Depuis que l’affaire Snowden a éclaté, le gouvernement français a toujours étonné par son calme et sa retenue. On voit maintenant qu’il avait une bonne raison : l’Hexagone pratique lui aussi, et dans un cadre légal très douteux, des écoutes de masse depuis au moins sept ans, en tous les cas à l’étranger. C’est ce que révèle l’Obs dans une enquête exclusive.
En concertation avec Pierre Brochand, le patron de la DGSE, le président Sarkozy valide en janvier 2008 un plan quinquennal d’interceptions des câbles sous-marins sur les côtes françaises, particulièrement bien dotées de ce point de vue grâce à la position géographique de l’Hexagone. Le budget est de 700 millions d’euros. Il permettra d’embaucher 600 personnes et d’installer des stations d’interceptions au niveau d’une série de câbles sous-marins. En particulier à Marseille (SEA-ME-WE 4 et I-ME-WE), à Penmarch (ACE) et à Saint-Valéry-en-Caux (TAT 14).
L’accès aux points d’atterrissage des câbles est rendu possible grâce à Orange, qui en est le gestionnaire. La technique d’interception est fournie par Alcatel-Lucent, grand spécialiste des communications optiques. L’idée est de dédoubler la fibre, par exemple au travers d’un « splitter ». C’est un genre de prisme qui permet de subdiviser un flux optique en deux branches identiques (ou plus).
Les flux dédoublés sont transmis dans un local clandestin de la DGSE, situé un peu plus loin, où ils seront filtrés pour ne retenir que les données qui ont été autorisés par la CNCIS (Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité). Celles-ci sont alors envoyées par une fibre à Paris, dans les locaux de la DGSE, boulevard Mortier. Là-bas, elles sont analysées par des supercalculateurs Bull et Hewlett-Packard, que l’agence française a installé entre 2008 et 2010 dans ses sous-sols, à 40 mètres sous terre.
D’après l’Obs, ce centre de calcul serait aujourd’hui le deuxième plus grand en Europe, derrière son équivalent britannique. Il permet de trier automatiquement et tous les jours des dizaines de millions d’emails, de SMS, d’échanges Skype, WhatsApp, Facebook, etc. Les communications vocales sont retranscrites par un logiciel de reconnaissance, puis traduites. Quant aux métadonnées, elles sont stockées « sur des années et des années », comme l’avait dit lui-même Bernard Barbier, directeur technique de la DGSE, à l’occasion d’un colloque en 2010.
La loi sur le renseignement valide cette stratégie après-coup
Ce siphonnage fonctionne tellement bien qu’en 2009 le gouvernement américain aurait proposé à la France de devenir un membre des « Five Eyes », ce club d’espionnage très select formé par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Mais Sarkozy refuse, car les Américains lui proposent une adhésion au rabais, sans le statut du « no-spy agreement » (qui interdit aux membres de s’espionner mutuellement). Un accord plus modeste a néanmoins pu être signé, avec à la clé l’échange en temps réel de données d’écoutes, au travers d’une connexion informatique directe entre la DGSE et la NSA. Un accord similaire sera signé un an plus tard avec le Royaume-Uni.
Sous la présidence Hollande, cette stratégie d’espionnage massif perdure. Un second plan câble est adopté en 2012 pour la période 2014-2019. Restait à régler un léger petit problème : l’insécurité juridique. Toutes ces interceptions se font à la limite de la légalité, et sous la bienveillance discutable de la CNCIS. Une solution a été trouvée récemment, avec l’adoption en mode express de la loi sur le renseignement.
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