De prime abord, la lecture des spécifications techniques de l’iPhone 11 Pro n’impressionne pas : si on salue l’arrivée de la focale ultra grand-angle, elle n’a rien de nouveau dans le paysage des smartphones. Le coefficient de zoom total reste assez modeste — on passe d’un équivalent de 13 mm à 52 mm, soit un zoom x4 — quand on le compare aux Huawei P30 Pro et autres Oppo Reno (zoom optique x10 !), le capteur principal n’est pas un modèle « géant ». Aucune ouverture d’optique n’est record. Sur le papier, l’iPhone 11 Pro semble se contenter de rattraper son retard par rapport à une compétition Android plus active et plus novatrice – capteurs 1/1,5 pouce, matrice de bayer RJJB, quadruples modules caméras, modules macro, capteur cinéma 3/2, etc.
Ce serait oublier qu’en matière de « smart-photographie », le matériel s’éclipse souvent devant le logiciel : de la qualité de l’interface en passant par l’interprétation des couleurs, la façon de gérer les zéros et les uns prime sur la taille ou le nombre de photosites. L’iPhone 11 Pro en est la preuve. Avec des composants de qualité, mais loin d’être extraordinaires, Apple a concocté un tout qui donne une leçon au monde Android.
Trois modules, trois focales (vraiment) utiles
Si vous avez lu notre présentation matérielle publiée lors de l’annonce des terminaux, vous savez que les iPhone 11 Pro et Pro Max embarquent trois modules caméra : un tout nouvel ultra grand-angle équivalent 13 mm f/2.4 et les deux modules de l’iPhone XS, à savoir un module principal grand-angle équivalent à un 26 mm f/1.8 et un téléobjectif moyen équivalent à un 52 mm f/2.0.
Une triplette qui offre donc un coefficient de zoom de x4 (52/13 = 4) qui a comme mérite d’être pleinement utilisable en toutes circonstances. En effet, la petite taille des capteurs et la faible quantité de lumière collectée par les focales plus resserrées telle l’équivalent 125 mm f/3.4 du P30 Pro, les rendent plus délicats à manier dès que la lumière se fait rare. Avec son équivalent 52 mm, l’iPhone 11 Pro ne promet pas de remplacer le super zoom de votre compact en voyage, mais il se paye le luxe d’être (presque) toujours utilisable. Un choix intelligent quand on prend en compte le caractère « couteau suisse » du smartphone.
Apple n’est pas allé chercher la performance pure pour son trio optique, mais a fait ce que peu de constructeurs Android prennent le temps de faire : s’assoir cinq minutes (ou plus) et affûter la partie logicielle afin de tirer le maximum du matériel. À la décharge de l’univers Android et à la charge d’Apple, pendant que les premiers n’ont cessé d’améliorer leur partition à chaque terminal, Apple a été plutôt mollasson et s’est retrouvé largement dépassé au moment de la sortie de l’iPhone X. Chahuté, Apple a commencé par travailler la partition autofocus pour les iPhone XS pour reprendre la couronne de l’appareil le plus rapide — voir notre Top 10 smartphones photo de juillet dernier — avant de revoir en profondeur son logiciel caméra et sa partition logicielle pour cet iPhone 11 Pro. Et avant même de parler de qualité d’image, il faut parler de l’application. Et d’une nouveauté vraiment photographique.
Le hors champ devient visible
En ultra grand-angle, l’iPhone 11 Pro cadre comme n’importe quel autre appareil. Mais dès que l’on resserre la focale — grand-angle ou téléobjectif — on découvre une nouvelle capacité de l’application : afficher le hors champ. Concrètement, cela signifie que les parties noires à gauche et à droite du cadre 4/3 (ratio du capteur affiché sur un écran x/y) deviennent partiellement translucides et affichent ce que le capteur à focale plus large perçoit. En grand-angle, l’application utilise le module ultra grand-angle. Au téléobjectif c’est le module grand-angle qui est utilisé.
Gadget ? Que nenni : à la manière d’un cadre d’appareil photo télémétrique façon Leica M, on voit une partie du hors champ, ce qui permet d’anticiper l’arrivée de sujets. Certains photographes ne jurent d’ailleurs que par cette visée télémétrique pour cette capacité à afficher plus que ce que l’optique peut percevoir.
Utile pour les photographes qui préparent et composent des cadres, cette fonction n’est peut-être pas la plus impressionnante sur le papier. Mais elle met en lumière non seulement l’attention photographique d’Apple, mais aussi sa maîtrise de l’implémentation : aucun bug de raccord d’image, aucun ralentissement et un passage naturel lors de la bascule d’un module à l’autre. En gros : un sans-faute.
Les plus belles couleurs de la compétition
Observés à la loupe à 100 % sur grand écran, les clichés de l’iPhone 11 Pro sont moins piqués et un peu moins riches en détails que ceux du Huawei P30 Pro. La faute à un capteur plus petit, moins fourni en pixels, et au traitement logiciel qui lisse un peu trop. Mais qui donc passe son temps à ausculter les clichés avec un microscope à part les journalistes grincheux ? Pas grand monde, en tous les cas une portion infinitésimale des utilisateurs, plus occupés à partager leurs clichés sur Instagram et consorts.
Apple l’a bien compris et a mis l’accent sur ce qui fait la différence dans tous les formats de visionnage : les couleurs. Et dans ce domaine, l’iPhone 11 Pro donne une leçon à la concurrence Android.
Primo, parce que les tons sont toujours naturels. Apple a fait le choix de se comporter comme un Fujifilm, dont les appareils interprètent les couleurs afin de les rendre agréables à l’œil — au contraire d’un Sony, plus clinique, plus rigoriste. À moins de situations en basses lumières artificielles très difficiles, les clichés conjuguent juste ce qu’il faut de justesse et de chaleur.
La partition reste perfectible, avec notamment des verts qui pètent encore un tout petit peu trop quand notre astre flamboie de manière rasante – mais tous les tons s’avèrent plus naturels que les interprétations des appareils asiatiques. Même s’il faut reconnaître que ces derniers ont fait de gros progrès et qu’il n’y a désormais plus de rendu caricatural façon Galaxy S6 par exemple.
Deuxio, l’iPhone 11 Pro est le smartphone qui assure la meilleure cohérence colorimétrique entre les trois modules caméra. Il est ainsi assez rare que les couleurs d’un cliché pris au téléobjectif soient différentes de celles d’une photo capturée à l’ultra grand-angle. Cela peut arriver quand un élément de premier plan vient fausser la balance des blancs au téléobjectif, mais la déviation colorimétrique est faible.
Tertio, Apple s’avère le champion des couleurs en basses lumières. Non pas le champion des basses lumières, différents appareils se partageant la couronne — à Huawei le noir total, à Samsung l’autofocus —, mais l’appareil d’Apple est clairement celui qui produit les couleurs les plus naturelles.
Basses lumières : couleurs justes mais moins de détails
Aucun autre smartphone que le Huawei P30 Pro ne peut produire des images dans le noir total. Son capteur unique — grande surface, matrice RJJB ou 40 Mpix pour produire une image de 10 Mpix — rend possible des shoots qu’on n’imagine même pas avec un « vrai » appareil photo. En mode nuit, le P30 Pro est même capable de rendre lisible ce qui n’est que de la bouillie pour tous les autres.
Avec son capteur classique, l’iPhone 11 Pro ne lutte pas dans la même catégorie… mais son logiciel fait des miracles. S’il ne peut pas voir dans le noir total ni produire le même niveau de détails en très basses lumières, il s’avère cependant extraordinaire dans la restitution des couleurs. Les couleurs, encore les couleurs ! Alors que les rendus du P30 Pro sont dénaturées en mode normal à 51 200 ISO, les algorithmes de l’iPhone 11 pro lui permettent de restituer à merveille les tons — constatez la faible variance entre les jaunes et les bleus qui encadrent cette photo de céréales.
Contrairement à Huawei — et dans une moindre mesure Google — qui cherchent à capter l’invisible, Apple se contente de reproduire la sensibilité de l’œil humain (un poil amélioré) afin de conserver les couleurs et l’ambiance. Si le bruit numérique est assez élevé, le rendu est impressionnant de justesse.
Deep Fusion, une promesse aléatoire
Présenté lors de la conférence de lancement des iPhone 11, Deep Fusion est une technologie d’amélioration de la qualité de l’image aux contours très flous. Un procédé qui, à l’instar des premiers modes portrait, est arrivé en bêta avant de n’être intégré « en dur » que depuis la version 13.2 d’iOS.
Par rapport aux modes d’éclairage portrait, Deep Fusion a un problème majeur : la fonction est automatique… et aléatoire. Regardez cette image : compte tenu de la faible luminosité dans laquelle cette photo de rose vieillie a été prise, et compte tenu du rendu classique des iPhone précédents dans des conditions similaires, il y a fort à parier que la fonction Deep Fusion se soit mise en route. « Fort à parier » ? Oui, il ne s’agit ici que d’un soupçon, car cette technologie de super sampling qui combine 9 images pour n’en produire qu’une est impossible à activer. C’est l’appareil qui décide d’activer la fonction selon les conditions lumineuses. Deep Fusion capture 4 images de la mémoire tampon de l’appareil avant le déclenchement, la photo à proprement parler, puis quatre images après la prise de vue. Le tout à des gradients d’exposition différents.
Ce « HDR super sampling » est à notre avis l’une des meilleures technologies d’amélioration de l’image du moment, mais nous regrettons de ne pouvoir décider de son activation ou pas. Pour les paysages, on apprécierait par exemple de pouvoir le forcer. Espérons qu’Apple puisse faire évoluer la fonction pour la mettre un peu plus sous le contrôle du photographe.
Ni macro, ni mode pro
Deux autres griefs nous viennent à l’esprit : la distance de mise au point minimale, un peu trop importante ainsi que l’absence de mode « Pro » dans l’interface logicielle. Pour la distance de mise au point minimale, cela signifie que l’iPhone n’est pas très doué pour la proxiphotographie. Sans même aller jusqu’à des modules Macro dédiés (souvent affublés de capteurs médiocres du genre 2 Mpix comme chez le Honor 20 Pro), la construction optique du module caméra principal du Huawei P30 Pro offre plus de potentiel de grandissement comme le montrent les deux images comparatives ci-dessus. Il serait peut-être temps pour Apple d’aller plus loin en matière de développement optique.
Le logiciel, quant à lui, est encore plus frustrant. D’un côté il est quasi parfait en mode automatique et s’ouvre un peu avec la possibilité (enfin !!!) de modifier la qualité des vidéos sans avoir à passer par les menus systèmes, de l’autre il n’offre aucun débrayage manuel aux pros. Impossible de récupérer les fichiers RAW, impossible de contrôler ISO ou vitesse à la main, etc. Certes il existe des applications comme Halide qui proposent ce genre de contrôles, mais il est un peu agaçant d’avoir à bourse délier pour accéder aux réglages d’un appareil photo. Surtout quand les modes pros sont sur tous les smartphones Android…
Le grand retour d’Apple dans la photo
Apple signe avec l’iPhone 11 Pro son grand retour au top de la compétition photographique. De nombreux appareils Android ont en main des atouts de poids comme des capteur géants qui voient la nuit, des super téléobjectifs zoom x10 ou des modules macro. Mais outre l’arrivée du module ultra grand-angle qui comble le manque de ses prédécesseurs, l’iPhone 11 Pro sort aussi du lot grâce à son absence de faiblesses techniques, ses raffinements logiciels (affichage hors cadre, Deep Fusion) et des couleurs qui sont tout bonnement les meilleures du marché — et ce, en toutes situations. Sur le plan hardware pur, Apple n’a pas innové du tout et s’est contenté de se mettre au niveau du minimum vital Android. Mais une fois encore, c’est sur le logiciel qu’Apple a fait la différence. Il serait temps que les constructeurs asiatiques fassent de même.
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