Devant le Congrès, jeudi 24 septembre, l’ancien directeur de la monétisation chez Facebook, Tim Kendall, n’a pas mâché ses mots sur l’entreprise et ses coulisses. Celui qui était en charge de faire gagner de l’argent à Facebook a expliqué aux législateurs américains que la société s’est inspirée de la stratégie de l’industrie du tabac. « Nous avons pris une page de la stratégie de Big Tobacco et nous avons travailler à rendre notre offre aussi addictive. » Le but ? « Capter toute l’attention humainement possible […] dès le début. »
Le « j’aime » en lieu et place du menthol
Tim Kendall explique plus longuement son analogie avec l’industrie de tabac : « Au départ, les fabricants de tabac cherchaient simplement à rendre la nicotine plus puissante, mais finalement, ce n’était pas suffisant pour faire croître l’entreprise aussi rapidement qu’ils le voulaient. Ils ont donc ajouté du sucre et du menthol aux cigarettes pour que vous puissiez retenir la fumée dans vos poumons plus longtemps. Chez Facebook, nous avons ajouté des mises à jour sur le statut, l’étiquetage des photos et les mentions “J’aime”, ce qui a fait du statut et de la réputation une priorité et a jeté les bases d’une crise de santé mentale chez les adolescents. » En clair, tout a été étudié pour nous rendre complètement accro au réseau.
Toujours plus
Revenant au coeur du sujet de l’enquête – soit la prolifération des thèses extrémistes et complotistes sur Facebook – l’ex-directeur abonde : « Permettre la désinformation, les théories du complot et les fausses nouvelles […] agissaient comme les bronchodilatateurs de Big Tobacco, permettant à la fumée de cigarette de couvrir plus de surface des poumons. Mais ces contenus incendiaires seuls ne suffisaient pas. Pour continuer à développer la base de nos utilisateurs et, en particulier, leur temps et leur attention accordé à Facebook, ils avaient besoin de plus. »
Ils ont alors tout miser sur « l’engagement », explique Tim Kendall. « Nous avons initialement utilisé l’engagement comme une sorte de proxy au bénéfice de l’utilisateur. Mais nous avons aussi commencé à nous rendre compte que l’engagement pouvait aussi signifier que [les utilisateurs] étaient suffisamment aspirés [par le réseau] au point de ne plus être en capacité de travailler à leur propre intérêt sur le long terme en quittant la plate-forme […] Nous avons commencé à voir des conséquences réelles, mais on ne leur accordait pas beaucoup de poids. L’engagement […] l’emportait toujours. » Concrètement, « la voix de la colère, de la haine » et de la discorde rapporte plus d’interactions et d’argent que « la paix, la morale et la justice ».
« Je ne crois pas que ça puisse changer »
Tant que ça mène aux profits, pourquoi l’abandonner ? « Il n’y a aucune incitation à arrêter [le contenu toxique] alors qu’il y a une incitation incroyable à continuer », poursuit Tim Kendall. « Je ne crois tout simplement pas que cela va changer, à moins qu’il y ait des sanctions financières, civiles ou pénales associées aux torts qu’elles causent. Sans application de la loi, ils vont continuer à être embarrassés par les erreurs, et ils vont parler de platitudes vides de sens… Mais je ne crois pas que quelque chose de systémique va changer… Les incitations à maintenir le statu quo sont tout simplement trop lucratives pour le moment. »
« Je le regrette », se repent-il aujourd’hui. Ce n’est pas le premier ex-Facebook a fustigé l’entreprise et ses méthodes. Le cofondateur du réseau, Chris Hugues avait appelé au « démantèlement » de Facebook en mai 2019. Il y a six mois, d’anciens membres fondateurs ont publié une lettre ouverte interpellant Mark Zuckerberg à modérer les propos de Donald Trump.
Source : Ars Technica [PDF]
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