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Un employeur condamné pour usage mal encadré d’Internet

L’équipementier télécoms Lucent est jugé responsable des agissements litigieux de l’un de ses ex-salariés sur Internet.

L’histoire commence à dater, mais elle vient ranimer un débat latent, celui de la responsabilité des employeurs dans l’usage litigieux par leurs salariés des outils informatiques mis à leur disposition. L’équipementier télécoms Lucent a
ainsi été jugé en appel, le 13 mars dernier, responsable des agissements de l’un de ses anciens salariés contre la société Escota (un exploitant de réseaux autoroutiers).Cette dernière avait porté plainte, en 2000, contre le créateur d’un site Internet appelé ‘ Escroca ‘ qui la dénigrait et contrefaisait sa marque, sa devise et son logo, le créateur dudit site ayant agi depuis
son poste de travail. Parallèlement, Escota invoquait aussi la diffamation et l’injure.La société attaquait non seulement l’individu à l’origine de tout cela, mais aussi son employeur, Lucent Technologies, et l’hébergeur, Multimania à l’époque, devenu Lycos. A l’issue du premier jugement, en juin 2003, le tribunal de
grande instance de Marseille avait condamné l’employeur et l’employé pour contrefaçon, la diffamation ayant été reconnue par les juges, mais atteinte par la prescription.L’employé est alors condamné à un euro de dommages et intérêts. Et l’employeur, Lucent, est considéré responsable, mais sa condamnation se limite à 4 000 euros de frais de justice à verser à Escota et à la publication de
la décision dans deux quotidiens nationaux. Escota est déboutée de sa plainte contre l’hébergeur.Pour en arriver là, le tribunal s’appuie sur une note du directeur des ressources humaines de Lucent, qui autorise les salariés à aller sur Internet pour consulter d’autres sites que ceux qui pourraient être liés à leur activité
professionnelle. Seules restrictions formulées par l’équipementier : que ces usages personnels soient raisonnables, se déroulent en dehors des heures de travail et respectent ‘ les dispositions légales régissant ce type
de communication ‘.

‘ Ainsi, la libre consultation des sites Internet était autorisée et aucune interdiction spécifique n’était formulée quant à l’éventuelle réalisation de sites Internet ou à la
fourniture d’informations sur des pages personnelles ‘,
conclut le tribunal. L’équipementier fait appel.

Certains juristes sont perplexes

La décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme l’intégralité du jugement de première instance. Selon elle, non seulement il y a bien ‘ autorisation ‘ donnée aux employés de
Lucent d’utiliser Internet à d’autres fins que professionnelles, mais les activités litigieuses de l’employé, un technicien de tests, n’étaient finalement pas si ‘ étrangères à ses attributions ‘. La
raison ? L’usage d’un ordinateur et d’Internet était nécessaire à son activité de ‘ construction d’équipement et de systèmes de télécommunications ‘.Autrement dit, le simple fait de mettre à disposition, quasiment sans restrictions, un ordinateur connecté au réseau rend Lucent Technologies responsable du délit de son technicien. L’équipementier réfléchit actuellement à la
possibilité de porter l’affaire devant la Cour de cassation. Il a un mois pour se décider.En attendant, la décision de la cour d’appel laisse perplexe quelques juristes. Si elle fait jurisprudence, l’un d’eux craint qu’elle n’ait ‘ pour effet pervers d’inciter les entreprises à interdire
l’usage de l’Internet à leurs salariés pour toute activité non professionnelle, si elles ne veulent pas voir leur responsabilité engagée à ce titre ‘.
Pour Valérie Sédaillan, avocate au barreau de Paris, qui plaidait pour Multimania/Lycos au début de l’affaire, ‘ ce genre d’arrêt ressemble à un retour vers les premières chartes informatiques en
entreprise ‘.
Elle rappelle, par ailleurs, que la Cnil considère irréaliste, aujourd’hui, l’interdiction d’Internet sur le lieu de travail à des fins autres que professionnelles.Il y a quelque temps, le portail de veille juridique Juritic présentait son état des litiges liés aux nouvelles technologies. Ceux rangés sous la bannière ‘ Employeur, salarié et informatique ‘ ont augmenté de
175 % entre 2004 et 2005. Le genre de décision qui vient de tomber à Aix-en Provence pourrait aggraver les choses. Etant entendu qu’essayer de faire juger un employeur en même temps qu’un employé est un bon moyen pour le plaignant de trouver un
responsable qui soit solvable.

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Arnaud Devillard