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Tous tracés sur la toile

Navigation, publications, dialogues, inscriptions, paiements, les internautes multiplient les interventions sur le réseau. Avec le risque de voir ces dernières utilisées à leur insu.

Faites le test. Tapez votre nom dans Google… et observez attentivement les réponses qui s’affichent. Vous serez surpris de voir tout ce que le Web peut conserver de vous. Cela s’appelle “ googliser ”, et c’est un réflexe très courant dès que l’on veut obtenir des renseignements sur soi-même ou quelqu’un d’autre. Mieux encore. Rendez-vous sur un moteur de recherche spécialisé dans la recherche d’informations personnelles, type 123people ou WebMii. Ce traceur scanne la Toile et vous dévoile sur une page toutes les données que le Web détient sur vous ? blogs, publications, photos, etc. ? avec les liens qui s’y rapportent et votre taux de visibilité sur le Net. Impossible d’échapper à ces détectives du Web qui reconstituent en un clic l’identité numérique d’un individu.La mémoire du Net est phénoménale. Tout ce qui est publié sur la Toile laisse des traces indélébiles. Aucune information, inscription, photo, billet ou propos mis en ligne ne se perd ou ne s’efface de lui-même. On ne compte plus le nombre d’internautes qui en font les frais à leurs dépens. Un cliché pris lors d’une fête posté sur un réseau social a ainsi coûté son emploi à un jeune Américain qui était censé être à l’enterrement de sa grand-mère. Près de 50 % des recruteurs américains mènent leur enquête sur Internet afin de vérifier la personnalité des candidats sélectionnés ou des éléments de leur CV. Des photos un peu gênantes lors d’une soirée privée et mises en ligne peuvent affaiblir la crédibilité d’un candidat à un poste à responsabilité. Tout comme des propos tenus à un moment donné de la vie et qui, hors contexte et quelques années plus tard, pourront ternir une réputation. “ Dans le domaine de l’entreprise, prospects, clients, employeurs ou fournisseurs ne se gênent pas pour effectuer des recherches sur Internet concernant leurs contacts professionnels ”, confirme Fred Cavazza, consultant Internet.

Pas d’anonymat sur Internet

Il faut abandonner l’idée qu’Internet est un univers opaque où l’anonymat règne et où tout peut être dit ou exposé sans risque. Audrey, étudiante de 23 ans, est une adepte de Facebook. Elle y dévoile sa vie intime, le nom de son petit copain, celui de ses proches, ses destinations de vacances, ses hobbies, son numéro de téléphone et des photos en pagaille. “ J’ai envie de tenir mes amis au courant de ma vie. Je pense que tout cela reste entre nous et je ne vois pas de danger à le faire ”, avoue-t-elle.Nombreux sont les jeunes à ne pas mesurer l’ampleur d’une telle exposition tant Internet fait partie de leur quotidien. Ils n’anticipent pas ce qui ressortira sur eux dans les années futures lorsqu’ils seront en recherche d’emploi ou s’ils deviennent un personnage public. Parmi les dangers du Web, il en est un dont les utilisateurs ne se méfient pas assez : le risque de cambriolage. Le conseil de Fred Cavazza est “ d’éviter d’annoncer sur Facebook ses dates de vacances. Il est très facile de lier un compte de réseau social à un compte Internet puis à une adresse géographique. Les cambrioleurs traquent ces indices sur le Web et sont sûrs de trouver les lieux vides le jour dit ”.Certains renseignements paraissent anodins à dévoiler sur le Web tels que nom, adresse mail, numéro de téléphone. Et l’internaute est à tout moment sollicité à le faire : inscription à des réseaux sociaux, dialogues sur messagerie instantanée, mise en ligne de son CV. À ces données très personnelles, certains n’hésitent pas à rajouter leur photo, celles de leur famille ou de leurs amis pour illustrer leur page Face-book, des détails sur leur vie privée, leur opinion politique ou leurs convictions religieuses sur des blogs ou des forums… Pour les achats en ligne, les réservations de voyages ou de spectacles, les informations délivrées sont plus sensibles : adresse, coordonnées bancaires, numéro de carte de crédit, contacts téléphoniques. Les sites conservent ces précieuses données dans leur serveur, elles viennent alimenter leurs fichiers clients. Le tout représente un volume de renseignements qui, une fois rassemblés, constituent le profil numérique d’un individu. Google est le principal agrégateur de ce type de données. Elles sont captées, indexées, stockées (pour une durée de 9 mois chez Google, 6 mois chez Microsoft, 3 mois chez Yahoo) et font l’objet de tractations commerciales, notamment avec les entreprises de marketing comportemental. Rien qu’avec les 300 millions d’utilisateurs de Google dans le monde, la somme des données recueillies est considérable. Ces fichiers constituent une réserve d’informations qui permet aux sociétés commerciales de mieux cibler la publicité en ligne, sur le principe du profilage. La navigation des internautes est à leur insu, passée au crible et analysée ? sites fréquentés, mots-clés utilisés, etc. ?, pour leur proposer une publicité basée sur leurs centres d’intérêt. Un aspect non négligeable de l’utilisation des données personnelles… quand elles ne sont pas piratées par des hackers malintentionnés. Un Américain de 28 ans, ancien informateur des services fédéraux, a ainsi avoué lors de son procès, en août dernier, avoir détourné 40 millions de numéros de cartes bancaires sur Internet en pénétrant les systèmes informatiques de plusieurs sociétés de paiement. Un pavé dans la mare du piratage informatique qui pointe du doigt la vulnérabilité des sites dits “ sécurisés ”. Mais face à cette fraude, l’internaute est totalement impuissant, si ce n’est de limiter ses transactions à des sites connus et sécurisés.

Un cadre légal flou

Selon un sondage Ipsos, 71 % des Français trouvent la protection de la vie privée sur Internet insuffisante. Pour 61 % d’entre eux, l’existence de fichiers est perçue comme une atteinte à la vie privée, et 50 % ont des craintes quant à leur utilisation. Mais ils sont peu nombreux à réaliser que ce sont eux les premiers acteurs de leur protection. Des voix s’élèvent à propos de l’utilisation de ces données personnelles. En France, la Loi Informatique et Libertés de 1978 a clairement défini le cadre de leur utilisation dans le domaine du fichage, mais dans les faits, il est très difficile de savoir exactement ce qu’il en est. Alex Türk, président de la Cnil, Commission nationale de l’informatique et des libertés, déplore les lacunes juridiques au plan international dont profitent les grands réseaux de partage et moteurs de recherche américains : “ Il n’y a aucune certitude que toutes les données stockées sur leurs serveurs ne soient pas conservées et utilisées à des fins de profilage. Les gens ne mesurent pas le danger lorsqu’ils exposent leur vie sur Internet ”. La Cnil est l’autorité française chargée de veiller à la protection des données personnelles et de la vie privée. Elle vérifie que la loi est respectée. Elle établit des normes et propose au gouvernement des mesures législatives ou réglementaires de nature à adapter la protection des libertés et de la vie privée à l’évolution des techniques. “ Le niveau de protection des données est supérieur en Europe. Mais on est loin d’un accord mondial qui établirait un niveau plus élevé de garanties ”, ajoute Alex Türk.

Pédagogie et prévention

Maître Iteanu, avocat à Paris et auteur de L’identité numérique en question, constate un nombre croissant de plaintes touchant aux atteintes à la vie privée sur Internet. Pour lui, “ les recours tiennent du parcours du combattant. Après avoir tracé les contenus sur les réseaux et remonté la filière hébergeur puis FAI, il faut identifier avec certitude l’auteur des méfaits, et que celui-ci soit justiciable vis-à-vis de la loi française ”. La difficulté tient au fait que près d’un tiers des adresses mail françaises provient de serveurs étrangers, tout comme les pages personnelles publiées sur les grands réseaux sociaux. “ Les réseaux sociaux américains collaborent quand même avec la justice française pour des requêtes en identification, mais nous sommes dans le flou juridique le plus total. Il y aurait des nouveaux modes de régulation à mettre en place d’urgence ”, observe Olivier Iteanu. Les notions de respect et de préservation de la vie privée sur Internet deviennent cruciales à mesure que les réseaux numériques se développent et que les technologies de traçage s’affinent. Entre l’identité numérique voulue et à peu près maîtrisée par l’internaute et celle subie du fait de la prolifération de données personnelles diffusées sans contrôle, l’internaute doit exercer son libre arbitre s’il ne veut pas être le jouet du Web. La parade passe par la responsabilisation et la pédagogie. Un préalable avant que les gouvernements s’accordent sur l’interdiction de certains usages et sur l’élaboration de règles internationales.

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Frédérique Crépin