Le vendredi 3 décembre 2004 restera une
journée noire pour la SNCF. Une panne informatique a paralysé près de 1000 terminaux de vente de billets. Quelques jours plus tôt,
Bouygues Telecom faisait profil bas. Le 17 novembre, son réseau GSM s’effondrait, laissant les mobiles de ses clients aux abonnés absents.Ce ne sont que quelques exemples d’une actualité malheureusement riche en pannes informatiques. Et ce n’est un début. Croire que l’on peut éviter la panne informatique est illusoire. A moins de mettre en place une
politique de gestion des risques, qui garantirait, par exemple, un fonctionnement en mode dégradé en cas de problème.Le ministère de l’Industrie commence d’ailleurs à y réfléchir. Patrick Devedjian a diligenté une enquête afin que les déboires des opérateurs télécoms ne se reproduisent plus. Mais ses conclusions, prévues pour le
10 décembre dernier, se font toujours attendre.
Affligeant
Les dysfonctionnements deviennent plus pénalisants. Un constat largement confirmé par les DSI interrogés dans notre sondage (*). Rien d’étonnant : l’informatique touche aujourd’hui le c?”ur de
l’activité de l’entreprise, conséquence directe de son rôle grandissant, dans la gestion notamment.Hier cantonnée à traiter la paie ou la comptabilité, elle participe désormais directement à la production des services rendus aux clients. Un nouveau phénomène auquel l’industrie informatique n’est pas préparée. A la
différence de l’informatique que l’on trouve dans des secteurs tels que l’aéronautique, le nucléaire ou la défense, qui ont adopté une démarche industrielle de la qualité depuis longtemps.La première raison de ces plantages en série s’avère affligeante. Il n’existe pas de standard universel de tolérance de pannes dans l’industrie informatique. Seules quelques rares entreprises définissent de tels
seuils. ‘ Ce qui n’est pas le cas du secteur automobile, par exemple, qui a trouvé un consensus : les constructeurs ne tolèrent pas plus d’un défaut par million de pièces produites ‘, précise
Christophe Legrenzi, PDG de la société de conseil Acadys. Cette immaturité tient évidemment à la jeunesse de l’industrie informatique.
Pas de zéro défaut
La raison profonde réside dans la culture des informaticiens. D’ailleurs, les DSI que nous avons interrogés sont divisés sur un point essentiel. D’un côté, ceux qui considèrent que les pannes sont devenues inéluctables. De
l’autre, ceux qui pensent le contraire. Et ce, quand les fournisseurs informatiques estiment unanimement que ‘ le zéro défaut n’existe pas ‘.Conséquence : les SSII, les éditeurs de solutions de tests, ou encore les consultants militent pour apprendre à gérer le risque de pannes. Concrètement, cela revient à dire qu’il faut prévoir un mode dégradé du système
d’information. Une démarche que n’avaient entrepris ni France Télécom ni Bouygues Telecom lors de leurs récents déboires.Le cas de la SNCF s’avère quelque peu différent. Les usagers ont pu se tourner vers les automates pour se procurer leurs billets. Mais aussi vers les contrôleurs, ceux-ci ayant été rapidement avertis. Il n’empêche : le
personnel aux guichets s’est trouvé dans l’incapacité de travailler pendant plusieurs heures. Une perte de productivité chèrement payée.Il faut être capable de reconnaître ses erreurs. Ce qui nécessite un énorme travail d’éducation, en particulier dans l’Hexagone. ‘ La culture de l’ingénieur fait que l’on ne travaille que sur
deux scénarios : soit le système d’information fonctionne, soit il ne fonctionne pas ‘, déplore Stéphane Ayache, directeur du département tests et qualification chez Steria.Une démarche liée à la culture binaire qui consiste, par définition, à représenter l’information sur la base de deux valeurs. Pour Yves Lasfargue, chercheur, ‘ le tabou de la panne est propre aux informaticiens et
plus globalement aux administratifs. Bien au contraire, les personnels de la production savent que le problème n’est pas d’éviter la panne mais de la gérer. ‘
Manque de tests
Largement reconnue, cette trop grande tolérance à la panne informatique est aussi le fruit d’un manque de formation. ‘ Il existe très peu de spécialisations sur les tests en France. Signe que cette discipline
souffre d’un manque de reconnaissance ‘, s’alarme Stéphane Ayache. Au point que l’on en arrive à des situations dangereuses. Ce sont souvent les mêmes personnes à qui incombent le
développement logiciel et les tests. Difficile d’être simultanément juge et partie.La complexité grandissante de la technologie pèse sur la qualité informatique. Premièrement, les systèmes d’information ont superposé des couches au point de dénaturer les fondations. A peine avait-on empilé le
client-serveur sur le
mainframe que sont apparues les architectures Web.
Les méfaits du tout-PGI
Autre problème : les systèmes d’information sont de plus en plus connectés les uns aux autres. ‘ Ainsi, dès qu’une panne intervient, cela prend des dimensions plus
importantes ‘, estime Elie Kanaan, vice-président marketing pour l’Europe chez Mercury. Globalement, les entreprises souffrent d’un manque de visibilité applicative.
‘ Elles ont davantage une perception détaillée ‘, précise Christophe Legrenzi, d’Acadys.‘ Le tout-progiciel constitue un élément significatif des dysfonctionnements ‘, estime, pour sa part, un DSI. Stéphane Ayache pointe du doigt le manque de
réorganisation des sociétés : ‘ le PGI [progiciel de gestion intégré, NDLR] diminue le travail en amont, principalement les études, mais augmente les
efforts en aval, c’est-à-dire les tests, une phase à laquelle il faut réserver 45 % minimum du travail. Ce qui ne constitue pas encore un réflexe en France. ‘Plus généralement, on peut s’interroger sur la qualité des produits et des services des fournisseurs. Pour Christophe Legrenzi, ‘ un éditeur tel que Microsoft consacrera d’abord ses
ressources de tests à ce qui est le plus utilisé. Les usages plus marginaux ne sont pas évalués de la même manière. ‘Lancés dans une course technologique, les opérateurs télécoms ont privilégié les délais pour sortir de nouveaux services. Au détriment de la qualité. ‘ Depuis la rentrée, nous subissons une panne par
mois ‘, déplore Gilles Pichavant, délégué syndical CGT PTT. C’est peut-être la bonne nouvelle de ces plantages en série : leur médiatisation commence à délier les langues. C’est à ce prix que
l’on pourra faire sauter le tabou. Et que l’on sera en mesure de gérer le risque de non-qualité.(*) Sondage réalisé par e-mail le 13 décembre 2004, en France, par Comm’Back. 165 entreprises y ont répondu.
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