Selon le journal L’Opinion, Arnaud Montebourg veut favoriser l’essor d’un système d’exploitation libre « made in France ». Cette information a généré quantité de commentaires ironiques sur la Toile. Mais qu’en pense les professionnels du secteur ? Nous avons posé la question à Tristan Nitot, porte-parole de Mozilla, association à l’origine de Firefox OS.
Pensez-vous que la création d’un OS « made in France » est crédible?
Je crois qu’il faut éviter le syndrome « NIH – Not Invented Here », qui fait que l’on rejette ce que l’on n’a pas créé. Il existe aujourd’hui des solutions qui évitent d’avoir à tout recoder. Je pense en particulier aux logiciels libres, qui sont transparents et auditables, et répondent par conséquent aux besoins de confidentialité qui sont à nouveau sous les feux de la rampe depuis les révélations d’Edward Snowden.
Beaucoup d’acteurs se sont, par le passé, cassé les dents sur la création d’un écosystème logiciel capable de rivaliser avec iOS ou Android. Quels sont, selon vous, les « ingrédients » nécessaires pour en créer un? Que faut-il absolument éviter?
Vous utilisez le bon terme : ça n’est pas un système d’exploitation (un OS) qu’il faut créer, mais un écosystème. C’est-à-dire un OS avec des développeurs et des applications, et donc des clients. Sans applications, un OS n’a aucun intérêt. Or, il est très difficile de créer un écosystème quand il en existe déjà dans la catégorie. On l’a vu dans le monde des PC où Windows a écrasé OSX et où GNU/Linux n’a pas pu s’imposer malgré sa robustesse et sa flexibilité.
Sur les smartphones, Android et iOS trustent les deux premières places et Microsoft investit largement sans réussir à doubler iOS malgré son rachat de Nokia. Et on voit que Nokia, en désespoir de cause, se met à produire des appareils sous Android ! C’est dire s’il est difficile pour quiconque de se faire une place au soleil.
Seul le Web a réussi à s’imposer comme écosystème dans l’industrie du PC alors que tout semblait figé. Il n’a pas remplacé Windows ni OSX, mais a permis aux développeurs d’écrire une version de l’application qui tournera aussi bien sur Mac, Windows et Linux du moment qu’ils ont un navigateur moderne. C’est bon pour les développeurs, qui visent une seule plateforme, le Web. C’est bon pour les utilisateurs qui peuvent utiliser GMail, Facebook et autres sur Linux comme sur Mac. Il n’y a guère que pour ceux qui maitrisent les plateformes traditionnelles que le Web n’a pas été une bonne nouvelle…
Les projets open source ne seraient-ils pas suffisants pour rétablir la souveraineté numérique nationale ou européenne?
Firefox OS, notre projet de système d’exploitation mobile libre est la réponse idéale coté client face aux besoins de liberté des utilisateurs. Aujourd’hui, avec HTML5, les applications Web mobiles peuvent faire autant de choses que les applications natives. Mozilla a beaucoup investi dans les WebAPIs (interfaces de programmation web, ndlr), qui sont en cours de standardisation au W3C. Du coup, HTML5 peut faire des choses jusqu’alors considérées comme réservées aux applications natives. De plus en plus de développeurs choisissent HTML5 pour développer de façon universelle et portent ensuite leurs applications vers Android et iOS via des solutions de type PhoneGap / Cordova.
Les grands opérateurs historiques européens comme Deutsche Telekom, Telenor Telecom Italia et Telefonica ne s’y sont pas trompés et diffusent des terminaux Firefox OS auprès de leurs clients. Paradoxalement, la France est à la traîne alors que Firefox OS est aussi développé en France. J’espère que cette situation ne durera pas.
En ce qui concerne la souveraineté dans le cadre de Firefox OS, il reste à résoudre le problème du coté serveur. Il y a des initiatives en France et ailleurs, qui vont dans le sens du contrôle des données par l’utilisateur. Je pense en particulier au projet « Mes Infos » de la FING – soutenu par Mozilla. Il y a des start-ups françaises qui offrent des solutions technologiquement avancées dans ce domaine comme Cozy Cloud. Ou encore des protocoles innovants comme ceux développés par l’initiative Indiewebcamp.com, qui restaure la décentralisation du Web.
En effet, le Web a été conçu pour être décentralisé et le phénomène de centralisation que l’on constate aujourd’hui est plus lié au besoin de contrôle par des sociétés financées par le capital-risque que par la nature même du Web. J’ai bon espoir que nous allons revenir à un Web décentralisé, respectueux de l’utilisateur et source d’opportunités pour les entreprises comme pour les individus. C’est ce pour quoi Mozilla se bat au quotidien.
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