Passer au contenu

UMTS : la génération de tous les dangers

L’UMTS est au c?”ur des incertitudes qui hantent l’univers des télécommunications. Si les enjeux sont, bien sûr, financiers, ils concernent aussi la technologie et les services. Pourtant, le véritable défi reside dans la saturation des réseaux existants.

La fameuse norme UMTS de téléphonie mobile de troisième génération connaîtra-t-elle le même sort que la télévision haute définition (TVHD) ? Dix ans plus tard, l’analogie entre ces deux aventures est-elle pertinente ? Poser la question en ces termes, n’est-ce pas déjà une manière d’y répondre ? Voire… À la différence de la TVHD subventionnée à coups de milliards de francs d’argent public sous l’?”il bienveillant de la Commission de Bruxelles, l’UMTS procéderait plutôt d’une démarche inverse, avec des pouvoirs publics ayant pris le parti d’essorer au préalable les acteurs d’un marché qui reste à définir. Comme le dit Martin Bouygues, “nous cherchons à comprendre le potentiel d’un marché qui n’existe pas, et pour lequel la technologie n’est pas disponible”. Il est vrai que l’équation est loin d’être évidente. Elle l’est d’autant moins qu’elle comporte, au minimum, trois inconnues majeures : la technique, l’économique et les usages.Sur le plan technique, la route qui mène au multimédia mobile à hauts débits risque d’être longue. Témoin cet opérateur qui se targuait, au début de l’été, d’être le premier à établir une communication vocale sur un réseau expérimental UMTS. Comme si l’acheminement d’un simple coup de fil sur un réseau cellulaire, fût-il de troisième génération, représentait un saut technologique majeur. D’autres opérateurs, toutefois, ont eu moins de chance et ont dû ajourner leur expérimentation, soit pour cause de hand-over (saut de cellules) défaillant, soit parce que les terminaux, notamment au niveau des performances de leurs batteries, n’étaient pas au point.

Dix-huit mois de retard en moins d’un an !

C’est l’absence de hand-over qui a obligé Manx Telecom à retarder l’ouverture de son réseau sur l’île de Man, en mai dernier, alors qu’il devait être le premier opérateur 3G européen… Même son de cloche en Espagne, où Telefónica ?” qui devait ouvrir son réseau dans vingt-cinq grandes villes en août dernier ?” a dû repousser l’échéance d’un an. Et les mauvaises surprises de se répandre comme une traînée de poudre : ce sont désormais tous les opérateurs européens qui sont concernés et qui décalent l’ouverture commerciale de leur réseau. Un an, deux ans, trois ans de retard ? Difficile d’établir un pronostic à l’heure où l’introduction du GPRS ?” pourtant présenté comme une simple mise à niveau logicielle des réseaux GSM pour des services de transmission de données à bas débits (entre 64 et 144 kbit/s) ?” a pris pratiquement dix-huit mois de retard en moins d’un an ! “C’est surtout une question de débogage logiciel, un phénomène assez classique, assure le responsable de l’UMTS chez un opérateur tricolore, pour qui tout devrait être rentré dans l’ordre fin 2003.” Un contexte qui rend peu crédible le fait que SFR et Orange puissent ouvrir leurs services UMTS, respectivement, en mars et juin 2002, avec une couverture de 75 % et de 58 % de la population courant 2003 !Et l’on ne parle ici que de débits de 144 kbit/s, voire 384 kbit/s. Pour le 2 Mbit/s, prière de patienter… De même, le report à cet automne du lancement, au Japon, de la troisième génération par NTT DoCoMo n’incite pas à l’optimisme.Sur le plan économique, l’équation est tout aussi risquée. Les sommes astronomiques engagées par les opérateurs européens pour l’acquisition de licences UMTS sont connues : plus d’une centaine de milliards d’euros, sans compter le déploiement des infrastructures. “Pour l’obtention, en France, d’une couverture géographique similaire à celle du GSM, l’investissement ?” qui correspond à seize mille ou dix-sept mille stations de base ?” est de l’ordre de 30 milliards de francs pour un débit de 384 kbit/s”, assure Guy Roussel, responsable du compte Orange chez Ericsson. “Pour ceux qui voudraient offrir du 2 Mbit/s, il suffit de multiplier par deux”, poursuit-il. Ce qui, dans le cas de la France, met le coût de déploiement d’un réseau UMTS de 2 Mbit/s (infrastructures et licence) à près de 100 milliards de francs ! À titre de comparaison, l’investissement cumulé des trois opérateurs tricolores dans le GSM est d’environ 80 milliards de francs. Bref, c’est le grand frisson ! Et pas seulement en raison de l’éclatement de la “bulle” spéculative autour du prix des licences… Alors, comment retomber sur ses pieds ?

L’impérieuse nécessité de doubler l’Arpu…

Pour les opérateurs, le grand défi se résume à un acronyme sibyllin : Arpu, ou revenu moyen par abonné. L’Arpu représente aujourd’hui une quarantaine d’euros par mois. Il faut impérativement le multiplier par deux pour espérer rentabiliser un jour son investissement. L’idée de départ consistait à se dire que, avec l’explosion d’Internet et des services multimédias sur les téléphones portables, l’objectif était à portée de main. L’échec du WAP et la difficulté à concevoir de nouveaux services ont, depuis, nettement refroidi les ardeurs. Seul SFR, avec un Arpu nettement supérieur à la moyenne européenne (58 ? par mois, selon l’opérateur), affirme qu’il n’a pas besoin de le doubler pour équilibrer ses comptes. “Je ne crois pas un seul instant que l’UMTS va aboutir à un doublement de l’Arpu “, relève Philippe Germond, p.-d.g. de SFR.Au-delà des incertitudes autour du comportement des utilisateurs, ajoutons la dette considérable des principaux opérateurs européens, et l’on comprend que l’UMTS suscite autant d’incertitudes… Parmi ces dernières, celles qui concernent le développement des usages ne sont pas des moindres. Que va-t-on proposer comme services susceptibles d’augmenter significativement la dépense des consommateurs. La réponse était, a priori, toute trouvée : multimédia et Internet mobile. Plus facile à dire qu’à mettre en ?”uvre.

2 Mbit/s, pour quoi faire ?

L’exemple du WAP, hier, et du GPRS, aujourd’hui, laisse les observateurs plutôt sceptiques. Témoin Nokia ?” qui se répand volontiers sur les perspectives des Multimedia Messaging Services (MMS), avec des applications de type carte postale électronique ?” et qui insiste surtout, dans ses présentations publiques, sur l’explosion des… Short Message Services (SMS), qui passeront de un milliard de messages échangés, en avril 1999, à une centaine de milliards d’ici à fin 2002. Intéressant, si ce n’est que ces fameux “messages courts” impliquent le GSM et sont d’ailleurs partie intégrante de la norme depuis ses origines. Autrement dit, pas grand-chose à voir avec l’avenir radieux de l’UMTS ! Ces SMS ou autres téléchargements de logos ou de sonneries sont d’ailleurs, pour une large part, à la base du succès de l’i-mode japonais. Seul “hic” : ces applications fonctionnent très bien à… 2,8 kbit/s. Alors, que faire de l’UMTS, avec ses 384 kbit/s, voire 2 Mbit/s ? Du “multimédia mobile”, ou de la transmission d’images animées, répondent les plus optimistes. “Le GPRS, avec ses 80 kbit/s, voire Edge, avec ses 180 kbit/s, suffisent largement à ce type d’application”, dit-on chez Bouygues, où l’on considère que 80 % des applications envisagées pour l’UMTS peuvent être supportées par les réseaux GSM déjà en place. “Les progrès de la compression numérique sont tels que l’UMTS n’apportera pas grand-chose sur le plan technique”, poursuit-on chez Bouygues, où l’on considère que les débits seront, quoi qu’il arrive, conditionnés par la taille de l’écran des terminaux de réception. Autre avis : celui du cabinet Ovum, qui, dans sa récente étude, Survivre à la troisième génération, relève que “la réalité de la demande demeure incertaine” et qu’“il faudra nécessairement tâtonner avant de trouver de réels débouchés”.

Le véritable enjeu des fréquences

Alors, pourquoi un tel engouement pour l’UMTS, à l’instar d’opérateurs comme Hutchison, Orange et SFR, qui acquièrent des droits de retransmissions sportives, notamment pour le football, à diffuser par ce canal ? En fait, le c?”ur du problème se situe ailleurs. Ce n’est pas tant l’UMTS et ses applications multimédias les plus spectaculaires ?” visionner le dernier but d’Anelka sur son terminal en attendant un rendez-vous, par exemple ?” qui excitent la convoitise des opérateurs, mais plutôt les fameux blocs de fréquences (2 5 15 MHz dans l’Hexagone) mis à leur disposition. “La fréquence n’a pas de prix”, déclarait, lors de l’introduction en Bourse de la société, l’hiver dernier, l’emblématique fondateur d’Orange, Hans Snook, remplacé depuis par Jean-François Pontal. Ce dernier ne dit pas autre chose : “Pour nous, l’UMTS, c’est d’abord de la capacité et des ressources spectrales supplémentaires dans les zones fortement peuplées.”Même constat chez Telecom Italia Mobile (TIM) : “L’UMTS est avant tout une question de saturation des réseaux existants”, avertit Mauro Santinelli, son directeur général. Autrement dit, tous les opérateurs dont les réseaux sont saturés ou en passe de l’être (Orange, SFR, TIM, T-Mobil et Vodafone) ont impérativement besoin de fréquences supplémentaires, ne serait-ce que pour être en mesure de poursuivre leurs activités actuelles… D’où le prix, parfois astronomique, que ces derniers ont consenti pour l’acquisition de licences UMTS (32,5 milliards de francs par licence en France).Une analyse qui n’a, en définitive, plus grand-chose à voir avec les grandes envolées lyriques autour du multimédia sans fil ou de l’Internet mobile à hauts débits. “Dans les deux ou trois ans à venir, le principal concurrent de l’UMTS demeurera le réseau fixe”, prédit Martin Garer, directeur de recherche au cabinet Ovum. En somme, pas de quoi casser sa tirelire !

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Henri Bessières