En 1997, un an avant la libéralisation complète du marché des télécommunications, un nouvel opérateur avait lancé le slogan “Avec nous, vous n’êtes plus un numéro“. À la demande de France Telecom, il a été condamné à 1 franc de dommages et intérêts devant la cour d’appel de Douai, pour avoir fait usage d’un slogan considéré comme constitutif d’actes de concurrence déloyale. Pourtant, avec le recul, cet opérateur semblerait bien ne pas avoir été seulement un pionnier dans ses méthodes, mais également un visionnaire.En mai dernier, l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) lançait une consultation publique sur les principes et les conditions de mise en ?”uvre du protocole ” Enum ” en France. Ce protocole consiste à créer des noms de domaines internet à partir de numéros de téléphone et à les associer à des services de communication spécifiques.L’introduction d’un tel protocole constitue l’élément clé de la convergence entre les réseaux conventionnels et internet, entre l’ancien et le nouveau. D’un point de vue réglementaire, en dehors des questions institutionnelles (rôle respectif des organisations internationales et nationales, IUT/Icann, ART/Afnic), cette introduction a deux conséquences majeures.La première porte sur le régime de la téléphonie sur internet et la seconde sur les modalités d’application des obligations réglementaires existantes. Concernant la première, on se limitera à rappeler que l’introduction de ce protocole et de l’IP v6 (nouvelle version du protocole qui régit les transmissions sur internet, autorisant notamment une diffusion en temps réel) permettra définitivement de considérer la téléphonie sur le net comme équivalente à la téléphonie sur les réseaux conventionnels.
Obligations réglementaires pour tous
En effet, conformément aux critères énoncés dans la directive téléphonie vocale, et interprétée par la Commission européenne dans deux communications publiées respectivement en 1998 et 2000, la voix sur le réseau des réseaux est en passe de devenir un service commercial, fourni en temps réel au public.De plus, ce protocole rend obsolète les tentatives de catégorisation de la commission qui cherchait à distinguer, selon que le service était rendu entre deux ordinateurs, un ordinateur et un poste téléphonique ou deux postes téléphoniques. La seconde conséquence consiste dans la multiplication des acteurs susceptibles d’être sujet des obligations réglementaires existantes.En effet, la création de tel nom de domaine a pour conséquence que tout fournisseur de services de télécommunications, autorisé ou non, est susceptible de faire usage de celui-ci et, surtout, qu’un même client ait plusieurs fournisseurs de services (par exemple un fournisseur du service téléphonique voix conventionnelle et un fournisseur d’accès à internet). De ce fait, les obligations réglementaires attachées aux attributaires des numéros de téléphone, que sont aujourd’hui les opérateurs historiques et fournisseurs autorisés, devraient être supportées par tout intervenant sur le marché.On le voit, le régime conçu à la fin des années 1980 est en train de se fissurer. Les catégories créées perdent leur sens au fur et à mesure des évolutions technologiques. En 1997, nous étions tous des numéros, et ceux qui osaient dire le contraire étaient condamné. “E pure si muove” [et pourtant la terre tourne, ndlr], disait Galilée.
*avocat, Coudert Frères
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.