Des mois de rumeurs, de fuites, d’interprétations, de supputations, voire de théorie du complot. Voilà à quoi le round de négociations sur le traité anti-contrefaçon Acta (Anti Counterfeiting Trade Agreement), impliquant dix pays et l’Union européenne (1), ont donné lieu jusque là. Il faut dire que ces négociations n’avaient rien de transparent. Du coup, les participants aux discussions ont décidé ce 21 avril de publier le texte auquel ils sont parvenus. Il est enfin consultable ici sur le site de la Commission européenne.
Ce texte – qui ne consiste qu’en des principes généraux – n’est pas l’accord définitif, mais une version « consolidée ». Il est néanmoins publié officiellement et fait l’objet d’un communiqué satisfait de la Commission européenne. Celle-ci estime en effet que l’Acta « ne conduira en aucun cas à une limitation des libertés publiques et à aucun harcèlement des consommateurs. »
Le petit monde d’Internet appréhendait surtout les mesures prévues pour lutter contre la piraterie en ligne de musique, de vidéos, de logiciels. En fait, certains croyaient même savoir qu’il y aurait un genre de Hadopi mondiale et un riposte graduée généralisée.
Les participants aux négociations l’ont d’ailleurs eux-mêmes indiqué dans un communiqué : ils n’inciteront pas les gouvernements à mettre en place ce genre de dispositif de lutte contre le piratage. Ils indiquent également qu’ils ne prévoient pas de permettre aux polices des frontières de fouiller les bagages des voyageurs à la recherche d’appareils électroniques susceptibles de stocker des contenus piratés.
L’Acta, qui ne parle pas que d’Internet – loin de là -, consacre sa section 4 à la contrefaçon « dans un environnement numérique ». Il précise notamment les limites de la responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet. Le texte indique en substance qu’un FAI ne devra pas être trop inquiété dans le mesure où la piraterie est du fait des internautes utilisant simplement ses services, et que les contenus piratés ne sont pas fournis par lui. Ou quand il n’est pas au courant des pratiques des internautes.
En fait, on retrouve les grands principes de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) : la responsabilité des prestataires techniques n’est pas engagée dans l’absolu. Elle l’est dès lors qu’on leur a dûment signalé un problème et qu’ils n’ont pas réagi.
Les négociations continuent
D’après l’Acta, cependant, les ayants droit peuvent, en respectant les règles de notification aux prestataires techniques, demander les données permettant d’identifier les pirates. Mais le texte réaffirme le rôle des autorités judiciaires dans le processus de retrait de contenus ou d’identification d’internautes.
Le texte use précisément du terme de « désactivation [disabling en anglais] de l’accès à l’information ». Une formulation qui peut s’appliquer aux seuls contenus comme au service d’accès à Internet lui-même. Certains n’y verront qu’une formule assez générale, comme l’est le reste du texte. D’autres y verront un blanc-seing accordé au filtrage ou à la coupure d’accès à Internet. Il reste que la justice française est depuis longtemps habilitée à ordonner un filtrage, mais au cas par cas.
Le traité affirme également la nécessité pour chaque pays d’encourager leurs FAI et les ayants droit à collaborer pour lutter contre la contrefaçon sur Internet. Qu’il s’agisse de contenus culturels ou industriels. On retrouve là en filigrane les problèmes de vente en ligne de faux articles, rencontrés par les sites d’achat-vente entre particuliers comme eBay ou Priceminister.
En fait, tel qu’il est rédigé, ce texte ne révolutionne pas la lutte contre la contrefaçon. Il laisse une assez large latitude d’action et d’interprétation aux Etats. L’essentiel étant que tous aillent dans la même direction. Le véritable enjeu est là : dans ce que feront concrètement les gouvernants. Les négociations vont en tout cas continuer. Après le Mexique et la Nouvelle-Zélande, elles sont prévues en Suisse au début du mois de juin.
(1) Australie, Canada, Japon, Corée du Sud, Mexique, Maroc, Nouvelle-Zélande, Union Européenne, Singapour, Suisse, Etats-Unis.
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