Quand Steve Wozniak, Woz pour les intimes, dit ce qu’il pense, il ne le fait jamais à moitié. En témoigne la tribune publiée en 2010 dans la revue The Atlantic, dans laquelle le cofondateur d’Apple donnait son point de vue sur la neutralité du net, en mettant en perspective sa propre histoire de hacker de génie. Cette tribune, qui n’a pas pris une ride, ne ressort pas du placard par hasard.
Visionnaire, le concepteur de l’Apple II, « l’ordinateur le plus important de l’histoire » selon Steven Levy, y exprimait déjà avec vigueur ses craintes quant au cadre réglementaire que voulait à l’époque imposer la FCC –le gendarme des télécoms US- aux fournisseurs d’accès. Cadre qui risque, quatre ans plus tard, d’être imposé et d’instaurer des services différenciés et un accès privilégié à certains sites Web : ceux qui paient.
« Quand on me demande mon avis sur la neutralité du net, je dis la pure vérité. La première fois qu’on m’a demandé de collaborer avec des gens passionnés par ce sujet, ma pensée initiale était que le système économique fonctionne mieux avec des prix différenciés pour des consommateurs différents. […] Mais ensuite, je me suis rappelé qu’à chaque fois que les opérateurs télécoms ont eu le pouvoir et le contrôle, nous, le peuple, nous sommes faits avoir » écrivait-il.
Avant de faire une analogie entre la situation actuelle et les débuts d’Apple. « Imaginez si nous avions organisé les choses de manière à faire payer les acheteurs de nos ordinateurs en fonction du nombre de bits qu’ils utilisaient. La révolution de l’ordinateur personnel aurait été retardée d’une décennie ou plus. Si j’avais eu à payer pour chaque bit que j’ai utilisé sur mon processeur 6502 –le fameux processeur de l’Apple I et II NDLR- je n’aurais pas été capable de fabriquer mes propres ordinateurs. »
Wozniak, un voisin sympa
Wozniak n’hésitait pas à revenir sur son histoire personnelle compliquée avec les fournisseurs de services télécoms pour appuyer son propos. Dans son texte, il évoque d’abord 1972, où il avait lancé un service de « blagues par téléphone » qu’il avait du vite arrêter, même si son numéro était devenu « la ligne la plus appelée du pays ». Pourquoi ? Parce qu’à l’époque des opérateurs uniques, il était interdit –comme en France- de disposer de son propre téléphone ou répondeur. Il fallait donc le louer à vil prix à l’opérateur, « ce qu’il ne pouvait se payer ».
Le génial inventeur explique par ailleurs qu’il n’a jamais eu une maison disposant de l’ADSL, y compris celle où il vit actuellement. « Je paie une ligne T1, qui coute bien plus cher que l’ADSL pour 1/10ème de la bande passante ». Avant de lancer une charge contre les opérateurs américains, qui ne sont ni dans l’obligation de fournir leurs clients avec l’ADSL, « ni obligation de fournir un service dans la zone géographique où ils sont pourtant en situation de monopole. »
Wozniak, fidèle à lui-même, a plusieurs fois tenté de résoudre le problème avec ses propres moyens. Il raconte comment, après s’être abonné « aux débuts de la télé satellite » à au moins trois bouquets différents pour recevoir les chaînes qu’il appréciait, il avait monté dans son garage un système capable de distribuer tous ces contenus depuis les boitiers des opérateurs sur toutes les télés de la maison. « J’avais littéralement ma propre entreprise de câble dans mon garage, que j’avais appelée Woz TV » raconte-t-il.
Un système qu’il a souhaité, en bon hacker, partager avec ses voisins : « je me suis dit qu’il serait assez facile d’envoyer mon signal à mes 60 voisins. J’ai appelé HBO pour leur demander combien ça me coûterait d’être sympa et de partager mes contenus avec mes voisins. La réponse a été claire : je ne pouvais pas faire ça dans mon coin. Pour le faire, je devais être une entreprise de câble, faire payer mes voisins et reverser un pourcentage de ce que je gagnais à HBO. J’ai instantanément réalisé qu’il était impossible de faire quelque chose de sympa dans son garage, et j’ai abandonné l’idée. »
La neutralité, un bien précieux à conserver
« L’Internet des débuts était […] libre et ouvert. […] Mais cette liberté est attaquée. S’il vous plait, je vous en supplie, ouvrez votre esprit au désir des gens de garder l’Internet aussi libre que possible » dit encore Woz. Avant de décrire son rêve : « Les FAI doivent fournir un accès à Internet, mais vous devriez ensuite pourvoir disposer du câble et choisir ce que vous voulez faire avec et comment vous voulez l’utiliser, du moment que vous ne le détruisez pas. »
« Je ne veux pas que le fournisseur de contenu qui a les meilleurs contacts au gouvernement ou qui paie le plus détermine ce que je peux regarder et à quel prix » résume Woz. Quatre ans plus tard, ce texte fort n’a pas pris une ride… mais n’a malheureusement pas eu beaucoup d’impact.
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