La planète mobile européenne pense avoir trouvé la solution à la catastrophe industrielle et financière annoncée : la mutualisation des réseaux mobiles de troisième génération (3 G). Déjà expérimentée pour les infrastructures actuelles, cette option technique et économique s’affirme de plus en plus comme un impératif financier. L’équation est simple : en partageant les coûts de construction des réseaux UMTS, les opérateurs économiseront une partie de la facture totale, et rapprocheront d’autant les perspectives de rentabilité. Les montants en jeu ont de quoi réveiller des penchants confraternels enfouis de longue date : à l’échelle européenne, les opérateurs ont dû débourser près de 120 milliards d’euros (787 milliards de francs) pour acquérir les licences et devront investir presque autant pour construire puis promouvoir leurs réseaux.Opérateurs, équipementiers, régulateurs, gouvernements, tous poussent dans la même direction pour rattraper un excès d’enthousiasme qui s’avère aujourd’hui dévastateur. Après son homologue suédois, le régulateur allemand a avalisé début juin le principe de la mutualisation. Un juste retour des choses, puisque outre-Rhin, les heureux élus ont payé chacun plus de 8 milliards d’euros pour obtenir une licence à l’issue d’enchères vertigineuses. La Reg TP a autorisé les six opérateurs retenus à partager leurs réseaux : les sites, les armoires et une partie de l’accès radio.
Le rôle des régulateurs
De plus, pour ne pas contrevenir aux règles de concurrence et ne pas modifier les contrats signés lors de l’attribution des licences, le régulateur veille à ce que chaque titulaire garde la maîtrise de ses abonnés, détienne son propre réseau et remplisse ses obligations de couverture territoriale, une règle admise à l’échelle européenne. La Grande-Bretagne, qui a donné le coup d’envoi de la folie des enchères avec une recette totale de 38 milliards d’euros pour cinq licences, se montre plus prudente. L’Oftel, le régulateur britannique, s’est dit favorable au partage des infrastructures pour couvrir des zones géographiques à faible densité de population, donc peu rentables. C’est aussi la voie suivie en France par l’Autorité de régulation des télécommunications (ART). Cette dernière s’en tient à la mutualisation des coûts de génie civil et des pylônes. Les stations de base seront concernées uniquement dans les zones qui seraient délaissées par les opérateurs. Les régulateurs n’ont fait qu’entériner une forte revendication des opérateurs. En Allemagne, tous les opérateurs ont milité en faveur d’un partage des infrastructures, y compris Vodafone et T-Mobile (Deutsche Telekom) après des hésitations. En Suède, Telia n’a pas obtenu de licence, et passera par le futur réseau de Tele 2. Concernés au premier chef par la tournure économique des événements, les gouvernements européens comme les représentants de la Commission ont également voulu donner une bouffée d’oxygène au marché.Derrière le principe qui semble s’imposer, chaque opérateur ajuste sa position en fonction de sa place sur les différents marchés qu’il occupe.
La stratégie des opérateurs
Chez Orange, on se veut pragmatique : “Dans les pays européens comme la France, où nous avons une position forte, le partage de réseaux n’a pas d’intérêt pour nous car la couverture et la qualité du réseau sont des critères de concurrence très importants. La densité de clients et le volume de trafic prévus devraient justifier une couverture sur l’ensemble du territoire, comme pour le GSM aujourd’hui. Dans ce cas, le partage de réseau se légitimerait à terme que pour des zones très peu denses ne représentant qu’une faible portion de la surface du territoire“. Dans les pays où il se trouve en position de faiblesse, l’opérateur français se montre plus nuancé. C’est le cas en Allemagne ou en Espagne où Orange étudie la possibilité de devenir opérateur mobile virtuel.Voilà pour la stratégie qui, selon Forrester Research, pourrait rencontrer des limites. Dans une récente note de synthèse, Michelle de Lussanet considère que les opérateurs n’ont pas intérêt à pousser trop en amont leur collaboration, au risque de faire disparaître leur différence. Reste l’intérêt économique d’une telle opération. Selon les estimations, le partage d’infrastructures pourrait générer entre 15 % et 30 % d’économies sur la construction d’un réseau. Nokia annonce une solution qui permettrait à quatre opérateurs de partager simultanément la même infrastructure, et place le curseur encore plus haut, et promet jusqu’à 40 %. La solution de l’équipementier finlandais permettrait de partager les sites et plusieurs éléments de l’accès radio.Pour Didier Pouillot, consultant à l’Idate (Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe), la viabilité technique de ce type de solution reste à déterminer. Selon lui, “le premier effet de la mutualisation sera d’allonger les délais de livraison des équipements . En revanche cela ouvre des perspectives pour les opérateurs de second rang qui devraient pouvoir diminuer leur facture totale “. Didier Pouillot entrevoit même les prémices d’un mouvement plus pervers, le rapprochement plus formel des opérateurs à court de liquidités.
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