offrent et demandent, grâce au net, des produits similaires, et ajustent leurs positions. Internet facilite l’accès au marché, l’apparition de nouveaux débouchés et de nouveaux spécialistes, les ” infomédiaires “.La multiplication des acteurs potentiels, des informations sur les prix et la description des produits, agit dans le même sens. Les grandes entreprises bureaucratiques profitent de la baisse des coûts de transaction pour s’alléger et se concentrer sur leurs métiers de base. La mise en relation instantanée des acheteurs et des vendeurs accélère les décisions des concurrents, et accorde mieux les prix aux circonstances du moment. D’autre part, une concurrence acharnée accomplit normalement son ?”uvre dans les secteurs TMT. La surcote des petites entreprises high-tech se résorbe, cependant que les clients avertis font le tri entre bonnes et fausses options technologiques, entre vendeurs compétents et amateurs. L’enchevêtrement de réseaux sur la toile engendre de nouvelles formes de relations interentreprises, entre les groupes intégrés et les constellations de firmes unies par les liens versatiles du marché. Ainsi, les quelque 7 000 places de marché existantes procèdent souvent de l’initiative collective de concurrents désireux de rationaliser leurs achats en les regroupant. Certains acteurs rassemblent sur un site des offres de produits fabriqués par d’autres. Les alliances (temporaires) et les réseaux d’entreprises habitués à travailler de concert sur des produits connexes sont également favorisés.
Captivité et exclusion
Ce regain de dynamisme stimule l’innovation et l’emploi. Mais les nouveaux pouvoirs de marché inspireront des abus. Les causes de rendements croissants (échelle de production, taille des réseaux, expérience des usagers) avantagent le pionnier qui a réussi sa percée. Mais l’évolution des marchés rend cet avantage plus éphémère qu’on le croit. La différenciation des produits satisfait le désir de variété des clients, mais jusqu’à un certain point ; au-delà, le client captif subira des tarifs exorbitants en comparaison du service fourni. Une information quasi gratuite incitera à la collusion. Le monde d’internet n’est pas sans ” coutures “.
Deux types de restrictions, potentiellement génératrices d’exclusions, sont à surveiller. D’une part, le réseau comporte ses propres goulets d’étranglement : système d’adressage géré par l’Icann, organes de gestion des normes techniques (IETF, W3C), débit des réseaux. Les activités qui se déploient sur internet laissent planer un certain flou sur la distribution et la consistance des droits de propriété intellectuelle. D’autre part, internet fournit des informations profitables à la collectivité. Ceci laisse craindre que les capitaux privés s’investiront trop peu dans les réseaux. Il pourrait en résulter des pratiques d’exclusion et des stratégies de préemption que les techniques facilitent (tri, cryptage, etc.). Des normes d’interfaces privatisables avec rendements peuvent mener à des pratiques anticoncurrentielles, d’autant que le concept de marché pertinent s’avère difficile à définir. Le bon fonctionnement d’internet demande que le système des droits de propriété soit clarifié et que les États s’accordent sur ce point.
*Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Directeur du centre détudes et de recherches sur la dynamique des organisations.
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