Vie privée et liberté d’expression sont-elles solubles dans le réseau de l’entreprise ? La question alimente de nombreux débats, en France comme à l’étranger. Le Royaume-Uni y a répondu, en partie, le 24 octobre, avec l’entrée en vigueur d’une loi autorisant les entreprises à surveiller le contenu des messages électroniques à l’insu des salariés. Inversement, en France, trois res- ponsables de l’ESPCI de Paris (École supérieure de physique et de chimie industrielles) ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Paris, jeudi 2 novembre, pour violation du secret des correspondances. Ils avaient surveillé la bo”te aux lettres électronique d’un étudiant soupçonné d’utiliser sa messagerie de travail pour un usage personnel.Parallèlement, on assiste à l’explosion du marché des logiciels de contrôle de contenu du web et des e-mails. Selon une étude IDC, ce marché, estimé à 24 millions d’euros en 1999 pour l’Europe de l’Ouest, devrait doubler chaque année jusqu’en 2002, pour atteindre 385 millions d’euros en 2004. La controverse ne porte plus sur le bien-fondé de leur exploitation. En effet, ils permettent, entre autres, d’optimiser les ressources du réseau, de sécuriser le système d’information, de contrôler la productivité des employés et de ma”triser l’image donnée à l’extérieur.Mais la mise en place de tels outils doit être conforme à un certain nombre de règles dictées par la loi : “Trois articles du code du travail concernent l’installation de solutions de surveillance. Les articles L121-8 et L432-2-1 obligent l’employeur à informer le comité d’entreprise, et en tout état de cause les salariés, avant l’installation d’un système de ce type. L’article L120-2 précise que sa finalité doit être justifiée et proportionnée au but recherché”, précise ma”tre Sylvie Garnier, du cabinet FG & Associés.
Des logiciels mal perçus
Certains éditeurs n’hésitent pas à étoffer leur argumentaire de conseils sur les mesures d’accompagnement jugées nécessaires, comme Philippe Maury, responsable de la filiale française de Content Technologies : “J’insiste beaucoup auprès de nos clients sur la nécessité de communiquer en interne lors de l’installation. Nous préconisons même parfois l’assistance d’avocats spécialisés pour la rédaction d’une charte de bon usage d’Internet dans l’entreprise.” La réalité est parfois bien différente, et ces règles ne sont pas toujours respectées, comme nous l’a confié le distributeur en France d’une gamme de logiciels de gestion de trafic Internet : “J’informe en général mes clients de leurs obligations, mais la plupart d’entre eux hésitent, et parfois même renoncent à informer les utilisateurs car ils craignent des réactions hostiles.” Les logiciels de filtrage des courriers électroniques sont souvent perçus comme des outils pouvant autoriser certaines dérives inquisitoriales, car ils recueillent des informations sur la vie privée des utilisateurs qui peuvent être utilisées à des fins discriminatoires.En cas de conflit, c’est le code du travail et la charte d’usage d’Internet qui serviront de référence. À la suite du jugement de l’ESPCI, la notion de secret des correspondances pourrait bien entrer en jeu. Le rapport du Cigref recommande d’ailleurs une certaine prudence en concluant ainsi le chapitre Courrier privé-public : “Si l’on fait l’analogie avec un courrier classique, le contenu d’un courrier envoyé par une personne à une autre personne peut être considéré comme privé… L’adressage sur l’enveloppe ainsi que son objet peuvent être considérés comme publics… “La Cnil devrait publier début 2001 un rapport, attendu depuis plusieurs mois, sur la ” cyber-surveillance ” des travailleurs. Hubert Bouchet, son vice-président, conseille : “Nous devrions y inclure des recommandations sur la pression qu’exerce ce type d’outil sur les employés. Et sur les conséquences éventuellement contre-productives qu’elle implique. L’entreprise ne doit pas devenir une prison.”
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