Au détour d’un virage, les deux cheminées crayeuses de la centrale nucléaire de Chooz, cachée dans les Ardennes, à quelques kilomètres de la frontière belge, se détachent sur les collines boisées environnantes. La fumée qui s’en échappe ? des gouttelettes d’eau en suspension ? monte doucement. Elle semble alimenter la couche de nuages grisonnants. En contrebas, la Meuse serpente paresseusement. Un de ses méandres enserre la centrale, rappelant combien l’eau est vitale à son bon fonctionnement.La centrale de Chooz, avec celle de Civaux située dans la Vienne, est la plus récente du parc nucléaire français. Mise en service en 1996, c’est aussi la première à être pourvue d’une salle de commandes entièrement informatisée. Le but est de réduire au maximum les erreurs humaines : les ordinateurs accompagnent, dans chacune de leur décision, les opérateurs qui pilotent la centrale. Afin d’éviter tout rejet radioactif, le modèle “ à la française ” comprend trois circuits d’eau distincts dont la pression, la température et le débit sont contrôlés en permanence. Le premier alimente la piscine dans laquelle est plongé le combustible radioactif. La réaction nucléaire dégage de la chaleur que l’eau emmagasine, transporte et transmet au deuxième circuit d’eau grâce à un échangeur thermique.
Pas moins de 12 000 capteurs…
La chaleur est alors utilisée pour produire la vapeur à haute pression qui va faire tourner à grande vitesse la turbine, créatrice d’électricité. Le troisième circuit d’eau, directement puisée dans la rivière voisine, assure le refroidissement de la vapeur en pompant sa chaleur par le biais d’un condenseur. C’est cette chaleur qui est évacuée dans la cheminée sous la forme d’un nuage. Pour assurer la sûreté des installations, quelque 12 000 capteurs envoient en continu leurs mesures à des armoires de mini-ordinateurs qui les traitent, les analysent, les recoupent avant de les transférer aux ordinateurs de la salle de pilotage. Selon leur implication dans la sûreté du site, les matériels, les réseaux de communication informatiques, les alimentations électriques sont doublés, triplés, voire quadruplés. Autre sécurité, lors de la maintenance, pour une même opération, ce sont des équipes distinctes qui interviennent sur les deux réacteurs de la centrale, afin d’éviter toute reproduction en série d’une erreur humaine.Dans ces conditions, quel est l’accident le plus fréquent sur le site? “ Les chutes de plain-pied ”, assure Pierre Vérot, directeur de la communication. A tel point que des panneaux rythment les marches des escaliers : “ Merci de tenir la rampe ”.
La dernière-née des centrales françaises
Sise dans les Ardennes, la centrale de Chooz est la dernière construite en France, avec sa jumelle située à Civaux, dans la Vienne. Elle possède deux réacteurs nucléaires, mis en service en 1996 et 1997. Lesquels sont capables de produire une puissance électrique de 1 500 mégawatts (MW) chacun. Sur une année, l’installation complète génère plus de deux fois la consommation électrique de la région Champagne-Ardenne. Les deux réacteurs sont totalement indépendants l’un de l’autre : ils possèdent chacun les bâtiments et les équipements nécessaires à leur fonctionnement, ce qui définit deux “ tranches ” nucléaires.Particularité des centrales de Chooz et de Civaux, leurs salles de commandes, l’endroit d’où est pilotée chaque tranche, sont entièrement informatisées.Les opérateurs qui veillent sur le bon fonctionnement y sont au moins deux en permanence. Plusieurs ordinateurs les assistent dans leurs décisions et compilent les milliers d’informations qui arrivent en continu. La salle de commandes est un endroit stratégique. Toute entrée à l’intérieur est soumise à la permission de l’opérateur en chef. A tout moment, il peut en interdire l’accès sans besoin de se justifier. “ Le week-end, 70 personnes sur le site suffisent à assurer le fonctionnement de la centrale ”, confie Pierre Vérot, directeur de la communication.
Copie conforme
La centrale accueille un simulateur, exacte réplique des salles de commande, servant à entraîner les opérateurs. “ Nous pouvons reproduire 10 900 pannes, avec quatre à six niveaux de sous-pannes ”, s’enthousiasme Stephan Squillaci, responsable du centre de formation. Outre les pannes les plus courantes (démarrage intempestif d’une pompe, réchauffement d’un circuit d’eau…), il est possible de simuler des interventions humaines (l’ouverture d’un robinet ou le test d’une lampe).
Résumé visuel
Un imposant écran, parcouru de tracés colorés et lumineux, couvre le fond de la salle de commandes. C’est un résumé visuel des données qui parviennent jusqu’ici. “ En un coup d’œil, on a le maximum d’informations ”, confirme Nicolas Toussaint, opérateur et formateur. On distingue ici le réacteur entouré de ses quatre générateurs de vapeur. Les opérateurs disposent sur leur moniteur des mêmes informations, en plus détaillé. Un écran tactile et une boule roulante (trackball) leur permettent de commander facilement les équipements de la centrale. A chaque étape, l’ordinateur les guide, affichant pas à pas les procédures, régulièrement mises à jour.
Et que ça turbine !
Pour des raisons de sécurité, impossible de visiter le bâtiment qui abrite le réacteur nucléaire. Direction donc la salle des machines, assourdissante. L’énergie produite par le réacteur nucléaire, convertie en vapeur d’eau à haute pression, alimente une immense turbine (à gauche sur la photo) d’où jaillit un écheveau de tuyauteries. La turbine est reliée à un alternateur. En tournant, elle fabrique de l’électricité. Le modèle Arabelle des centrales de Chooz et de Civaux est l’un des plus performants au monde.
Câbles optiques et coaxiaux cohabitent
Les matériels de la centrale sont répartis en deux catégories : les “ importants pour la sûreté ” (IPS), et les “ qualités surveillées ” (QS). Les IPS font l’objet de toutes les attentions : les équipements concernés sont doublés, triplés, voire quadruplés afin de prévenir tout défaut. Il en est de même pour le cheminement sur les réseaux informatiques. Les IPS sont reliés par des câbles optiques afin que leurs données ne subissent aucune interférence électrique extérieure. Les QS se contentent de câbles coaxiaux. A Chooz, on ne compte pas moins de cinq sources électriques indépendantes pour éviter toute coupure.
Mesure de la radioactivité
Autour des 19 centrales françaises, deux réseaux de balises automatiques mesurent la radioactivité de l’air, avec une périodicité d’autant plus élevée que les balises sont proches. Le premier appartient à EDF. Il comporte 28 balises, réparties entre 1 à 10 km autour de la centrale. Elles communiquent leurs mesures par voie hertzienne. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire possède son propre réseau, situé dans une zone de 10 à 30 km. Il est en cours de redéploiement afin de couvrir le territoire français de près de 500 balises. Celles-ci transmettent leurs relevés par un réseau Ethernet, qui sont disponibles sur le site Mesure-radioactivite.fr
Commandes automatiques
Les ordres que les opérateurs envoient de la salle de commandes parviennent jusqu’aux armoires d’automatismes. Elles contiennent des cartes numériques (de mini-ordinateurs) aux rôles bien précis. Elles exécutent les ordres des opérateurs, analysent les informations reçues des capteurs disséminés dans la centrale, les présentent aux opérateurs, éventuellement alertent ces derniers. Des réseaux Ethernet très haut débit assurent les communications. En fonction de leur importance pour la sécurité, les cartes sont plus ou moins redondantes. Les voyants lumineux permettent de vérifier que tout fonctionne correctement.
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