Tous les trois mois, lorsqu’il doit présenter les résultats financiers de sa société, Serge Tchuruk prend la parole… sur le web. Depuis la fin de l’année 1999, Alcatel a choisi le webcast comme l’un de ses principaux vecteurs de communication. D’abord en français, puis, une deuxième fois en anglais, le PDG s’exprime devant la caméra, et les analystes financiers ou les journalistes peuvent suivre en temps réel la retransmission. La formule semble plaire : pour la présentation des résultats de l’an 2000, plus d’un millier de connexions ont été enregistrées pendant le direct, dont 50 % en interne. Après la présentation, le film reste disponible sur le site d’Alcatel et recueille “plusieurs centaines de connexions pendant les deux premières semaines, et entre 2 000 et 3 000 connexions sur un mois“, selon Jean-Paul Chapon, responsable internet au sein de la direction de la communication de l’équipementier français.” La vidéo grand public sur le web, ça n’existe quasiment pas. Le business to business et la communication institutionnelle ou financière représentent le marché de demain“, explique Yves Héribert, PDG de Pointe Noire Production. Après des débuts dans la vidéo médicale, cet ancien patron d’Ubi Soft France a vite compris que le net constituait une manne pour les prestataires vidéo. Les acteurs étaient très peu nombreux sur le secteur. Aujourd’hui, sa start-up (terme qu’il rejette, puisqu’il s’est toujours autofinancé) emploie une quinzaine de salariés et a réalisé 1,5 million d’euros (10 millions de francs) de chiffre d’affaires en 2000. “De nombreuses sociétés croient encore que le “webcast” [diffusion sur internet, ndlr], ce sont de petites lucarnes et des films de très mauvaise qualité. Mais la technique a vraiment progressé et aujourd’hui, on peut obtenir du quasi plein écran et un rendu au-dessus de la moyenne “, poursuit-il.Au-delà de l’amélioration qualitative des vidéos, c’est l’interactivité qui a percé depuis l’année dernière. Et le mot à la mode, c’est le ” smile “. Ce processus permet d’intégrer des slide shows (sortes de diaporamas) au sein des vidéos. Au moment où un intervenant explique le pourquoi du comment de la progression du chiffre d’affaires de sa société, un graphique animé apparaît qui indique le volume de commandes reçues lors des trois derniers mois. En un clic, le web-spectateur peut se rendre sur un site, répondre à un quiz ou sauter ce passage. C’est notamment ce qu’a mis en place la société Pro Bourse pour la Commerz Bank.
Réaliser d’importantes économies
À l’origine, Pro Bourse était spécialisé dans la diffusion d’informations boursières. Il a décidé de se diriger vers le B to B récemment. L’une de ses premières réalisations : huit séquences détaillant le fonctionnement des warrants. Ces films, qui ont été revendus à la Commerz Bank, durent environ 5 minutes. Philippe Gradinac, qui a géré l’opération chez Pro Bourse ne sous-estime toutefois pas les difficultés techniques du genre : “ Il faut du temps pour réaliser ces séquences. Cela nous a pris plus de trois semaines. Il faut d’abord sélectionner les “slides” [diapositives, ndlr] qui accompagneront la vidéo puis, une fois la vidéo montée, prévoir quand chaque “slide” sera diffusé“.Pourtant, ce fastidieux travail peut permettre de réaliser d’importantes économies. “ Imaginez que vous soyez directeur commercial d’un grand labo pharmaceutique. En temps normal, vous faites monter tous vos commerciaux à Paris une fois par mois afin de leur présenter vos derniers produits, leur indiquer le discours à employer vis-à-vis des clients. Je vous laisse imaginer les coûts (voyages, location de salle, etc.) Grâce au “webcasting”, vous réalisez une vidéo avec des “slides” explicatifs. Vos délégués médicaux y accèdent quand et autant qu’ils le veulent. L’économie est énorme. “S’il ne communique pas sur ses chiffres, Jean-Paul Chapon avoue tout de même que le streaming est “largement concurrentiel d’une conférence de presse, vu le nombre de personnes touchées“. Du côté de Pro Bourse, on parle d’un peu plus de 15 000 euros tout compris pour les 8 séquences de 5 minutes vendues à la minute. Antoine Lejeune, directeur marketing de Perfect Technologies, précise toutefois que “ les coûts sont extrêmement variables. Couvrir un salon en “webcasting” coûte de 23 000 à 60 000 euros selon la durée. Pour une assemblée générale en direct, ça va de 10 000 à 12 000 euros, mais tout dépend de la qualité recherchée“. Fondé il y a une dizaine d’années, Perfect Technologies est passé au streaming il y a un an et demi et a réalisé en 2000, 13 % de son chiffre d’affaires (42,7 millions d’euros) grâce à cette activité. “Pour 2001, nous visions 30 % mais, depuis, nous avons ajusté ces prévisions à la baisse“, note Antoine Lejeune.La majorité des acteurs du secteur s’accordent toutefois sur le fait que la bonne image du webcast reposera essentiellement sur la qualité des images produites. “ La qualité se paye, souligne Antoine Lejeune. Il ne faut pas croire que l’on va aura des images de qualité avec des webcams ou des caméras numériques tenues au poing. ” Même son de cloche chez Yves Héribert, de Pointe Noire, qui considère les webcams uniquement comme un élément d’ambiance, qui peut donner de la vie à un film, mais qui ne doit en aucun cas en constituer la base. Alain Dejean, réalisateur indépendant, va dans le même sens que ses confrères. En octobre 2000, il a dirigé la retransmission sur le net de l’assemblée générale de la Croix Rouge. Et pour ce professionnel de l’image, ce qui compte surtout, c’est la préparation : “ Il faut faire des essais,pour voir comment fonctionne la chaîne. Tenir compte des intervenants, car s’ils ne sont pas vraiment concentrés, c’est la technique qui devra s’adapter. La partie technique est plus importante pour le web que dans la réalisation classique. C’est un vrai outil de travail. Il ne faut pas que les spectateurs aient le sentiment que nous nous sommes bien amusés après avoir regardé la retransmission. “
Faire appel à des acteurs
Chez Pro Bourse, Philippe Gradinac pense pouvoir faire appel à des acteurs pour remplacer les intervenants. “Si une société vient nous voir en nous demandant un film et que personne en interne n’a l’habitude de faire des présentations, tout le monde aura intérêt à préférer un acteur, dont le salaire est largement rentabilisé par le temps gagné à toutes les étapes de la chaîne. ” Jean-Paul Chapon insiste plutôt sur le calibrage l’opération. “Il faut mesurer les raisons pour lesquelles on monte l’opération de “streaming”, mesurer l’audience attendue et se demander à qui l’annoncer. ” Alcatel a choisi de limiter l’accès à ses retransmissions d’annonces financières. Quelques jours avant l’événement, les personnes dûment accréditées reçoivent une adresse sur le net qui, seule, permettra d’accéder aux films.Le dimensionnement, c’est un peu ce qui a manqué à la société de Bourse lorsqu’elle a réalisé ses films. L’objectif était de présenter en vidéo les recommandations des analystes, accompagnées de slide shows. Les analystes ont donc répété leur discours, qui a été transcrit et traduit. Mais c’est au montage que l’opération a été très fastidieuse. “ Il a fallu “time-coder” [repérer les séquences, ndlr] tous les enregistrements afin de décider de la position d’affichage de chaque “slide”. Il y a eu beaucoup de logistique pour notre équipe informatique. Des personnes ont travaillé de 8 heures à 22 heures“, explique Sandra Jardinet, responsable du projet web de la société de Bourse Exane. Au final, la préparation des vidéos a été plus longue que prévu, et elles ont été diffusées avec du retard. “Pour des prévisions d’analystes sur des valeurs, c’est embêtant “, concède-t-elle. L’opération ne sera peut-être pas renouvelée.Par rapport à l’attente de ses clients, la vidéo n’est peut-être pas le meilleur moyen de communication. “Nous n’avons que 85 clients qui se sont connectés en deux mois. En fait, c’est le temps de téléchargement qui les dérange. Peut-être qu’une formule en audio uniquement aurait mieux convenu“, concède Sandra Jardinet. Car, si la vidéo sur le web semble être l’un des moyens de communication des entreprises en réseau, “ il ne faut pas oublier que c’est un service et non un jeu “, répète Jean-Paul Chapon d’Alcatel. C’est d’ailleurs pour cela que sa société a choisi de maintenir les classiques conférences par téléphone. Les séances de questions-réponses sont beaucoup plus faciles à maîtriser en conference call… Selon ce qu’elles veulent faire passer, les entreprises ont donc le choix.
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